RTFlash

Edito : Par notre alimentation, nous décidons de notre avenir

Alors que le Groupe de Prospective du Sénat organise dans quelques jours, le 7 février, un important colloque consacré à l'alimentation du futur, de récentes études sont venues confirmer le rôle majeur de notre alimentation dans la prévention des grandes pathologies qui touchent les pays développés. La première de ces études est irlandaise et montre qu'une alimentation enrichie à la fois en vitamine B12 et en acide folique (B9) contribuerait à réduire le risque de maladies cardio-vasculaires ( Lancet du 19-01-02 http://www.thelancet.com/journal). Ce double apport de suppléments est en effet de nature à faire baisser dans le sang le niveau d'une protéine, l'homocystéine, qui représente un facteur de risque de maladie cardiovasculaire (infarctus...), expliquent le Dr Joe McPartlin du Trinity College à Dublin (Irlande) et ses collègues (Université d'Ulster, à Coleraine). L'équipe irlandaise a étudié les effets des supplémentations en vitamines B12 et acide folique sur la teneur sanguine en homocystéine de 30 hommes et 23 femmes. Après avoir reçu des doses croissantes d'acide folique, c'est la vitamine B12 qui est le principal déterminant de la concentration de cette protéine chez ces personnes, selon l'étude. "Ces résultats suggèrent qu'une politique d'enrichissement des apports en acide folique et vitamine B12, ne se limitant pas au seul acide folique, devrait être beaucoup plus efficace pour réduire les taux d'homocystéine avec comme bénéfices potentiels, la réduction du risque cardio-vasculaire", commente le Dr Joe McPartlin. L'ajout d'acide folique dans les céréales est obligatoire aux Etats-Unis depuis 1998. Au Royaume-Uni, cette mesure est devenue possible après les recommandations d'une commission gouvernementale d'experts, le COMA (Government's Committee on Medical Aspects of Food and Nutrition Policy), de supplémenter la farine de blé, ajoutent les auteurs. En France, 10 % des décès d'origine coronarienne (infarctus) seraient liés à un taux élevé d'homocystéine, selon des spécialistes. L'acide folique est décidément sous les feux de la rampe des scientifiques car une autre étude publiée dans "The Journal of Neurochemistry" (http://www.jneurochem.org ) suggère qu'une déficience en acide folique - ou vitamine B9 - augmenterait le risque de maladie de Parkinson. Mark Mattson, chef du laboratoire de neurologie au National Institute on Aging, aux Etats-Unis, a démontré que les souris présentant un déficit en acide folique ont également un taux élevé d'homocystéine dans le sang comme dans le cerveau. Mattson souligne enfin que chez l'homme, les patients souffrant de maladie de Parkinson présentent généralement un important déficit en acide folique. Pour l'heure, impossible de savoir " s'il s'agit d'un processus lié à l'affection elle-même ou si les malades sont malnutris du fait de leur mal. " Quoi qu'il en soit, " la consommation d'acide folique en quantités suffisantes confère une relative protection contre les maladies dégénératives. " selon les auteurs de l'étude. Autres résultats dont nous nous faisions l'échos dans notre lettre 161, ceux de l'étude épidémiologique la plus importante jamais conduite sur les relations entre l'alimentation et le cancer : Depuis 1992, des chercheurs de dix pays d'Europe collaborent à EPIC (European Prospective Investigation Into Cancer and Nutrition), une étude portant sur un demi-million de personnes ! http://www.iarc.fr/pageroot/UNITS/NTR.HTM ) Des prises de sang régulières, stockées dans l'azote liquide pour des analyses ultérieures, les mensurations des sujets enregistrées, ainsi que leur état de santé... À Lyon, en juin 2001, les premiers résultats ont été dégagés : Une consommation quotidienne de 500 grammes de fruits et de légumes diminue de moitié l'incidence des cancers des voies aérodigestives, et réduit notablement celle des cancers du côlon ou du rectum ! En matière cardio-vasculaire, une étude italienne a également montré le bénéfice de ce type de régime méditerranéen (céréales, fruits et légumes frais, poisson et huile d'olive) dans la prévention des récidives d'infarctus du myocarde (voir @RTFlash 155 http://www.tregouet.org/lettre/index.html ) . Pour cela, plus de 11 000 italiens victimes d'un infarctus du myocarde ont rempli un questionnaire portant sur leur alimentation immédiatement après l'incident cardiaque, ainsi que 6, 12 et 42 mois plus tard. Il apparaît que les patients consommant le plus de beurre ou d'huile végétale avaient un risque de décès dans les 42 mois qui suivent leur infarctus du myocarde trois fois supérieur à ceux qui consommaient le plus de l'huile d'olive, des fruits, des légumes frais et du poisson. Le bénéfice de ce régime est lié à sa richesse en antioxydants (dans les fruits et légumes), en acides gras mono-insaturés (dans l'huile d'olive) et en acides gras poly-insaturés (dans le poisson). Une alimentation riche en fruits, légumes frais, poissons, huile d'olive et pauvre en beurre et huile végétale autre que celle provenant de l'olive (alimentation dénommée régime méditerranéen) est donc bénéfique dans la prévention des récidives cardio-vasculaires. Son intérêt ne se limite pas là : les auteurs indiquent que le bénéfice de ce régime concerne également les obèses. Une autre étude récente, publiée dans le "Lancet" montre à quel point notre alimentation devient un acte de prévention médicale. Tout le monde connaît la vitamine C, appelée aussi acide ascorbique. Les études déjà menées sur ses répercussions sur la santé laissent croire à un effet plutôt favorable, mais les résultats n'étaient pas formels. Une nouvelle étude sur près de 20.000 personnes vient d'être réalisée par une équipe britannique (voir @RTFlash 179 http://www.tregouet.org/lettre/index.html). Cette étude porte sur 8 860 hommes et 10 636 femmes, âgés de 45 à 79 ans. Leur suivi s'est étalé sur 2 à 6 ans. Les auteurs ont analysé leur taux sanguin en acide ascorbique. Ils ont retrouvé une relation inverse avec la mortalité : c'est à dire que plus le taux plasmatique en acide ascorbique est élevé, plus la mortalité est faible, et ce, quelles que soient les causes de mortalité. Enfin, une récente étude finlandaise publiée dans la revue European Journal of Clinical Nutrition (voir @RTFlash 174

