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Les nanotechnologies une nouvelle fois à l'honneur au Sénat

Dans le prolongement du colloque sur les nanotechnologies organisé au Sénat du 20 juin 2002, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a organisé le 23 janvier dernier au Sénat un nouveau colloque entièrement consacré aux nanotechnologies. La Haute Assemblée affirme ainsi le rôle d'éclaireur et de catalyseur qu'elle entend jouer dans les domaines scientifiques et techniques stratégiques les plus riches de potentialités pour l'avenir. Au cours de ce colloque les participants ont retracé les étapes de révolution microélectronique. Depuis 1960, la taille des composants a été réduite d'un facteur dix mille et leur prix s'est effondré (le prix d'un gigabits de mémoire était de 75 000 ? en 1970, il est aujourd'hui de 5 centimes d'euro. Cette avancée scientifique et technologique a été à la source d'une révolution tranquille mais décisive qui a porté une grande part de la croissance de l'économie mondiale. La microélectronique est devenue un secteur central de l'économie :

-* elle est omniprésente dans notre vie quotidienne, ce dont témoigne la multiplicité de produits qui ont créé autant d'usages nouveaux (ordinateurs, radios-réveils, téléphones portables, magnétoscopes, lecteurs DVD, etc.) ;

-* elle contribue fortement au développement durable dans le domaine vital des économies d'énergie grâce à l'électronique de puissance dont les progrès ont permis de répondre à la croissance de la consommation alors que celle de la production est inférieure de moitié à celle-ci ;

-* son poids est croissant dans le PNB mondial : en 2000, 200 milliards d'euros de chiffre d'affaires de la microélectronique ont généré 1 000 milliards d'euros de chiffre d'affaires dans les industries électriques et 5 000 milliards d'euros de chiffre d'affaires dans les services (sur un PNB mondial de 28 000 milliards d'euros).

La place de cette industrie est encore appelée à s'accroître :

-* du fait de la « pervasion croissante du silicium » qui conduit les objets quotidiens à incorporer de plus en plus de microélectronique (il y a vingt ans, la valeur d'un ordinateur n'incorporait que 15 % de semiconducteurs, aujourd'hui 40 % ; actuellement, ce pourcentage atteint près de 40 % dans les automobiles de luxe),

-* grâce aux microsystèmes, c'est-à-dire au couplage de la microélectronique avec des capteurs (thermiques, magnétiques, biologiques, chimiques, etc) et des transpondeurs,

-* en raison de la montée progressive des nanotechnologies qui irrigueront notre quotidien d'ici dix à quinze ans.

La microélectronique et les nanotechnologies constitueront donc un secteur vital pour l'avenir économique de notre pays, et donc une chance à saisir. Mais cette industrie est soumise à un double défi, technologique et économique.

Les spécialistes considèrent que la tendance à la miniaturisation est inéluctable. Les traitements numériques de l'image et du son exigent de plus en plus de puissance de calcul et les futurs processeurs permettront le dialogue homme-machine et machine-machine, modifiant radicalement notre environnement et nos usages.

L'objectif est, d'ici dix à quinze ans, de produire industriellement des transistors de 20 nm de section (10 milliards sur une puce, soit l'équivalent d'un cheveu sur un terrain de football) pour atteindre une vitesse d'horloge de 100 GHz, contre 2 GHz actuellement (c'est-à-dire capables de traiter 100 milliards d'opérations par seconde).

Mais, en-deçà de 50 nm, on se heurte à des phénomènes quantiques - qui ne sont pas encore contrôlés scientifiquement et encore moins industriellement.

Au-delà des usages actuels, les progrès technologiques ouvrent de nouvelles perspectives et de nouveaux marchés.

Les microsystèmes : Dérivés de la microélectronique, les microsystèmes sont en plein développement et représentent dès à présent un marché mondial de plusieurs dizaines de milliards d'euros. Ils sont très présents dans plusieurs industries (automobile, espace, télécommunications, aéronautique, médecine, agroalimentaire).

Les nanotechnologies : En complément de la miniaturisation de la microélectronique, les nanotechnologies regroupent des procédés fondés sur l'auto-organisation de la matière à l'échelle atomique. Mais les futurs nanosystèmes seront très différents des microsystèmes :

-* l'horizon de temps n'est pas le même : les microsystèmes sont actuellement disponibles, les nanosystèmes ne seront pas sur le marché avant dix à quinze ans,

-* le changement d'échelle, de l'ordre d'un facteur 100, offre des possibilités d'applications économiques et sociales beaucoup plus importantes, On peut, sans crainte, affirmer que les nanosystèmes vont irriguer le tissu industriel . Certains de leurs domaines d'application sont, dès à présent, connus :

-* les nanosystèmes dédiés à la santé et à la compensation des handicaps liés au vieillissement de la population (techniques de diagnostic in vivo et systèmes d'alertes liés, thérapies cellulaires ciblées, domotique reposant sur des annonces vocales pour les personnes âgées) ;

-* les nanosystèmes dédiés au développement durable :

Ils permettront la mise au point des processus industriels beaucoup plus économes (pour caricaturer, éviter d'abattre un arbre pour fabriquer un cure-dent).

