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Edito : la nature nous rappelle à l'humilité et à la solidarité

Décidemment, il semble que la nature trouve un malin plaisir à se déchaîner en fin d'année. Chacun a encore en mémoire les deux tempêtes d'une violence sans précédent, qui ont dévasté notre pays fin 1999. Mais cette fois la terrible catastrophe naturelle qui a touché l'Asie le 26 décembre est d'une toute autre ampleur. Le tremblement de terre qui a frappé dimanche dernier le nord de l'île de Sumatra a été réévalué à 9 sur l'échelle de Richter par l'institut géologique américain (USGS), devenant ainsi le quatrième séisme le plus important depuis 1900 et le plus important depuis le tremblement de terre du Chili, en 1960. Le séisme de dimanche, avec un épicentre à 250 kilomètres au sud-est de Sumatra, a modifié la géographie autour de cette île d'Indonésie, et la secousse a légèrement ébranlé l'ensemble de la planète, "comme une pichenette sur une toupie", selon un scientifique.

La secousse a "donné 3 minutes et 20 secondes de vibration continue dans la région épicentrale, c'est colossal", souligne Paul Tapponnier, directeur du laboratoire de tectonique à l'Institut de Physique du Globe (IPG). "La valeur maximale du glissement de la faille vers le sud-ouest est de 20 mètres sur une quarantaine de kilomètres, et de 15 mètres, de façon répartie, sur plus de 100 km de long", selon ce scientifique. "Il y a eu également des mouvements verticaux, qui ont pu atteindre à certains endroits un ou deux mètres", a ajouté le chercheur, et des terres se sont soulevées, notamment dans la région de Siberut, une île à 100 km à l'ouest de Sumatra. Il est en outre possible qu'au sud de l'équateur, certaines régions de Sumatra aient été complètement englouties.

Selon les spécialistes, ce séisme devait se produire un jour car deux plaques tectoniques se croisent près de Sumatra en Indonésie, expliquent des spécialistes. Les plaques indo-australienne (sur laquelle repose l'Inde) et eurasienne se superposent dans les profondeurs de l'Océan Indien, près de l'Indonésie. Cette zone, située entre les îles de Java et de Sumatra, se trouve à l'intersection de plusieurs failles et subit la subduction de la plaque indo-australienne sous la plaque eurasienne qui engendre une importante séismicité. Comme la plaque indo-australienne a creusé plus profondément, provoquant de nombreux frottements, les deux plaques ont glissé sur une grande échelle.

"Le tremblement de terre a changé la carte", a déclaré pour sa part Ken Hudnut, un expert de l'Institut géologique américain (US Geological Survey). "En se basant sur des modèles sismiques, on peut dire que certaines des plus petites îles au sud-ouest des côtes de Sumatra peuvent avoir avancé de 20 mètres vers le sud-ouest", a-t-il ajouté. La pointe nord-ouest du territoire indonésien de Sumatra pourrait également avoir glissé vers le sud-ouest d'environ 36 mètres, selon le même expert. Mais ce tremblement de terre d'une exceptionnelle violence a non seulement modifié la cartographie de la Terre, il a dégagé suffisamment d'énergie pour donner une impulsion à la Terre toute entière. L'axe de rotation de la Terre, qui n'est d'ailleurs pas fixe (de même que la toupie qui tourne sur elle-même a un axe lui-même animé de mouvements de rotation) a été très légèrement ébranlé. Si les scientifiques ont pu mesurer cette perturbation, c'est parce qu'ils connaissent bien les mouvements infimes auxquels obéit la Terre : il y a d'abord ce qu'on nomme la "précession des équinoxes", un mouvement vieux de 20.000 ans qui modifie les dates d'avènement des saisons, et le phénomène de "nutation", oscillation périodique de l'axe du monde autour de sa position moyenne.

Malheureusement, les conséquences humaines de ce terrible tremblement de terre ont été à la hauteur de sa puissance : plusieurs dizaines de milliers de morts (un total dépassant les 100.000 morts est de plus en plus souvent annoncé...), principalement au Sri Lanka (Ceylan) en Indonésie, en Inde et en Thaïlande. Ces victimes ont été tuées par le tsunami, le raz-de-marée meurtrier qui a suivi ce séisme. Ce bilan humain épouvantable s'explique notamment par l'absence, dans l'Océan Indien, d'un système d'alerte rapide aux risques de tsunami alors qu'un tel système a été mis en place par le Japon dans l'Océan Pacifique et a largement démontré son efficacité.

