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Edito : Nous devons préparer la mutation énergétique vers l'après pétrole

Quand aurons-nous épuisé toutes les réserves exploitables de pétrole ? La question est loin d'être simple car il faut tenir compte d'au moins trois grands facteurs dont l'évolution est difficilement prévisible. Le premier facteur concerne l'ampleur des réserves de pétrole qui restent à découvrir, le deuxième facteur concerne l'évolution de la consommation mondiale de pétrole à long terme et le dernier facteur concerne le taux de récupération des réserves de pétrole "classiques" et l'exploitation de nouvelles formes de pétrole, qui dépendent de l'évolution technologique. (voir le dossier complet dans Nature).

S'agissant des réserves, les chiffres publiés par l'USGS, l'agence de recherches géologiques américaine, sont plutôt rassurants. Les réserves ultimes de pétrole dans le monde s'élèvent à 3 000 milliards de barils (400 milliards de tonnes). Ce total comprend à la fois les ressources déjà extraites et l'ensemble des réserves pour le futur, qu'il s'agisse des réserves "prouvées" ou espérées. Mais l'incertitude est encore très grande, puisque l'USGS reste prudent, et place ce total de 3 000 milliards de barils dans une fourchette qui va presque du simple au double, entre 2 250 et 3 900 milliards de barils. A titre de comparaison, l'humanité entière a déjà extrait et consommé un total d'environ 900 milliards de barils (123 milliards de tonnes) depuis le début de l'exploitation du pétrole. La plus grande inconnue vient évidemment de l'estimation des réserves que l'on s'attend encore à découvrir.

Pour les réserves dites «prouvées», celles qui correspondent aux gisements déjà identifiés par les compagnies pétrolières dans le monde, la situation est heureusement plus claire. D'après la dernière étude statistique annuelle publiée le 15 juin 2004 par la société pétrolière BP, les réserves prouvées s'élèvent à 1.147,7 milliards de barils en 2003, ou 156,7 milliards de tonnes, ce qui, au taux de production actuel, correspond à 40 années de réserves.

D'après les estimations de l'USGS, les réserves de pétrole restant à découvrir seraient à peu près équivalentes aux réserves actuelles prouvées, soit entre 1 000 et 1 100 milliards de barils. Dans ce cas, les réserves pourraient suffire pour encore 60 ans en tenant compte de l'augmentation de la consommation. Il n'y a donc pas de risque à court terme d'avoir une pénurie de pétrole sur la planète. Une autre solution pour augmenter les réserves consiste à améliorer le taux de récupération dans les champs pétroliers déjà en exploitation. On récupère aujourd'hui en moyenne 30 % du pétrole présent dans les gisements mais grâce aux nouvelles techniques d'injection dans les réservoirs, on peut espérer améliorer sensiblement ce taux de récupération, jusqu'où, telle est la question ?

Mais en dépit des progrès scientifiques et techniques, il devient toutefois de plus en plus difficile de trouver de nouveaux gisements de pétrole dont l'exploitation est aisée. Les forages en haute mer se font par des profondeurs de plus en plus grandes, à des coûts forcément plus élevés que l'extraction dans le désert saharien. Les compagnies pétrolières commencent ainsi à s'intéresser de plus en plus à des hydrocarbures dits diffus. Les progrès de l'imagerie du sous-sol grâce à la géophysique permettent également de prospecter dans des régions du globe à la géologie très tourmentée, où le relief trop complexe empêchait auparavant de comprendre la structure du sous-sol.

Les scientifiques sont également mieux armés pour dire à l'avance quelle sera la qualité du pétrole présent dans un champ, comme des huiles extra-lourdes ou des sables asphaltiques, que l'on trouve au Canada et au Venezuela. Leur extraction est encore complexe, mais elle est enfin devenue rentable. Elle est intéressante en plus car les réserves disponibles sont abondantes (de l'ordre de 100 milliards de tonnes) et surtout situées dans des régions loin du Moyen-Orient.

Il reste que, même si l'on envisage le scénario le plus favorable, c'est-à-dire une stabilisation de la consommation annuelle de pétrole à 6 milliards de tonnes à partir de 2020-2025, des réserves totales de pétrole (classiques et non-conventionnelles) de 630 milliards de tonnes et une amélioration sensible du taux de récupération du pétrole, la totalité des réserves pétrolières de la planète sera consommée à la fin de ce siècle. Mais bien avant cette échéance le pétrole va devenir de plus en plus difficile à extraire car l'essentiel des réserves "faciles" auront été exploitées avant 2045. En outre nous pourrions atteindre dès 2025 le pic de la production pétrolière mondiale, ou pic de Hubbert, du nom du géologue américain qui, dans les années 1950, en a théorisé l'existence. Lorsque ce pic de production surviendra, les quantités extraites et commercialisées auront atteint leur maximum et ne pourront plus, ensuite, que décliner inexorablement. Décrue de la production et augmentation continue de la demande : les cours du baril connaîtront alors une croissance inéluctable. Le prix du baril grimpera alors de manière inexorable et pourrait dépasser la barre symbolique des 100 dollars le baril à l'horizon 2030 ! Mais nous voyons déjà les effets de l'échauffement économique en Inde et en Chine sur la demande mondiale de pétrole et l'OPEP elle-même ne parvient plus à maîtriser le prix du pétrole qui s'est envolé au cours de ces dernières semaines pour dépasser le niveau historique de 46 dollars le baril.

