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Edito : La nouvelle économie n'est pas celle de la gratuité mais celle du partage

Après avoir erré pendant des dizaines de millénaires, l'Homme a créé la civilisation moderne en devenant propriétaire d'un lieu, d'un espace sur lequel il s'est sédentarisé. Cette notion de propriété est co-substantielle de l'idée de la cité sur laquelle, depuis les grecs anciens, repose la Démocratie. Or, sans que nous en ayons encore bien conscience, ce socle qui soutient nos sociétés modernes depuis plus de 40 siècles est en train de se fissurer. Alors que depuis des millénaires, des guerres meurtrières et souvent fratricides ont été déclarées, et malheureusement se déclarent encore, pour conserver ou conquérir de nouveaux territoires qui nourrissent l'idée de patrie dès que la terre et le sang se mélangent, il est intéressant de noter que dans nos sociétés les plus avancées l'Homme accorde dorénavant plus d'importance au Temps qu'à la propriété d'espaces nouveaux. Nos ancêtres qui avaient besoin d'espace pour se nourrir et donc pour seulement survivre ne disposaient que de peu de temps puisque très souvent leur vie était très brève (moins de 30 ans sous Robert II le Pieux en l'An 1001). Or, le temps a cette particularité singulière face à l'espace, au sol, aux objets : personne ne peut en être propriétaire. Un bien rare est cher : les règles du marché ne s'appliquent pas au temps. Si nous revenons à nos ancêtres, il y a mille ans, nous constatons que leur vie était liée au rythme long des saisons et qu'hormis la phase vitale de reproduction, le temps était plus dicté par les semailles et les récoltes que par le quotidien. Aujourd'hui, alors que les enfants qui naissent en ce début du 3e millénaire dans nos pays sanitairement développés ont une chance sur deux de devenir centenaires, jamais le temps n'a semblé si rare. « Je n'ai pas le temps » est devenu une expression commune dans nos sociétés modernes. Notre vie est de plus en plus longue. Le temps mis à notre disposition est de plus en plus abondant et pourtant il nous devient de plus en plus précieux : nous sommes aux antipodes des règles d'airain du marché. Cela va nous obliger en ce début de troisième millénaire à repenser tous nos systèmes économiques : celui qui gagnera demain ne sera plus celui qui détiendra le plus de biens mais celui qui sera le plus rapide. C'est donc bien la notion de propriété qui se trouve en première ligne. La rapidité avec laquelle on peut accéder à l'usage d'un bien va devenir plus importante que sa possession. L'ère industrielle qui avait supplanté nos sociétés agraires en permettant au plus grand nombre de devenir propriétaire de biens matériels va devoir inexorablement s'effacer devant une nouvelle économie qui, instantanément, mettra à disposition de chacun, dans la limite de ses capacités contributives, les biens et les services dont il a besoin. Cette nouvelle économie avec ses nouvelles approches sociales et culturelles qui, très rapidement, va faire éclore une nouvelle politique (gestion de la cité), et donc une nouvelle Démocratie, est en train de prendre forme sous nos yeux sans que nous sachions encore bien la distinguer. Les biens immatériels devenant dorénavant plus importants que les biens matériels, ces nouveaux biens vont être mis à la disposition du plus grand nombre sans qu'il soit nécessaire d'en acquérir la propriété. Hier, seules les entreprises les plus riches pouvaient acquérir des logiciels « propriétaires » très onéreux. Maintenant, grâce aux nouvelles technologies, des millions d'utilisateurs peuvent instantanément accéder à des logiciels ouverts tout en ne réglant que des coûts marginaux. L'erreur qui a été faite lors des balbutiements de la nouvelle économie à la fin du 20e siècle a été de confondre la liberté avec la gratuité. Si nous voulons que la pompe de la nouvelle économie s'amorce avec force, il faut que nous acceptions de rémunérer l'usage d'un bien. La notion de propriété d'un bien va de plus en plus s'effacer pour laisser place à l'usage de ce bien mais pour que cette profonde mutation se passe sans trop de heurts, il nous faut très vite comprendre que la nouvelle économie n'est pas celle de la gratuité mais celle du partage.

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

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