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Edito : Prévenir la maladie d'Alzheimer : le grand défi de ce début de siècle

La maladie d'Alzheimer et les autres formes de démence touchent environ 35 millions de personnes dans le monde, selon une étude publiée en novembre 2009 de la fédération "Alzheimer's Disease International" (ADI), qui regroupe 70 associations nationales, et ce nombre devrait atteindre 66 millions en 2020 et plus de 100 millions d'ici 2050 (dont 2 millions en France).

En France, le nombre de personnes de plus de 60 ans passera de 20,6 % de la population totale en 2000, à 35 % en 2050. Aujourd'hui, près de 10 millions de Français ont 65 ans ou plus, ils pourraient être 18,7 millions en 2050, soit 29,2 % de la population en 2050 (18,1 % pour les 75 ans ou plus et encore 7,5 % pour les 85 ans ou plus).

Quant aux personnes âgées de plus de 85 ans, au nombre de 1,3 million en 2005, elles seront 2,1 millions dès 2020.

Heureusement, l'espérance de vie sans incapacité a augmenté plus vite que l'espérance de vie générale (9 ans depuis 1970) mais, selon des chiffres de 1991, les hommes doivent affronter la perspective de vivre 5,6 ans en moyenne avec incapacité et les femmes, 8 ans. Par exemple, 5 % des 70-79 ans ont besoin d'aide pour la toilette, 19 % des 80-89 ans et 44 % des 90 ans ou plus. En outre, à partir de 60 ans, 75 % des personnes déclarent une ou plusieurs déficiences de gravité très variable et 22,6 %, plusieurs déficiences physiques.

La maladie d'Alzheimer et les syndromes apparentés concernent environ 855 000 personnes en France et l'on estime à plus de 225 000 le nombre de nouveaux cas chaque année. Si l'on inclut l'entourage familial, ce sont ainsi près de trois millions de personnes qui sont directement touchées par la maladie Alzheimer et, selon les prévisions de l'Insee, près de 1,3 million de personnes seront atteintes d'ici à 2020, soit un Français de plus de 65 ans sur quatre. Entraînant une diminution de l'espérance de vie qui s'accroît avec l'âge des personnes atteintes, la durée de survie moyenne est estimée à cinq ans à partir de l'établissement du diagnostic. La démence touche également davantage les femmes et constitue la principale cause d'entrée en institution. (Voir rapport de l'OPECST">rapport de l'OPECST)

La maladie frappe 5 % des plus de 65 ans, 25 % des plus de 80 ans. Les estimations françaises chez les plus de 75 ans sont de 13,2 % pour les hommes et 20,5 % pour les femmes. Environ 65 000 décès sont dus à cette maladie chaque année, autant de morts que ceux provoqués par l'alcool ou le tabac.

Le coût financier s'élève, pour les dépenses strictement médicales, à 5 731 ? par malade. (Total estimé à 1 milliard d'euros par an, dont 97 % pris en charge par l'assurance maladie) et pour les dépenses médico-sociales à 16 307 ? par malade. Au total, un malade représente 22 099 ? de dépenses annuelles. L'APA (allocation personnalisée d'autonomie) couvre une grande part des frais engagés, mais 55 % de ces dépenses restent à la charge des familles.

Il se passe généralement trois années avant qu'un malade ne signale des symptômes de démence au médecin et 58 % des aidants estiment les symptômes « normaux » dans le cadre du vieillissement. Seuls 31 % des médecins estiment qu'ils ont reçu une formation suffisante pour diagnostiquer la démence.

Pourtant, en matière de prévention de la maladie d'Alzheimer, on sait depuis plusieurs années, grâce à plusieurs études convergentes, que l'exercice physique et les activités sociales jouent un rôle déterminant dans le bon maintien des facultés cognitives. On sait également que la prise régulière d'anti-inflammatoires semble exercer un effet protecteur sensible contre cette affection redoutable. En mai 2008, une vaste étude américaine (publiée dans la revue Neurology), dirigée par Steven Vlad de l'Université de Boston et concernant 49 000 personnes suivies sur 5 ans, a ainsi montré que l'usage à long terme de l'ibuprofène, médicament anti-inflammatoire non stéroïdien pourrait réduire de 40 % le risque de développer la maladie d'Alzheimer.

