Plus de 40 ans après la découverte du fossile de « Lucy », l’australopithèque africain vieux de 3,2 millions d’années, découvert en Ethiopie en 1974 et 14 ans après la découverte tout aussi majeure, en 2001, de l’homme de Toumaï, au Tchad, vieux de sept millions d’années et considéré comme le plus ancien représentant du genre Homo, une nouvelle découverte extraordinaire est venue récemment bouleverser à nouveau l’arbre complexe et foisonnant de l’évolution humaine : Homo naledi, découvert dans les grottes de Rising Star, à 500 km de Johannesburg en Afrique du Sud.
Evoquant ce nouveau représentant de la lignée humaine, Bruno Maureille, paléontologue à l’Université de Bordeaux, qualifie cette découverte "d’exceptionnelle" et même "d'inouïe" pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’il ne s’agit pas, comme cela est très souvent le cas, de quelques os ou d’un seul individu mais de plusieurs milliers de vestiges, dont certains d'entre eux appartiennent à des individus dont on possède plusieurs membres pour des périodes aussi anciennes. En outre, les scientifiques dirigés par Lee Berger, de l'University de Witwatersrand ont également découvert sur ce même site des vestiges humains provenant de classes d'âge très rarement représentées, comme des nouveau-nés.
Bien que ces restes pré-humains n'aient pas encore été datés avec précision, ils pourraient avoir environ 2,5 millions d’années, selon le Professeur Berger. Homo naledi est un primate d'environ 1,50 mètre à l'âge adulte, pour 45 kg. Il possède des pieds et des jambes particulièrement adaptées à la marche bipède sur longue distance. En revanche, ses dents et ses mains semblent indiquer une forte adaptation à la vie arboricole et, au total, il se rapprocherait assez d’Homo Habilis, le plus ancien membre du genre Homo et sans doute le premier à utiliser des outils, découvert en 1960 en Tanzanie et vieux d’au moins 2,5 millions d'années.
Cette superbe découverte vient également conforter le schéma d’une évolution humaine extrêmement diversifiée et se caractérisant par une double arborescence : celle des espèces et celle des genres. L’existence d’Homo naledi confirme notamment que des genres Australopithecus et Homo ont co-existé sur une très longue période.
Mais, derrière la découverte de cette Homo Naledi, se cache une autre découverte, peut-être encore plus extraordinaire, liée à la disposition tout à fait inhabituelle des ossements. Ces derniers ont en effet été retrouvés dans une partie très difficile d'accès de la grotte et les scientifiques n’ont trouvé aucune trace sur ces os de l'action d'un animal qui aurait pu tuer ces hominidés.
Dès lors, une question lancinante se pose : comment ces corps se sont-ils retrouvés dans cette grotte qui n'a jamais été en contact direct avec la surface ? Selon une première hypothèse, il est possible, bien que peu probable, que nos lointains ancêtres se soient retrouvés pris au piège dans cette grotte à la suite d’un événement naturel, tel qu’un éboulement.
Mais une autre hypothèse fascinante est envisagée par les scientifiques : celle d’un acte funéraire volontaire ! Mais si tel était le cas et si ces corps avaient bien été disposés de manière ordonnée dans cette grotte, cela remettrait profondément en cause toute l’histoire de l’évolution humaine et l’idée que nous nous faisons de notre espèce.
En effet, jusqu’à présent, il était admis qu’il a fallu attendre l’apparition de certaines espèces de pré-néandertaliens, comme Homo heidelbergensis, pour voir apparaître les premiers rites funéraires il y a environ 400 000 ans. S’il y a donc eu placement intentionnel de ces corps dans ce lieu si particulier, il faudrait donc reculer de plus de 2 millions d’années l’apparition des premiers rites et comportements culturels complexes…
Il y a quelques années encore, une telle hypothèse aurait semblé absurde et peu crédible d’un point de vue scientifique. Mais une autre découverte, intervenue il y a deux ans sur le site de Dikika, en Ethiopie, semble prouver que les australopithèques utilisaient des outils il y a 3,4 millions d'années et que cette pratique n'est plus l’exclusivité du genre Homo (Voir Science Daily).
