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Edito : Un nouveau monde est en train de naître

La CIA vient de publier un rapport très intéressant intitulé "Mapping the Global Future". Cette étude brosse un panorama du monde en 2020 qui mérite d'être méditée.

Ce rapport souligne le vieillissement des populations dans la plupart des pays occidentaux ou au Japon, l'accroissement de l'insécurité globale et le rôle clé joué par les nouvelles technologies dans le développement économique. Mais il soutient aussi, avec insistance, combien la face du monde sera changée par l'avènement de nouvelles superpuissances, notamment la Chine et l'Inde.

Ce n'est plus simplement la crainte de voir s'effriter la toute puissance américaine qui s'exprime, mais bien la conviction du caractère inéluctable de l'émergence des grands pays asiatiques, et les bouleversements qu'elle entraînera. Ainsi, en soulignant le fait que "la Chine et l'Inde sont bien placés pour devenir des leaders technologiques", et que tous deux "afficheront des PNB surpassant ceux de la plupart des puissances économiques occidentales", le rapport insiste sur "l'impact majeur, au plan géopolitique, économique ou militaire" de l'émergence de ces pays, engendrant une transformation comparable au développement de l'Allemagne au 19e siècle et à l'apparition de la puissance américaine au 20e siècle. "On estime souvent que le 20e siècle a été le siècle de l'Amérique. Le 21e siècle pourrait bien être celui de l'Asie", lit-on.

Le nouveau rôle de la Chine dans l'économie mondiale s'est d'ailleurs affirmé de manière éclatante lors du dernier forum de Davos : au cours de cette rencontre où se retrouvent les dirigeants économiques et politiques de la planète, le vice-Premier ministre chinois Huang Ju a rappelé les performances économiques de son pays : avec une croissance annuelle de plus de 9,4 % en moyenne entre 1997 et 2003, la Chine, qui représentait 1 % de l'économie mondiale en 1976, en pèse désormais quelque 4 % et devrait quadrupler son poids d'ici 2020. L'OCDE prévoit pour sa part qu'à ce rythme le PIB chinois pourrait rattraper celui du Japon en 2020 et celui des Etats-Unis en 2040 !

Quant à l'Inde, son produit intérieur brut (PIB) a dépassé les 600 milliards de dollars en 2004. Le taux de croissance économique, qui dépassait à peine 3 p. 100 par an entre 1970 et 1980, a doublé en quinze ans, atteignant 6 % en moyenne depuis 2002. L'Inde se distingue des autres pays asiatiques par l'importance numérique et la qualité de sa main d'oeuvre scientifique de langue anglaise, la seconde dans le monde après les Etats-Unis. 100.000 ingénieurs en informatique sont formés chaque année avec une compétence reconnue mondialement.

"La manière dont nous nous représentons le monde en 2020 changera radicalement. Les puissances émergentes - la Chine, l'Inde et peut-être d'autres comme le Brésil ou l'Indonésie - ont le potentiel de rendre obsolètes les anciennes catégories Est/Ouest, Nord/Sud, pays alignés/non alignés, développés/en voie de développement", prévoit-on, anticipant la "coexistence d'un monde aux frontières marquées avec un monde fait de mégalopoles, liées entre elles par des flux commerciaux, financiers et de télécommunications".

Dans ce monde global, les grandes entreprises, "plus asiatiques qu'occidentales", "échapperont de plus en plus au contrôle des états et deviendront des agents clés du changement, diffusant largement les technologies, coordonnant l'économie mondiale, et assurant la promotion du progrès économique auprès des pays en développement". On mesure mieux la puissance des grandes sociétés transnationales quand on sait que deux plus grandes entreprises mondiales ont un chiffre d'affaires supérieur au PIB de toute l'Afrique !

Mais à cette nouvelle donne géopolitique et géoéconomique va s'ajouter l'irrésistible montée en puissance d'un phénomène que j'ai déjà évoqué à plusieurs reprises depuis plusieurs années : l'avènement de mouvements, d'initiatives et de groupes d'influences civiques, démocratiques ou religieux sur le Net qui vont défier le pouvoir et la légitimité des Etats et des Démocraties de représentation telles que nous les connaissons depuis plus de deux siècles.

L'ère du pouvoir politique reposant sur le contrôle et l'opacité de l'information est désormais révolue et sur nombre de projets gouvernementaux ou locaux il n'est pas rare de trouver des associations et groupes d'influences ou d'intérêts qui en savent autant, et parfois plus, que les autorités elles mêmes et peuvent contester de manière très argumentée et convaincante ces projets et proposer leurs propres solutions.

Bien sûr on pourra toujours objecter que ces groupes ne disposent pas de la légitimité démocratique issue des urnes mais en réalité quel gouvernement oserait entreprendre une politique ou prendre une décision contre lesquelles une pétition en ligne recueillerait immédiatement des millions de signatures ?

On voit bien que l'accès généralisé et instantané, grâce au Net, à une information qui a été longtemps détenue de manière quasi-exclusive par les pouvoirs politiques ou économiques change la nature même de nos systèmes démocratiques. Désormais nos concitoyens, tout en restant fondamentalement attachés aux principes démocratiques, veulent être associés à tous les stades de la réflexion et de la décision politique, et ils n'acceptent plus le fait du Prince. Dans ce nouveau cadre démocratique hyper médiatisé, où les opinions se font et se défont très rapidement, l'art de gouverner devient d'abord l'art de mettre en place les outils et les procédures qui permettent de réaliser un projet politique en permettant son appropriation puis son approbation par les citoyens. Dans un tel contexte il devient de plus en plus difficile aux responsables politiques d'avoir le courage d'aller contre une opinion publique dominante, même lorsqu'ils sont convaincus que leur projet sert l'intérêt général à long terme.

Si nous voulons éviter que la démocratie électronique ne se transforme en démagogie électronique et que la puissance publique ne devienne impuissante à réaliser les réformes nécessaires mais impopulaires dont nos sociétés ont besoin, nos élus et responsables politiques vont devoir apprendre à convaincre l'opinion publique avant de prendre des décisions importantes, en l'associant de manière sincère et active aux processus de réflexions. Comme je l'avais prédit il y a plus de dix ans, alors que le Web n'en était qu'à ses balbutiements, les décisions politiques ne peuvent plus se prendre « d'en haut », à partir des pyramides de pouvoir, mais doivent à présent s'élaborer de manière horizontale et transversale à partir de réseaux de savoir et d'influence qui pourront convaincre nos concitoyens de leur pertinence et de leur nécessité.

L'avènement d'un monde multipolaire -dominé par les deux géants asiatiques indiens et chinois- sur le plan géopolitique et la montée en puissance de nouvelles formes de contre-pouvoirs démocratiques et civiques numériques, capables de s'opposer à la fois aux Etats et aux entreprises transnationales, vont conduire, d'ici au milieu de ce siècle, à une mutation historique d'une ampleur sans précédent et à la naissance d'une civilisation planétaire non pas unifiée (car les différences culturelles subsisteront) mais globalisée dont les clefs de voûte seront les réseaux cognitifs planétaires qui seront les nouvelles instances du pouvoir politique, économique et social.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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