Par ailleurs, une vaste étude franco-australienne a montré que diminuer la pression artérielle chez les personnes âgées permet de réduire le nombre de lésions qui touchent la substance blanche du cerveau et qui, à terme, pourraient augmenter le risque de problèmes cognitifs ou de démence. Des chercheurs de l'Inserm ont en effet montré que les personnes sous anti-hypertenseurs développaient deux fois moins de lésions que les autres. Cette étude a également montré que le volume des nouvelles lésions était cinq fois moins important parmi les sujets sous anti-hypertenseur. Ces résultats confortent donc la notion selon laquelle le traitement de l'hypertension artérielle protège le cerveau. Les auteurs estiment donc que l'abaissement de l'hypertension est un facteur important dans la prévention des troubles cognitifs liés au vieillissement, sachant que 80 % des gens de plus de 65 ans sont concernés par l'hypertension.

En matière alimentaire, de récentes études américaines ont montré que certains acides gras, et notamment les oméga-3 contenus dans certains poissons, exerçaient un puissant effet protecteur sur les neurones en empêchant le déclenchement de la maladie d'Alzheimer ou en ralentissant sa progression.

C'est ainsi qu'il y a quelques semaines, des chercheurs américains ont identifié un élément naturel de l'huile d'olive vierge extra qui prévient la dégradation des cellules, qui provoque la démence des personnes atteintes d'Alzheimer. Cet antioxydant, l'oléocanthal, qui donne sa saveur poivrée à l'huile d'olive, empêche la destruction des synapses dans l'hippocampe, la zone du cerveau responsable de l'apprentissage et de la mémoire, la première à être touchée par la maladie. (Voir lettre 533 du 6 décembre 2009).

"Ces découvertes pourraient aider à identifier des mesures de prévention efficaces et déboucher sur des traitements améliorés dans la lutte contre la maladie d'Alzheimer", déclare le Dr Paul Breslin, du Monell Chemical Senses Center à Philadelphie, et auteur principal de l'étude, dans un communiqué. Une autre étude américaine a montré que manger suffisamment de légumes aide les personnes âgées à conserver un cerveau jeune et en bonne santé, et pourrait même retarder le déclin mental parfois associé au vieillissement. L'étude fait ainsi apparaître que ceux qui mangent plus de deux portions de légumes par jour semblent environ cinq ans plus jeunes au bout de six ans de suivi que ceux qui en ont mangé en petite quantité ou pas du tout.

Par ailleurs, de récentes études américaines viennent de montrer que certains acides gras, et notamment les oméga-3 contenus dans certains poissons, exerçaient un puissant effet protecteur sur les neurones en empêchant le déclenchement de la maladie d'Alzheimer ou en ralentissant sa progression. Au cours des dernières années, trois grandes études épidémiologiques ont montré par ailleurs que les statines, des médicaments bien connus pour réduire le cholestérol sanguin, seraient des agents protecteurs particulièrement efficaces. Elles permettraient de réduire jusqu'à 70 % le risque de développer des démences comme la maladie d'Alzheimer.

Une autre étude américaine, menée par les docteurs Paul A. Adlard, et Carl W. Cotman, de l'Université de la Californie, vient par ailleurs de confirmer qu'un simple exercice physique quotidien peut prévenir ou retarder l'apparition de la maladie d'Alzheimer. Enfin, plusieurs études récentes montrent que la pratique régulière d'une activité physique exerce un puissant effet antidépresseur, notamment chez les personnes âgées.

Sur le plan médical, on sait à présent, grâce à des autopsies de personnes asymptomatiques, que les premiers signes de la maladie d'Alzheimer peuvent être détectés dans le cerveau avant l'âge de 40 ans, comme le souligne le professeur Bruno Dubois, neurologue à l'hôpital de la Salpêtrière (Paris) et président du comité scientifique de l'association France-Alzheimer. Tous les chercheurs tentent aujourd'hui d'identifier les cas de pré-Alzheimer, car les traitements actuels sont d'autant plus efficaces qu'ils sont prescrits tôt. Le diagnostic très précoce pourrait, selon les travaux de l'équipe de Bruno Dubois, reposer sur l'étude de la mémoire des faits récents.