Cette étude, dirigée par l'anthropologue Jessica Thompson (Emory University), a réalisé un véritable travail de fourmi en analysant au microscope plus de 4000 fossiles de faune récupérés sur ce site éthiopien et en identifiant 450 marques sous forme d’entaille. Les scientifiques ont ensuite comparé statistiquement les caractéristiques des entailles sur les fossiles aux marques expérimentales et le résultat est sans appel : les marques sur certains os n’ont pas été causées par des morsures d’animaux mais très probablement par des outils conçus et fabriqués pour le dépeçage…
Cette remarquable étude confirme donc l’hypothèse d’un dépeçage de grands animaux avec des outils il y a 3,4 millions d’années. Si cette hypothèse se trouve confirmée par d’autres découvertes du même genre, cela voudrait dire que ces pierres taillées seraient plus vieilles de 700 000 ans, par rapport aux plus anciens outils connus à ce jour et que certains australopithèques étaient déjà capables de façonner des outils relativement sophistiqués bien avant l’apparition d’Homo habilis et des premiers représentants du genre Homo, il y a environ 2,8 millions d’années.
Beaucoup plus près de nous dans le temps, c’est un autre scénario concernant l’évolution humaine qui vient d’être bouleversé par plusieurs études récentes : celui de la coexistence entre Home sapiens et l’homme de Neandertal, puis de l’arrivée et de la dissémination de l’homme moderne en Europe. Jusqu’à présent, il était généralement admis par la communauté scientifique que le métissage entre Neandertal et Homo sapiens avait eu lieu au Proche-Orient, il y a 50.000 à 60.000 ans, avant que l’homme moderne parte à la conquête de l’Europe et l’Asie.
Mais une étude menée par le paléoanthropologue chinois Qiaomei Fu (Key Laboratory of Vertebrate Evolution and Human Origins of Chinese Academy of Sciences de Pékin, Chine) a analysé le génome d’une mâchoire humaine âgée de 37.000 à 42.00 ans, mise au jour en Roumanie sur le site d’Oase (Voir Nature). Ces travaux ont permis de montrer que ce métissage a également eu lieu en Europe, au cours d’une courte période de 5.000 ans au moins. Ces recherches ont également révélé que 11 % du génome du fossile provient d'un ancêtre néandertalien.
En janvier 2014, deux études publiées dans les revues Science et Nature (voir Science et Nature) avaient déjà montré que les humains actuels d'origine européenne ou asiatique ont hérité en moyenne de 1 à 3 % du génome de leur cousin, dont l'espèce s'est éteinte il y a environ 30 000 ans. En revanche, les Homo sapiens provenant d’Afrique ne possèdent pratiquement pas d'ADN de Neandertal, très probablement parce qu'il n'y a pas eu de croisement entre ce dernier, qui vivait en Eurasie, et leurs ancêtres.
Fait particulièrement intéressant, ces recherches ont révélé de grandes régions du génome moderne non-africain dépourvues d'ADN néandertalien, et d'autres où, au contraire, l'héritage de l'homme de Neandertal était plus important que prévu. Cette répartition pourrait être le fruit, selon les chercheurs, de la sélection naturelle : l'homme moderne aurait progressivement éliminé de son patrimoine génétique les gènes de l'homme de Neandertal qui lui étaient défavorables dans son nouvel environnement. Homo sapiens aurait en revanche conservé certains gènes de Neandertal pouvant lui procurer un avantage adaptatif.
Enfin, il y a quelques jours, deux études menées indépendamment l’une de l’autre, ont éclairé d’une lumière nouvelle le scénario du peuplement de l'Europe (Voir The New York Times). En s’appuyant sur de multiples analyses comparatives entre des fragments d'ADN ancien, prélevé sur des ossements humains et des échantillons d’ADN prélevé sur des hommes modernes, ces deux équipes de chercheurs, l'une danoise et l'autre américaine, sont parvenues conjointement à produire le scénario du peuplement de l'Europe le plus précis et le plus complet jamais proposé à ce jour.
