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Edito : Notre été caniculaire semble bien confirmer le réchauffement inquiétant du climat

La canicule qui a affecté l'Europe au cours de cet été 2003 a été exceptionnelle par son intensité, sa durée et son étendue géographique et pourrait bien annoncer un changement climatique majeur dont les conséquences seront considérables pour notre continent. Ce type de canicule va devenir plus fréquente dans quelques dizaines d'années tout comme les inondations catastrophiques et autres phénomènes extrêmes, selon des experts internationaux."Ce type d'été deviendra beaucoup plus fréquent dans 50 ou 100 ans", prédit Martin Beniston, professeur de climatologie à l'Université suisse de Fribourg. A l'échelle de la planète, 2003 pourrait être la troisième année la plus chaude depuis 150 ans après 1998 et 2002, si les études déjà faites pour les cinq premiers mois de l'année se confirment, relève Jean Jouzel, membre du bureau de l'IPCC, un groupe de 3.000 scientifiques de l'ONU sur le climat. "Les dix années les plus chaudes du 20e siècle ont toutes été enregistrées dans les 10-15 dernières années" du siècle, selon M. Beniston. "Si l'on en croit les modèles, le réchauffement va s'accélérer et ce qu'on a vu au 20e siècle est un début timide par rapport à ce qui nous attend". Cette opinion est partagée par Jacques Manach, Directeur Adjoint du service "prévisions" de Météo-France. Pour celui-ci, "la canicule que l'on vient de connaître est un événement climatique majeur".