Mais des applications plus spécifiques sont envisageables :

-* les télévisions à laser, qui permettront d'économiser 5 % de la consommation électrique d'un pays ;

-* l'amélioration de 30 à 40 % de l'efficacité des piles photovoltaïques est envisageable;

-* les nanosystèmes dédiés à la sécurité, comme par exemple les réseaux de nanocapteurs pour la sécurité des aéroports ou des zones militaires ou encore les systèmes de détection du gaz par des nanotubes de carbone.

La microélectronique a réussi 7 sauts technologiques majeurs en 30 ans (rappelons que les transports n'en ont accompli que 3 - le train, l'auto, l'avion - en un siècle), mais au prix d'investissements en recherche et en développement considérables, bien supérieurs à ceux du programme Apollo.

Ces coûts atteignent aujourd'hui 15 % des chiffres d'affaires du secteur (de 22 à 30 milliards d'euros), et au fur et à mesure que la miniaturisation progresse la pente se raidit. Ainsi, en quinze ans, les investissements en recherche et développement des trois principaux producteurs européens ont été multipliés par dix.

Les coûts de production

Pour fabriquer un disque de 300 mm sur lequel sont imprimés près de deux milliards de transistors sur 250 microprocesseurs, 700 opérations différentes sont nécessaires, les tolérances de planité sont de l'ordre d'un Angström (10-10 m), les taux d'impureté admissibles sont de l'ordre du milliardième. Les charges de production de l'infiniment petit augmentent avec la réduction de la taille des composants : les coûts des équipements sont à l'échelle des défis technologiques qu'ils sont destinés à surmonter. Une fabrique de disques de 200 mm coûtait 1,5 milliard de $ en 2000. En 2003, pour des disques de 300 mm, le coût correspondant est de 2,5 milliards de $, et en 2010, pour des unités de 450 mm, il sera de l'ordre de 6 milliards de $. Soit, dans ce dernier cas, le coût de quatre centrales nucléaires. A l'exception d'Intel, qui a seul une masse critique suffisante, les principaux producteurs mondiaux regroupent leurs activités de recherche et de production (comme STMicroelectronics, Philips et Motorola le font sur le pôle de Crolles - en liaison avec le CEA-LETI à Grenoble). Le secteur est ainsi constitué d'oligopoles de fait de moins en moins nombreux.

Les pays qui tiennent les discours les plus libéraux sont ceux qui mènent les politiques publiques les plus volontaristes dans les secteurs stratégiques de la microélectronique et des nanotechnologies. Depuis trois ou quatre ans, les soutiens américain et japonais à ces secteurs ont évolué :

-* ils s'inscrivent dans des stratégies lisibles à terme qui privilégient certains domaines,

-* ils sont devenus beaucoup plus massifs,

-* ils s'efforcent de renforcer les liens entre le développement technologique et l'aval industriel de la filière.

1. Les Etats-Unis

Le département de la défense a un budget de recherche de 56 milliards de $ pour 2003, dont 2,7 milliards pour la DARPA, qui développe des recherches duales (à applications civiles directes) et consacre 1,3 milliard de $ aux secteurs de la microélectronique avancée et aux nanotechnologies. La fondation nationale pour la science (5 milliards de $ de budget annuel) dédie 220 millions de $ par an aux interfaces recherche fondamentale-développement technologique de base du secteur. On mentionnera également, de façon non limitative, d'autres programmes transversaux à plusieurs départements ministériels et à plusieurs agences :

-* l'« initiative nanotechnologique », dont le budget total est de 700 millions de $ pour 2003,

-* et le SBIR (soutien à la recherche dans les PME), qui mobilise 300 millions de $ pour les applications microélectroniques.

Outre ces soutiens directs, les entreprises américaines bénéficient d'un crédit d'impôt-recherche fédéral dont l'assiette est très large puisqu'elle porte sur 20 % des dépenses exposées au cours de l'exercice fiscal considéré.