Si l'on considère cet épuisement inéluctable des réserves d'énergie fossile ainsi que les conséquences prévisibles de plus en plus catastrophiques du réchauffement climatique provoqué par l'utilisation excessive de ces sources d'énergie polluantes, l'Humanité va donc être confrontée, d'ici le milieu de ce siècle, à un gigantesque défi technique, économique et social : remplacer les énergies fossiles par des sources et des formes d'énergie renouvelables, économiquement viables et socialement acceptées. Le défi est d'autant plus grand que l'ensemble des énergies renouvelables actuellement connues et exploitées (hydraulique, solaire, géothermie, éolienne et biomasse) ne pourront pas, à elles seules fournir, à un coût économique acceptable, toute l'énergie dont le monde a besoin, même s'il faut tout mettre en oeuvre pour accroître de manière considérable leur part dans le bilan énergétique global à l'horizon 2020. A cet égard il faut rappeler l'exemple suédois. Ce pays a voté en 1980, il y a presque 25 ans, l'arrêt des centrales nucléaires mais il n'a toujours pas réussi en 2004 à fermer toutes ses centrales nucléaires, simplement parce qu'il est aujourd'hui impossible de remplacer en totalité, à un coût économique supportable, l'énergie nucléaire par des sources d'énergies renouvelables alternatives. On peut toujours nier cette réalité pour des raisons idéologiques, elle n'en reste pas moins vraie !

Il est vrai cependant que la fusion thermonucléaire contrôlée et l'énergie solaire spatiale représentent deux ruptures technologiques majeures qui pourraient, combinées à l'utilisation de l'hydrogène comme vecteur énergétique, bouleverser la donne énergétique, mais seulement dans la seconde moitié de ce siècle. A cet égard, le prochain lancement du projet international de réacteur expérimental ITER, qui pourrait voir le jour à Cadarache si les japonais donnent enfin leur accord, constitue une étape décisive vers la production industrielle d'énergie grâce à la fusion thermonucléaire contrôlée de l'hydrogène, à l'horizon 2040.

Mais d'ici là, le recours à de nouvelles filières d'énergie nucléaire, encore plus sûres et moins productrices de déchets radioactifs, demeurera indispensable. Toutefois, il ne faut pas s'enfermer trop vite dans une filière technologique unique qui serait l'EPR car il existe d'autres filières, comme les réacteurs à sels fondus-thorium qui offrent à plus long terme des perspectives très intéressantes en matière de sécurité, de rendement et de faible production de déchets radioactifs.Sur cette question sensible nous devons dire la vérité à nos concitoyens et ne pas avoir peur de réfuter les discours irrationnels et les dogmes idéologiques qui s'opposent, par principe, à toute utilisation de l'énergie nucléaire mais s'accommodent dans le même temps des centrales au charbon ou au fioul qui, contrairement au nucléaire, contribuent à l'effet de serre, et sont infiniment plus polluantes et nocives pour notre santé !

Nous devons donc, comme le préconise le gouvernement dans son programme énergétique pour 2020, développer considérablement la part des énergies renouvelables dans notre bilan énergétique (pour atteindre les 40 % d'électricité "propre" en 2030). Pour atteindre cet objectif ambitieux, nous ne devons pas nous focaliser sur une seule source d'énergie renouvelable mais développer considérablement la recherche et l'utilisation de l'ensemble de ces énergies propres, qu'il s'agisse du solaire, de l'éolien, et de la biomasse, mais aussi de la géothermie profonde (le projet-pilote de géothermie profonde menée à Soultz-sous-Forêts, prés de Strasbourg, sera à cet égard décisif). Enfin notre pays doit investir beaucoup plus dans la recherche sur les énergies issues de la mer (énergie marémotrice, énergie thermique des mers et énergie des vagues), un domaine technologique où elle possède une compétence mondialement reconnue depuis la mise en service de l'usine marémotrice de la Rance, il y a bientôt 40 ans.

A cet égard, le projet d'utilisation de l'énergie des courants marins par hydrolienne, proposé par la société Hydrohelix de Quimper mérite d'être évoqué (voir le détail de ce projet dans notre article "Les courants marins, une source d'énergie pleine de promesses", au chapitre Environnement de cette lettre). Selon Hydrohelix, les littoraux breton et normand pourraient fournir une puissance de 3 gigawatts, soit l'équivalent de trois réacteurs nucléaires. La Norvège a mis en service début 2004 la première hydrolienne du Monde et la Grande Bretagne mise beaucoup sur l'exploitation de cette forme d'énergie des mers qui est prévisible et présente en outre un excellent rendement.

Nous devons enfin redoubler d'efforts en matière d'économie d'énergie et nous fixer l'objectif ambitieux d'une croissance économique régulière à consommation d'énergie stable, ce qui suppose un changement profond non seulement dans l'organisation de notre économie mais dans nos habitudes de vie. En effet, même si le protocole de Kyoto va enfin entrer en vigueur le 16 février 2005, grâce à la ratification de la Russie, la récente conférence de Buenos Aires sur le climat, qui devait organiser les pourparlers sur la marche à suivre après 2012, date de l'expiration de cet accord, s'est terminée par un échec, les américains refusant avec obstination de réduire de manière programmée et significative leurs émissions de gaz à effet de serre.

Pourtant, si nous voulons simplement stabiliser le réchauffement climatique de la planète d'ici la fin de ce siècle, nous devrons diminuer de moitié (et non de seulement 5 % comme le prévoit Kyoto) ces émissions. Dans un tel contexte, l'utilisation croissante des sources d'énergie propres va devenir vitale pour l'avenir de l'humanité. Souhaitons que l'ensemble des pays prennent rapidement conscience de cette réalité et se donnent enfin les moyens d'empêcher une catastrophe climatique majeure au cours de ces prochaines décennies.

René Trégouët

Sénateur du Rhône

Fondateur du Groupe de prospective du Sénat

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