Mais pour prévenir la maladie d'Alzheimer, il ne suffit pas de maintenir une activité intellectuelle et de pratiquer un exercice physique régulier, il faut également maintenir une vie affective et sociale riche. Des chercheurs américains ont en effet publié, dans la revue Archives of General Psychiatry, les résultats d'une enquête suggérant que la lutte contre la solitude des personnes âgées pourrait être une arme contre cette maladie, en plus de leur offrir une fin de vie sans doute plus heureuse.

Le travail de l'équipe de l'université Rush de Chicago a été mené en examinant pendant quatre années 823 personnes de 80 ans en moyenne, volontaires pour participer à une grande étude sur le vieillissement, ne présentant au départ aucun trouble neurologique et acceptant de faire don de leur cerveau après leur décès pour qu'il soit examiné. Pendant les quatre années de l'enquête, sur les 823 personnes sélectionnées au départ, 76 ont développé une démence de type Alzheimer et 90 décès de toutes causes ont été observés.

En analysant le risque de souffrir d'une démence en fonction du sentiment de solitude, les auteurs de l'étude ont pu mettre en évidence le fait que les personnes âgées souffrant le plus de solitude (avec un score de 3,2 lors du premier test au début de l'enquête) avaient deux fois plus de risque de plonger dans la maladie d'Alzheimer que celles se plaignant le moins d'être seules (score de 1,3).

Cette étude montre également, en s'appuyant sur les résultats de l'examen du cerveau de 90 personnes âgées décédées au cours des quatre ans qu'a duré la surveillance que c'est bien le sentiment de solitude qui conduirait à la démence et non l'inverse. « Le sentiment de solitude est associé à un déclin des fonctions intellectuelles et au développement d'une démence, selon des mécanismes physiopathologiques propres différents de ceux de la maladie d'Alzheimer », concluent les auteurs. Le sentiment de solitude et d'isolement doit donc être considéré comme un facteur de risque propre de la maladie d'Alzheimer, ce qui confirme la dimension sociale très forte de cette pathologie.

Si nous voulons mettre en place dans notre pays une ambitieuse politique de prévention de la maladie d'Alzheimer, nous devons donc actionner simultanément plusieurs leviers : prise en charge précoce et généralisée de l'hypertension, éducation alimentaire, promotion d'une bonne hygiène de vie et d'un exercice physique régulier, encouragement des activités sociales et cognitives pour les seniors, et tests cognitifs généralisés dès 40 ans.

Une telle politique globale de prévention pourrait prévenir ou retarder de manière très importante l'apparition de la maladie d'Alzheimer et sa cascade de conséquences désastreuses sur le plan humain, social et économique. Malheureusement, nous restons en France dans une logique de « primauté thérapeutique ». Convaincus par la toute puissance de la science, nous comptons d'abord sur les progrès de la médecine pour parvenir à soigner et à guérir cette terrible maladie.

Il serait pourtant possible, pour un coût raisonnable, de mettre en place sur le long terme une politique efficace de prévention de la maladie d'Alzheimer, en nous appuyant sur les récentes découvertes des facteurs qui protègent le cerveau de cette pathologie destructrice. Bien entendu, une telle prévention active et généralisée n'est concevable qu'en synergie avec un effort accru en matière de recherche fondamentale pour mieux comprendre les mécanismes intimes de cette maladie complexe et multifactorielle. Même en nous fixant l'objectif modeste de diminuer de seulement 20 % le nombre de nouveaux malades de l'Alzheimer chaque année, grâce à la mise en place d'une vraie politique de prévention de cette maladie, cela ferait 50 000 malades en moins chaque année, soit un million de malades en moins au bout d'une génération.

En s'appuyant sur ces nouvelles connaissances scientifiques, notre pays, comme il a su le faire avec le plan cancer initié par Jacques CHIRAC, doit se donner les moyens de mettre en oeuvre sur le long terme un vaste programme de prévention et de dépistage précoce de l'Alzheimer afin que notre pays puisse relever les immenses défis sociaux du vieillissement qui nous attendent.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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