2. Le Japon

En 1988, les entreprises japonaises détenaient plus de la moitié du marché des composants, aujourd'hui à peine un quart. Le Japon a mis en oeuvre depuis 2001 une politique visant à redresser cette situation :

-* création d'un « Conseil pour la politique scientifique et technologique » auprès du Premier ministre qui fixe les priorités dans le terme et arbitre entre les différents ministères,

-* allocation de fonds très importants : 240 milliards d'euros sur cinq ans (dont 1,3 milliard d'euros par an pour la microélectronique et les nanotechnologies),

-* renforcement des agences de moyens (comme le NEDO, installé auprès du ministère de l'économie), dans le but de compenser une des faiblesses du Japon, la relative coupure entre l'université et l'industrie.

3. Les politiques européennes

L'initiative Eurêka : Le programme Eurêka-Medea+ fédère les entreprises et les centres de recherche européens et doit couvrir la période 2001-2008 avec des dotations annuelles des États de l'ordre de 500 millions d'euros par an. Il se concentre, notamment, sur l'application de technologies-clés permettant de faire sauter certains verrous qui ralentissent le processus de miniaturisation des composants.

L'Union européenne : Le 6e programme-cadre de développement et de recherche de l'Union européenne Doté, sur la période 2002-2006 d'un budget de 17,5 milliards d'euros (dont 3,6 milliards d'euros pour les technologies de la société de l'information et 1,3 milliard d'euros pour les nanosciences et les nanotechnologies), il traduit la nécessité de créer un espace européen de la recherche, concentré sur des pôles d'excellence et met en oeuvre des programmes intégrés destinés à unir l'industrie et les laboratoires de recherche sur des objectifs prioritaires.

Si son architecture est satisfaisante, des interrogations subsistent sur son application et, en particulier :

-* sur la définition des pôles d'excellence qui doivent être peu nombreux pour conserver une masse critique à l'échelle mondiale ,

-* sur les masses financières des programmes intégrés qui ne joueront pas un rôle fédérateur si les volumes financiers des grands projets sont insuffisants.

En revanche, le cadre concurrentiel européen n'apparaît plus adapté à la réalité du marché mondial :

-* éligibilité trop restreinte des aides à la recherche,

-* définition et application de règles de concurrence qui n'ont plus de sens lorsque les principaux industriels européens coopèrent en matière de recherche et mettent en commun certaines de leurs lignes de production.

Les traités européens ne sont pas des pactes suicidaires. Si la Commission européenne souhaite mettre en oeuvre une politique industrielle, elle doit s'en donner les moyens.

4. Le dispositif français

Le dispositif français repose principalement :

-* D'abord sur un réseau de grandes centrales technologiques installées sur 5 sites :

CEA-LETI à Grenoble (centrale également liée au pôle Minatec en voie de constitution), Laboratoire d'Analyses et d'Architectures des Systèmes à Toulouse, Laboratoire de Photonique et de Nanostructures à Marcoussis, Institut d'Électronique Fondamentale à Orsay, Institut d'Électronique et de Microélectronique du Nord à Lille.

La constitution de ce réseau doit faire l'objet d'une dotation totale de 100 millions d'euros de 2003 à 2005. Ces centrales ont pour but de donner un nouvel élan au développement technologique de la filière en activant les interfaces avec la recherche fondamentale en amont et la recherche appliquée en aval. Ensuite, sur l'établissement des priorités de recherche technologique de base menée en commun par le CNRS et le CEA, qui feront l'objet d'un soutien supplémentaire de l'ordre de 25 millions d'euros. Si cette architecture est satisfaisante, l'effort français demeure encore insuffisant :

-* les moyens opérationnels ne sont pas à la hauteur des enjeux (ils sont, par exemple, trois fois inférieurs aux soutiens allemands). Sur ce point, la suppression du CNET et la réorientation de l'activité de recherche de France Telecom, qui ont soustrait du soutien public à la recherche-développement 600 millions d'euros, n'ont pas été compensées par la création de réseaux qui n'allouent, tous secteurs confondus, que 50 millions d'euros par an ;

-* le degré d'irrigation du tissu industriel est insuffisant.

Si la mise en oeuvre de plates-formes constituera un pôle d'attraction des industriels de la microélectronique comme le montre l'exemple du pôle de Crolles, près de Grenoble), la France ne possède pas de structures, comme les Fraunhofer en Allemagne, qui relient directement des centres de recherches aux entreprises industrielles utilisatrices de ces composants. Au total, au regard du volontarisme des politiques de soutien public du Japon et des Etats-Unis, les réponses des États et de l'Union européenne sont trop timides. Celle de la France l'est encore plus que celle de l'Allemagne. Il est donc urgent que la France définisse et mette à niveau une politique de soutien aux filières de haute technologie. A défaut, elle ne participera qu'à la marge à la révolution industrielle qui se prépare.

Colloque du Sénat"Les nanotechnologies, une chance à saisir" :

http://www.senat.fr/evenement/pdf/note-presse_nanotechno.pdf

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