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Edito : Nanotechnologies : il faut rétablir la vérité

Avec l'inauguration du « Minatec », à Grenoble, le 2 juin dernier, la France vient enfin de se doter d'un outil exceptionnel, unique en Europe, d'étude et de recherche dans le domaine stratégique des nanotechnologies (Voir article dans notre rubrique « Nanotechnologies »).qui sont en train de révolutionner, de manière transversale, l'ensemble des disciplines scientifiques et des secteurs industriels. En médecine par exemple, on prévoit que la moitié des médicaments produits dans les dix prochaines années relèveront des nanotechnologies.

Pourtant on assiste depuis quelques mois à la montée en puissance d'un mouvement qui rejette violemment, de manière globale et parfois haineuse ces nanotechnologies, les accusant de tous les maux et mettant systématiquement en avant leurs risques réels ou supposés, sans jamais évoquer les avancées majeures que ces nanotechnologies sont en train de permettre dans l'ensemble des champs de la connaissance. (Voir l'éditorial de notre lettre 377 http://www.tregouet.org/edito.php3?id_article=434" title="« Le nanomonde est en train de nous ouvrir de nouveaux horizons">« Le nanomonde est en train de nous ouvrir de nouveaux horizons » ).

A l'occasion de l'inauguration du Minatech, ces mouvements radicaux, au lieu d'essayer de s'informer de la nature exacte des recherches prévues dans ce centre et de dialoguer avec les chercheurs, ont demandé la fermeture pure et simple de ce centre de recherche et ont exprimé à l'égard des nanotechnologies un rejet dont la violence et le caractère irrationnel doivent interroger notre société.

Ce mouvement est d'autant plus inquiétant qu'il s'inscrit dans le cadre d'un rejet plus global du progrès scientifique et d'une emprise grandissante des pseudo-sciences sur l'opinion publique. Nous devons certes rester lucides et critiques vis-à-vis des avancées scientifiques et veiller à ce qu'elles profitent au plus grand nombre et à ce qu'elles ne portent pas atteinte à nos libertés.

Mais attention à ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain et à ne pas tomber dans la technophobie systématique, le dogmatisme et de nouvelles formes redoutables d'obscurantisme. Comment ne pas être consternés quand on voit des parents refuser tout vaccin pour leurs enfants, sous prétexte que ceux-ci ne sont pas "naturels" ou quand on assiste à des saccages de champs dans lesquels sont expérimentés des OGM à visée uniquement médicale et qui ruinent des années de travail de recherche dont tout le monde peut vérifier qu'elles tentent de mieux combattre de graves maladies aujourd'hui incurables ?

Cette technophobie ambiante grandissante est à la fois dangereuse et injustifiée et elle est exploitée de manière très habile par les sectes et mouvements extrémistes et intégristes mais aussi par certaines tendances de l'écologie radicale qui rejettent la rationalité scientifique pour imposer leur conception figée et naturaliste de l'homme qui ne serait finalement qu'un intrus dans une nature idéalisée. Attention donc à ne pas renforcer ce nouvel obscurantisme désolant qui est tout, sauf un progrès de la pensée.

Devons-nous retourner à une conception fataliste du monde, basée sur un ordre immuable de la nature que nous devrions subir sans pouvoir essayer de le comprendre ou de le modifier pour améliorer le sort de l'humanité ? Ce serait oublier bien vite que tout ce qui vient de la nature n'est pas bon ou souhaitable (les catastrophes naturelles et les épidémies en sont l'exemple) et que, depuis la naissance des grandes civilisations l'homme n'a cessé d'agir sur son environnement pour le rendre moins hostile et pouvoir survivre.

Refuser en bloc les nanotechnologies n'a pas de sens et me semble relever d'une ignorance inquiétante qui confirme hélas l'absence dramatique d'un minimum de culture scientifique chez une grande partie de notre jeunesse. Cette carence devrait conduire les pouvoirs publics à réhabiliter la place des sciences dans l'enseignement général. La vérité est que l'immense majorité des scientifiques a la conviction que les nanotechnologies sont en train de permettre des avancées majeures en médecine (lutte contre le cancer et connaissance de la cellule) et électronique (composants et puces nanométriques beaucoup plus petites et rapides), et en énergie (stockage de l'hydrogène pour les véhicules propres et panneaux solaires souples).

Je crois qu'il faut expliquer à notre jeunesse qu'on ne peut pas arrêter le progrès scientifique mais qu'on peut et qu'on doit l'orienter pour qu'il bénéficie au plus grand nombre et respecte notre dignité et nos libertés. L'enjeu n'est pas de refuser en bloc les nanotechnologies ou telle ou telle nouvelle technologie, çà n'est ni possible ni souhaitable, mais de veiller à ce que toute technologie soit utilisée au service de l'homme.

Pour ma part, et pour avoir suivi ces recherches depuis de nombreuses années, je suis persuadé, comme de nombreux chercheurs, que les nanotechnologies ouvrent la voie vers d'extraordinaires avancées scientifiques dans tous les domaines et d'abord en médecine ou, pour la première fois, elles sont en train de permettre en laboratoire de traiter des maladies jusqu'alors incurables. Les nanotechnologies, comme toute nouvelle technologie, ne doivent pas faire l'objet d'un rejet global mais d'un débat démocratique serein et d'un contrôle par les citoyens afin de s'assurer qu'elles sont orientées vers des applications utiles, qui améliorent la santé et le bien être de l'homme, comme celles que je viens d'évoquer.

Face à ces nouvelles formes extrémistes de rejet passionnel du progrès scientifique et technique, Il me semble souhaitable et urgent que les organismes de recherche et les chercheurs intensifient leurs efforts d'information pour mieux faire comprendre au grand public la nature et les enjeux de leurs travaux. Enfin il convient de s'interroger sur le décalage conceptuel et cognitif grandissant qui existe chez notre jeunesse entre l'utilisation quotidienne d'objets technologiques toujours plus nombreux et l'absence d'une culture scientifique de base comportant la connaissance des lois, principes et concepts universaux qui gouvernent la matière, la vie et l'univers.

Ceux qui s'opposent par principe, de manière globale et parfois violente, aux nanotechnologies servent sans le vouloir un nouvel obscurantisme et un dogmatisme idéologique dangereux. La peur se nourrit presque toujours de l'ignorance et je crois qu'il serait plus utile et plus constructif de définir une démarche éthique qui ne rejette aucune nouvelle technologie a priori mais repose sur un dialogue démocratique permanent avec les chercheurs et les pouvoirs publics, une information transparente et une vigilance civique dégagée des idéologies simplistes.

C'est ainsi, je crois, que ces nouvelles technologies, appelées à bouleverser nos vies mais qui peuvent susciter de légitimes interrogations, seront socialement acceptées et pourront être utilisées au service de tous, à commencer par nos concitoyens les plus fragiles et les plus faibles.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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