Dans le cas du séisme de dimanche, les scientifiques avaient repéré les raz-de-marée avant qu'ils ne s'abattent sur une partie de l'Asie, mais sans pouvoir sonner l'alarme. Le Centre d'alerte des tsunamis du Pacifique et le Centre international d'information sur les tsunamis, tous deux basés à Hawaï, avaient détecté le séisme au large de l'île indonésienne de Sumatra, qui a déclenché les raz-de-marée géants dans l'océan Indien. Ces deux centres ont été mis en place pour fournir des alertes aux pays du Pacifique et ne disposent pas de contacts dans les pays qui se trouvaient sur la route des gigantesques vagues qui ont déferlé en Asie du Sud et du Sud-Est à une vitesse allant jusqu'à 800 km/h. Les scientifiques se sont ainsi retrouvés incapables d'avertir certains pays, qui ont été parmi les plus touchés par ces raz-de-marée.

Dans l'océan Indien, aucun système de prévention n'existe, et plusieurs des pays durement touchés dimanche, dont l'Inde et le Sri Lanka, ne font pas partie du réseau international. En effet, les tsunamis sont beaucoup moins fréquents dans l'océan Indien. Même des pays comme la Thaïlande ou l'Indonésie, qui participent pourtant à la coordination internationale, ne sont pas protégés côté Océan Indien. "Il y avait suffisamment de temps entre le moment du séisme et celui où se sont produits les tsunamis en certains endroits pour sauver de nombreuses vies si un système d'alerte convenable avait été en place", a déclaré Ken Hudnut, géophysicien au centre américain de surveillance géologique.

Face aux conséquences dramatiques de cette absence de réseau de veille, l'Australie et le Japon ont proposé de contribuer à la mise en place d'un système de surveillance des tsunamis dans l'Océan Indien, sur le modèle des centres existant à Hawaï pour le Pacifique.

S'agissant de l'aide humanitaire, plusieurs pays étrangers, comme le Japon, la Belgique, la France ont commencé à envoyer des avions chargés de vivres, de médicaments et des équipes de secours. L'ONU a déclaré que les raz-de-marée allaient rendre nécessaire la "plus grande opération" d'aide humanitaire de l'histoire des Nations unies. L'ONU a appelé les pays donateurs à faire face à ce "désastre exceptionnel" par des contributions d'une générosité elle-aussi exceptionnelle, mouvement qui s'était déclenché spontanément aussitôt.

Les Etats-Unis vont envoyer 15 millions de dollars (11,1 millions d'euros) en crédits et produits de première urgence, et la Commission Européenne, après une première aide de 3 millions d'euros pour couvrir les besoins vitaux, s'est dite en mesure de mobiliser rapidement jusqu'à 30 millions d'euros, le Japon aussi, terre de séismes, qui a offert 30 millions de dollars (22 millions d'euros) répartis entre les pays sinistrés, et quelque 7 millions d'euros pour soutenir l'action des ONG japonaises. La Croix-rouge et le Croissant-rouge ont lancé quant à eux un appel international pour recueillir 5 millions d'euros. La Chine, elle, va fournir une aide de 2,6 millions de dollars, alors que l'Australie a annoncé une aide de 7,6 millions de dollars. Enfin, la Banque mondiale a offert son aide aux pays dévastés.

Toutefois, les pertes humaines et les dégâts matériels sont si importants qu'il faudra, en dépit de l'aide internationale, de nombreuses années aux pays touchés pour penser leurs plaies. Mais cette catastrophe d'une ampleur planétaire doit également nous conduire à réfléchir au projet commun que nous voulons donner à notre civilisation, où prévalent trop souvent les intérêts particuliers et le profit à court terme, alors qu'il suffirait d'une infime partie du Produit Mondial Brut (40.000 milliards de dollars en 2004) pour mettre en place, au niveau mondial, un système moderne et efficace de prévention et d'alerte des catastrophes naturelles.

Cette terrible catastrophe éclaire également la nécessité d'accélérer les projets de réforme de nos institutions internationales, et notamment l'ONU, afin d'améliorer la représentativité des grands pays d'Asie, comme l'Inde et l'Indonésie. Par ailleurs, face à un tel désastre, comment ne pas prendre conscience de la nécessité d'une véritable gouvernance mondiale, dotée de véritables moyens de coordination, d'intervention et d'action. Qu'il s'agisse de l'environnement, du réchauffement climatique, de la santé ou des catastrophes naturelles, l'Humanité est désormais confrontée à des menaces et des défis qui sont à l'échelle planétaire et doivent être traités au niveau mondial.

Enfin, un éditorialiste a eu raison de rappeler que "nos civilisations orgueilleuses", si promptes à s'enivrer de leur puissance technologique, doivent se souvenir qu'elles restent bien petites et démunies face à la toute puissance de la nature. Dans de telles circonstances, Il nous reste à méditer cette phrase implacable mais prophétique écrite par Claude Lévi Strauss, "Le Monde a commencé sans l'homme et finira sans lui".

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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