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Les neutrinos n'en finissent pas de dérouter les physiciens !

Les neutrinos sont ces particules, quasiment sans masse, qui ont défrayé la chronique depuis septembre dernier pour de possibles excès de vitesse dans un trajet souterrain entre la Suisse et l'Italie. Mais d'autres mystères les entourent alors même qu'ils sont parmi les particules les plus abondantes de l'Univers. Ils nous tombent par milliards sur la tête (et nous traversent sans dégâts) en provenance du Soleil, ou issus des chocs de particules plus lourdes sur les atomes de notre atmosphère. Malgré cette douche permanente, l'ignorance domine. Les physiciens se posent même de drôles de questions : Combien de types de neutrinos existe-t-il ? Trois ? Davantage ? S'ils se regardent dans un miroir, sont-ils exactement les mêmes ? Selon les réponses, un voile se lèvera sur les débuts de l'Univers et sur les raisons pour lesquelles 85 % de la matière ordinaire nous échappe encore...Autant dire que ces "déficits" ne sont pas pris à la légère.

Le 8 mars, l'expérience chinoise Daya Bay annonce avoir reçu sur ses détecteurs environ 5 % de neutrinos en moins que ce qu'elle attendait provenant d'une centrale nucléaire située à deux kilomètres. C'est aussi, avec moins de précision, ce qu'avait observé, en juin, l'expérience T2K au Japon, ou en novembre, dans les Ardennes, la collaboration Double Chooz conduite par des équipes du CEA et du CNRS. "Les mesures sont comparables mais, avec huit détecteurs quinze fois plus gros que notre unique détecteur, la précision est meilleure", constate Thierry Lasserre (CEA), de Double Chooz. Cette perte de neutrinos était prévue par la théorie mais pas son ampleur. Elle est reliée à une bizarrerie de ces particules : leur capacité à se transformer en un autre type de neutrinos, comme si un guépard devenait lion en poursuivant une gazelle. Sauf qu'il n'existerait que trois familles, ou saveurs, de neutrinos.

En 1998, cette propriété étrange, aussi appelée oscillation, a été confirmée. Elle dépend des différences de masse entre les trois familles ainsi que de trois paramètres mathématiques, des angles, comme en géométrie. Des expériences ont précisé la valeur de deux angles mais il en manquait un, celui attrapé par les Chinois. Les 5 % de neutrinos manquants sont des neutrinos qui se sont transformés en un mélange des deux autres. "Nous n'avions aucune idée de la valeur de cet angle et certains pensaient qu'il pouvait être très petit, voire nul", témoigne Hervé de Kerret (CNRS), de Double Chooz.

Finalement l'angle est plutôt "grand ". Si cela plonge les théoriciens dans la perplexité pour expliquer l'ampleur de cette probabilité d'oscillation, cela réjouit les expérimentateurs. "Cette valeur "grande" est une bonne nouvelle car pour l'étape suivante nous pourrons construire des détecteurs moins gros et moins coûteux", explique Alessandra Tonazzo de l'université Paris-VII. Cette étape, capitale, consiste à tester si des neutrinos se regardant dans un miroir se reconnaissent ou non. Dans un miroir de physiciens une particule devient une antiparticule qui a vraiment l'air de ressembler à son modèle. Mais il faut tester si les deux images sont strictement identiques. Car, nous l'observons tous les jours, la matière a pris le pas sur l'antimatière et cela ne peut provenir que d'infimes différences au tout début de l'Univers.

Plusieurs projets, gigantesques, sont donc lancés pour vérifier si les oscillations des antineutrinos, sur des centaines de kilomètres, sont comparables à ceux des neutrinos. En Europe, le projet Laguna a déjà sélectionné deux sites - dans une mine finlandaise et dans le tunnel de Modane, entre la France et l'Italie - qui enregistreront des neutrinos en provenance du CERN, en Suisse. Aux Etats-Unis, le projet LBNE est également sur les rails. Les détecteurs seront 25 fois plus gros que le plus gros détecteur actuel, qui fait une quarantaine de mètres de hauteur. Si l'angle mesuré par Daya Bay avait été plus petit, il aurait fallu faire encore plus gros. Ouf !

En attendant, une expérience plus modeste, Nucifer, a commencé au CEA de Saclay le 13 mars, pour s'attaquer à un autre déficit, tout aussi majeur pour la compréhension de l'Univers. En janvier 2011, Thierry Lasserre et ses collègues ont démontré qu'à quelques mètres du coeur d'un réacteur il y a 6 % de neutrinos en moins que ce que la théorie prédit. La seule explication serait une nouvelle pirouette des neutrinos, qui se transformeraient en une espèce encore jamais vue : une quatrième saveur, s'ajoutant aux trois autres !

Les théoriciens, toujours en avance, l'envisagent en réalité depuis longtemps et l'ont baptisée "stérile" pour indiquer son caractère indétectable. Depuis cette publication, la communauté bouillonne. Après un colloque en septembre aux Etats-Unis, un livre blanc sera publié en avril prochain à destination des agences de financement pour les convaincre de mettre la main à la poche. Selon ce document, six résultats plaident déjà en faveur de l'existence de neutrinos stériles. Le plus ancien, LSND, aux Etats-Unis, remonte à 1998.

Des données astrophysiques sur les premiers instants de l'Univers s'accommodent aussi fort bien d'un quatrième neutrino. Il serait un bon candidat pour la masse manquante, cette matière comptant pour 85 % de celle de l'Univers et qu'on n'a jamais identifiée. Du coup, pléthore d'expériences sont proposées dans ce livre blanc. Dont Nucifer. Son détecteur, comparable à celui de Double Chooz mais en modèle très réduit, sera positionné à seulement sept mètres du coeur du réacteur de recherche Osiris au CEA Saclay. Un record. La même équipe propose aussi de plonger une source très radioactive de cérium au sein d'un des gigantesques détecteurs actuels de neutrinos en forme de piscine pour vérifier tout effet de distance dans les mesures. "Depuis notre proposition, les Chinois sont aussi entrés dans la course", constate Thierry Lasserre. Avec les neutrinos, il est décidément toujours question de vitesse.

Le Monde

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