Dans son dernier rapport (2001), l'IPCC chiffre à 0,6 degré Celsius la hausse moyenne de température intervenue à l'échelle du globe au 20e siècle, dont "une grande part" a de "fortes chances" d'être liée au rejet de CO2 et autres gaz à effet de serre. Il prédit une nouvelle hausse de 1,4 à 5,8 degrés entre 1990 et 2100. Une hausse de 3-4 degrés en moyenne mondiale, "des pics compris entre 35 degrés et 45 degrés ne seront pas exceptionnels dans le dernier tiers du 21ème siècle", estime M. Beniston en citant une simulation pour une région allant de la Lorraine à l'Autriche et incluant l'Alsace, la Bavière et la Suisse. Appliqué à une échelle plus grande, le scénario prévoit une remontée de 400 à 500 km vers le nord des zones climatiques européennes et une "augmentation des jours caniculaires pratiquement jusqu'en Finlande". Le climat de la Suisse "ressemblerait alors à celui de la Provence, celui du sud de la France s'apparenterait à celui de Séville et du sud de l'Espagne", note M. Beniston. Pis, les retournements brutaux de la météo 2002 et 2003, inondations catastrophiques dans un cas, nombre record de jours de canicule dans l'autre, deviendraient monnaie courante, explique-t-il. M. Beniston note cependant que les températures extrêmes relevées au cours des dernières semaines pourraient n'avoir que peu d'impact sur les températures moyennes de l'année ou de la décennie en Europe. "Cela ne contredit pas la théorie sur les changements climatiques, mais cela n'en constitue pas une preuve", a-t-il déclaré. L'an dernier, la vague de chaleur en juin avait été suivie de températures beaucoup plus fraîches qui avaient fait baisser la moyenne de l'été, a-t-il relevé. "Cela pourrait changer au cours des 30 à 50 prochaines années quand le réchauffement deviendra réellement sérieux comparé avec ce que nous avons vécu au XXe siècle", a-t-il toutefois ajouté. Selon lui, "les vagues de chaleur dans certains pays européens pourraient être alors en moyenne de six à huit degrés au-dessus de ce que nous connaissons actuellement". "Ce que nous vivons depuis deux ans pourrait bien être la norme dans les 50 ou cent prochaines années", a observé l'expert en rappelant que les changements climatiques doivent s'accélérer dans les 30 prochaines années. Le problème principal auquel sont confrontés scientifiques et politiques, c'est la durée de vie du CO2 (gaz carbonique). Même si toutes les voitures et tous les avions s'arrêtaient demain, la concentration de CO2 dans l'atmosphère continuerait d'augmenter pendant des dizaines d'années et avec elle la hausse probable du thermomètre. Une hausse limitée à 2 degrés d'ici 2100 de la température moyenne mondiale est fondée sur une concentration de CO2 de 500 parties par million à cette échéance, contre 370 ppm aujourd'hui, et des émissions mondiales de gaz à effet de serre réduites à cinq milliards de tonnes avant la fin du siècle, relève M. Jouzel. Un effort gigantesque pour les pays industriels, qui doivent changer de mode de vie, et pour les pays pauvres, qui doivent se développer sans polluer davantage la planète. Faute de quoi les émissions mondiales s'envoleront vers 20 milliards de tonnes, contre quelque 7 milliards aujourd'hui, et les cataclysmes deviendront incontrôlables. En France, des records de chaleur absolus, depuis la mise en place des stations de mesure de Météo-France après la fin de la Seconde guerre mondiale, ont été battus le 4 août dans plusieurs villes du sud-ouest, dont Toulouse, Bordeaux, Limoges et Montauban, a-t-on appris auprès de Météo-France. Dans la Ville rose, la température, relevée sous abri, est montée jusqu'à 40,7 degrés, dépassant l'ancien record fixé à 40,2. Le mercure a atteint à Bordeaux 40,2 contre 38,8 pour le précédent record, et 36,9 à Limoges (35,4). Les températures les plus élevées ont été enregistrées à Orange où il a fait 42,8 et Montauban (Tarn-et-Garonne) où il a fait 41,8 degrés. La Grande-Bretagne a enregistré le 10 août un record historique de température avec 37,9°C , bien au-delà des 37,1°C relevés en 1990 à Cheltenham (centre de l'Angleterre), selon le centre de météorologie nationale. C'est la première fois que la Grande-Bretagne franchit la barre symbolique des 100 degrés Fahrenheit, qui correspondent à 37,8 degrés Celsius. En Allemagne, où des records absolus de chaleur ont été enregistrés le 8 août avec 40,8°C de jour et 26,7°C dans la nuit précédente, l'agriculture souffre de la sécheresse. Les récoltes céréalières devraient baisser en moyenne de 10 % à 15 % par rapport à 2002, avec "80 % de pertes" par endroits, selon la Fédération allemande des agriculteurs. En France, les conséquences de cette canicule pour notre agriculture et notre élevage sont très importantes et l'on estime que l'ensemble des dommages agricoles pourrait se monter à plus de 2 milliards d'euros. Mais les conséquences de la canicule ne se limitent pas à l'agriculture et à l'environnement et ces chaleurs extrêmes constituent également un nouveau et grave problème de santé publique. Nous savons à présent que cette canicule a entraîné plus de 10000 décès dans notre pays qui n'était pas suffisamment préparé à affronter une telle situation climatique, il est vrai sans précédent en France. Comme l'a souhaité le Président de la République, notre collectivité nationale et les pouvoirs publics vont devoir tirer toutes les leçons de cette canicule sur le plan social, médical et sanitaire afin de mettre en place un ensemble de moyens et de mesures préventives susceptibles de mieux protéger les personnes âgées, malades ou fragiles quand de telles chaleurs se reproduiront. En Suisse, depuis deux mois, des températures souvent largement supérieures à 30 degrés ont provoqué comme ailleurs en Europe une grave sécheresse dans les vallées. Mais dans les montagnes, elles ont des conséquences encore plus dramatiques, faisant fondre la glace qui d'habitude maintient les rochers en place, en pleine haute saison pour l'escalade. Cette fonte des glaces jusqu'à 4.000 m d'altitude est "une situation réellement exceptionnelle", relève le glaciologue Martin Funk, professeur à l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ). D'après cet expert, on peut s'attendre à des phénomènes jusqu'alors méconnus, comme la création de poches d'eau à l'intérieur d'un glacier qui se videraient subitement, avec des conséquences catastrophiques. Expert auprès du Groupe intergouvernemental de l'ONU sur l'évolution du climat (IPCC) et directeur du département de géographie à l'université de Fribourg (Suisse), Martin Beniston avait averti, l'hiver dernier, que la fonte des neiges éternelles sur les Alpes serait un signe de l'accélération des changements climatiques. Si la fonte partielle des calottes glacières pendant l'été est normale, elle atteint cette année des proportions inédites. "La plupart des glaciers alpins sont actuellement dans une phase de recul très importante et c'est le cas depuis dix ou quinze ans", souligne M. Beniston. Du jamais vu au cours des 500 dernières années. Cette accélération du réchauffement climatique vient également d'être confirmée par un rapport publié le 13 août pat l'Institut norvégien Nansen. Selon ce rapport, la calotte glacière au Pôle Nord a diminué de plus de 3 % par décennie depuis 1978 sous l'effet du réchauffement de l'atmosphère (voir article dans notre rubrique environnement). Si cette tendance se poursuit, il n'y aura plus de glace au pôle Nord d'ici la fin de ce siècle ! Cette mutation climatique est d'autant plus alarmante que, comme le souligne avec force Jean Jouzel, membre du bureau de l'IPCC, "Le climat est une machine à retardement infernale. Même si l'on parvient à stabiliser l'effet de serre au XXIe siècle, l'inertie est telle que l'élévation du niveau de la mer se poursuivra pendant longtemps. Le gaz carbonique met plusieurs siècles à disparaître de l'atmosphère." A toute chose malheur est bon. Cette canicule exceptionnelle par sa durée, son intensité et son étendue géographique sur l'ensemble de notre continent aura eu le mérite de dévoiler de manière brutale ce qui nous attend au cours de ces prochaines décennies si nous ne prenons pas, au niveau planétaire, des mesures radicales en matière énergétique, allant bien plus loin que celles prévues par le protocole de Kyoto. Pour ceux qui en doutaient encore, et comme l'a souligné avec force Jacques Chirac à Johannesburg, "La maison brûle" et il s'agit à présent de cesser de tergiverser et d'éteindre l'incendie. Face à cette situation, les pays développés vont devoir relever un immense défi en modifiant de manière profonde et globale leurs modes de production et de consommation d'énergie ce qui suppose une réorganisation de l'ensemble de nos économies. Cette mutation historique de civilisation, quels que soient son coût et sa complexité, est à présent inévitable si nous voulons que notre planète reste vivable pour les générations futures.

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

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