http://www.tregouet.org/lettre/index.html) sur la consommation de produits laitiers a montré que le lait et ses dérivés diminueraient de plus de la moitié les risques de cancer colorectal. Les participants à cette étude ont été classés selon 4 groupes (quartiles) en fonction du niveau de leur consommation de produits laitiers. La consommation de lait et de ses dérivés a été trouvée inversement proportionnelle à l'incidence des cancers du colon. En conclusion, les auteurs disent qu'il y a une relation entre la consommation de lait et un risque potentiellement réduit de cancer du colon. Ces différentes études, parmi les plus récentes, sont édifiantes et montrent que nos choix et nos comportements alimentaires jouent un rôle tout à fait déterminant dans la prévention des grandes pathologies qui sont majeures dans notre pays (le cancer, les maladies cardio-vasculaires et les maladies neurodégénératives), responsables de la majorité des décès dans notre pays. En modifiant de manière appropriée notre alimentation, compte tenu de notre profil génétique et de nos prédispositions à ces pathologies, on pourrait probablement diminuer à terme d'au moins un tiers le nombre de cancers et de maladies cardio-vasculaires en France et probablement prévenir ou retarder l'apparition de certaines maladies neuro-dégénérative graves en pleine expansion à cause du vieillissement de notre population. De tels effets positifs en matière de prévention, avec toutes leurs conséquences positives en matière sociale, économique et humaines constitueraient évidemment un immense progrès en matière de santé publique et au-delà en matière de société. Cet enjeu de société majeur que constitue l'évolution de nos comportements alimentaires sera d'ailleurs l'un des grands volets abordé par notre colloque du 7 février sur l'alimentation, sous le titre "La nutrition, déterminant majeur de la santé ". Il reste que nos habitudes alimentaires résultent de facteurs géographiques, sociaux, familiaux et culturels aussi puissants que complexes et qu'il n'est pas facile de modifier ses goûts et ses habitudes culinaires. En outre, rien n'est simple en matière de nutrition et il n'y a pas de régime "universel" idéal : ce qui est bon pour moi, en fonction de mon âge, de mon sexe et de mon hérédité ne le sera pas pour mon voisin. Enfin, les sciences de la nutrition sont d'une redoutable complexité et de nombreux aliments peuvent avoir à la fois des effets bénéfiques dans la prévention de certaines maladies tout en augmentant les risques pour d'autres pathologies. Il faut donc rester toujours très prudent en matière d'alimentation et se garder de toute position dogmatique. Il n'en reste pas moins vrai qu'apprendre à chacun, dès son plus jeune âge, à se nourrir correctement, en fonction de son profil personnel mais aussi de ses goûts, est devenu un enjeu d'éducation et santé publique essentiel. Toutefois, les habitudes alimentaires, comme l'évolution démographique, sont des tendances "lourdes" qui ne peuvent être infléchies et produire leur plein effet bénéfique qu'à l'issue de plusieurs décennies. Mais quels que soient les progrès qui interviendront dans la connaissance scientifique de l'alimentation, de la production à la consommation, nous ne devons jamais oublier qu'il n'y a pas de rituel plus social et plus culturel qu'un repas et que manger doit rester un plaisir. Rien ne serait plus triste qu'une société qui imposerait à tous une alimentation standardisée, insipide et "scientifiquement correcte". L'alimentation de demain devra donc réussir à intégrer les connaissances scientifiques en matière de nutrition et à améliorer sensiblement notre santé, tout en relevant les défis de la diversité, de la production respectueuse de l'environnement et de la qualité gustative.

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

Noter cet article :

 

Recommander cet article :

back-to-top