Ces recherches montrent que le peuplement de l'Europe résulterait de trois grandes migrations, intervenues à des périodes différentes. Une première migration aurait eu lieu il y a 45.000 ans environ. Puis, il y a 8.000 ans, des agriculteurs issus de l'actuel Proche-Orient auraient à leur tour migré en Europe. Enfin, un groupe de nomades appartenant à la culture dite de Yamna, qui s’était développée en Russie, serait arrivé en Europe occidentale il y a environ 4.500 ans.
Ces trois migrations successives expliqueraient pourquoi jusqu'à -9.000 ans, l'Europe était le siège d’'une population génétiquement distincte de celle des chasseurs-cueilleurs. Puis, entre -9.000 et -7.000 ans, le patrimoine génétique des populations européennes s’est transformé sous l'effet des migrations en provenance du Proche-Orient. Toutefois, les chasseurs-cueilleurs n'ont pas disparu et ont poursuivi leur évolution aux côtés de ces nouvelles communautés de fermiers issus du Proche-Orient. Selon David Reich, qui a conduit cette étude passionnante, « Il s’agit d’un incroyable processus culturel dans lequel deux groupes qui sont génétiquement distincts vivent côte à côte durant des centaines d'années. Puis, entre -7.000 et -5.000 ans, des gènes issus des chasseurs-cueilleurs se retrouvent dans le génome des fermiers proche-orientaux : il y a alors une rupture de ces barrières culturelles, et ils se mélangent ».
Quant à la troisième et dernière migration, il y a 4.500 ans, elle aurait provoqué la diffusion, dans le génome des hommes européens, de nouveaux gènes issus des populations indo-européennes appartenant à la culture Yamna. Cette dernière vague migratoire devait avoir des conséquences considérables puisque les linguistes estiment que la majorité des langues parlées aujourd'hui en Europe proviennent précisément de la culture Yamna.
Enfin, une étude française conduite par l’équipe de Benjamin Sadier (CNRS-Université de Savoie) a confirmé de manière très solide en mai 2012 (Voir PNAS) que les extraordinaires peintures rupestres découvertes en 1994 dans la grotte Chauvet, en Ardèche, avaient bien été réalisées il y a 30 à 36 000 ans et n’étaient pas l’œuvre plus récente des Magdaléniens (les hommes qui ont orné la grotte de Lascaux il y a 15 000 ans), comme le soutenaient encore certains paléontologues.
Ces peintures préhistoriques qui témoignent d’un niveau de maîtrise technique et d’un sens artistique absolument extraordinaires nous conduisent à revoir entièrement le schéma et la chronologie de l’évolution artistique, culturelle, spirituelle et esthétique d’Homo sapiens.
De Lucy à nos ancêtres de la grotte Chauvet, en passant par cet Homo naledi si troublant qui vient d’être découvert, nous ne pouvons qu’être émerveillé par l’évolution foisonnante des différentes espèces pré-humaines et humaines qui se sont côtoyées et succédées depuis l’apparition des premiers hominidés, il y a sept millions d’années.
Ces avancées récentes et tout à fait majeures de la science nous révèlent à présent un nouveau scenario de l’évolution humaine bien plus riche et complexe qu’on ne l’imaginait encore récemment et nous montrent également que, depuis la nuit des temps, l’homme n’a cessé d’inscrire sa progression et son histoire dans une spirale où se mêlent de manière indissociable et synergique mutations génétiques, changements environnementaux, progrès techniques, évolutions sociales, quêtes artistiques et interrogations spirituelles. Ce « Phénomène Humain », comme l’appelait Teilhard de Chardin, n’a pas fini de nous étonner et de nous interroger sur les mystères de nos origines et de notre destin…
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat