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Edito : Le nanomonde est en train de nous ouvrir de nouveaux horizons

Il faut souvent quinze à vingt ans entre une découverte fondamentale et ses premières applications "grand public". Ce fut notamment le cas pour le transistor, découvert en 1947, le laser, découvert en 1960 ou encore les téléviseurs à écrans plats à cristaux liquides (LCD), qui ont nécessité plus de 20 ans de recherche.

Il en aura été de même pour les nanotubes de carbone qui, quinze ans après leur découverte par le Japonais Sumio Iijima, sortent enfin des laboratoires. Ces structures en forme de microcylindres composés de molécules de carbone n'en finissent pas de révéler de nouvelles propriétés extraordinaires et commencent enfin à trouver des applications dans notre vie quotidienne. Dix mille fois plus fins qu'un cheveu, ces tubules de carbone pur sont deux cents fois plus résistants que l'acier à diamètre équivalent. Rigides et solides, les nanotubes sont capables de plier ou de s'étirer sur plus de quatre fois leur taille sans rompre.

Conduisant le courant et la chaleur bien mieux que les métaux, ils peuvent facilement être transformés en semi-conducteurs, ouvrant la voie à la conception de transistors à l'échelle nanométrique. Les obstacles qui freinaient l'utilisation des nanotubes sont levés les uns après les autres. Désormais, les nanotubes vont pouvoir être fabriqués en série. Depuis août 2005, l'équipe de Ray Baughman, un chimiste de l'Université du Texas à Dallas, peut produire jusqu'à dix mètres de "nano-ruban" chaque minute, aussi facilement qu'en déroulant une bobine de papier collant.

Ce ruban peut atteindre jusqu'à cinq centimètres de large, et possède une épaisseur de 50 nanomètres, ce qui le rend 2.000 fois plus mince qu'une feuille de papier. Les rubans produits sont transparents, flexibles, et conducteurs d'électricité. Le français Arkema vient, pour sa part, d'inaugurer début février une unité pilote de production capable de fournir 10 tonnes par an.

Aujourd'hui, la production mondiale dépasse les 100 tonnes pour un coût se négociant entre 1 000 et 40 000 euros le kilo.

Derrière ces matériaux se profilent les applications qui exploitent leurs extraordinaires propriétés électriques. La société japonaise Nantero a mis au point une mémoire pour ordinateur à base de nanotubes, devant être commercialisée cette année. L'américain Nanomix les utilise dans des détecteurs de gaz : un réseau de nanotubes allié à un gel réactif permet de mesurer avec précision les concentrations d'hydrogène et de gaz carbonique. Les applications vont des détecteurs industriels aux appareils respiratoires médicaux.

De leur côté, les biochimistes cherchent à utiliser ces nanotubes pour fabriquer des laboratoires d'analyse biologique complets tenant sur une simple puce. Il serait, en effet, possible d'accrocher sur chaque nanotube un brin d'ADN capable d'identifier une molécule précise.

Nanocancer

Ainsi, une goutte de sang suffirait pour analyser en quelques secondes le sang d'un malade chez lui. D'autres biologistes, à l'université de Strasbourg, envisagent d'utiliser ces nanotubes pour transporter les médicaments directement dans les cellules cancéreuses.

(Voir article).

Mais à plus court terme, c'est sans doute dans les domaines de l'électronique et de l'informatique que les nanotubes vont permettre des innovations majeures.(Voir aticle du CEA).

En août 2005, des chercheurs de l'Université de Californie, dirigés par Prabhakar Bandaru, ont réalisé le premier commutateur élaboré entièrement à partir de nanotubes de carbone. Ses concepteurs espèrent qu'il pourra se substituer aux puces de silicium pour fournir des composants plus rapides, plus petits et meilleur marché. Le dispositif est un nanotube en "forme de Y" et se comporte comme un transistor. (Université de Californie).

Les chercheurs du CEA viennent, pour leur part, de mettre au point un écran de 15 centimètres de diagonale pour quelques millimètres d'épaisseur, qui diffuse une courte séquence vidéo. L'image est lumineuse et contrastée. Cet écran est une première mondiale. Il ne fait appel ni au plasma, ni aux LCD des écrans plats actuels, mais aux nanotubes de carbone. « Ce matériau révolutionnaire nous permettra de produire des écrans plats encore moins chers et bien plus économes en électricité », explique Jean Dijon, de l'équipe grenobloise du Leti, le Laboratoire d'électronique de technologie de l'information. (CEA).

Des chercheurs de l'Institut Polytechnique de Rensselaer (Rensselaer Polytechnic Institute-RPI) situés à New-York ont annoncé, quant à eux, qu'un polymère flexible infusé avec des milliards de nanotubes en carbone pourrait être utilisé dans la création d'écrans particulièrement courbes et dans d'autres applications électroniques.( Voir New Sientist).

D'autres chercheurs de l'université de Boston, dirigés par Jianyu Huang, viennent de montrer qu'à haute température, les nanotubes de carbone peuvent subir une déformation avant rupture les rendant 280 % plus longs et 15 fois plus étroits. Cette propriété de superplasticité des nanotubes pourrait être utile pour une utilisation dans les dispositifs de nano-électronique (NanotechWeb).

De leur côté, des scientifiques du NIST (National Institute of Standards and Technology) ont réussi à élaborer des nanotubes de polymère exceptionnellement longs (environ 1 centimètre) suffisamment stables pour conserver leur forme indéfiniment. Des nanotubes de ce type devraient avoir des applications en biotechnologie : ils pourraient constituer des canaux pour le transport de minuscules volumes de produits chimiques, ou des "seringues hypodermiques" susceptibles d'injecter des molécules une par une. (NIST)

En médecine, les nanotechnologies seront également au coeur des futures thérapies. Un article publié dans le journal du prestigieux MIT souligne que les nanotechnologies font partie des technologies émergentes stratégiques et qu'elles vont révolutionner la médecine. (Voir article Les nanovecteurs moléculaires vont révolutionner la médecine dans notre rubrique « Nanotechnologies).

Plusieurs technologies révolutionnaires contre le cancer utilisant les nanotechnologies sont déjà en cours d'expérimentation chez l'animal. A l'Université Rice au Texas, des chercheurs travaillent sur un nouveau traitement qui utilise l'exposition à une lumière inoffensive, proche de l'infrarouge et l'utilisation de nanoparticules d'or pour détruire les tumeurs par la chaleur. Testée sur la souris, cette technique s'est avérée efficace contre les tumeurs et les chercheurs souhaitent à présent passer au stade des essais chez l'homme le plus rapidement possible.

Dans le domaine des neurosciences, les nanotechnologies sont également appelées à un avenir prometteur. C'est ainsi que de récentes recherches sino-américaines ont permis à des hamsters dont le nerf optique avait été endommagé de retrouver l'usage de leurs yeux grâce à un échafaudage de nanofibres qui aide les cellules nerveuses à repousser comme une plante sur une treille. (Voir article dans notre rubrique "Neurosciences")

Des chercheurs du Caltech sont parvenus, quant à eux, à utiliser de l'ADN pour fabriquer, simplement et à bas coût, des structures microscopiques aux multiples applications. Ils ont notamment réussi à créer à volonté des images complexes en deux dimensions d'un dix-millième de millimètre de diamètre, similaires aux "smileys" à l'aide d'ADN. (Voir article dans notre rubrique "Science du vivant")

Enfin, d'autres chercheurs de l'université de la Californie, dirigés par Laura Zanello, professeur de biochimie ont réussi, pour la première fois, à cultiver des cellules d'os sur des treillis en nanotubes de carbone. (Voir article dans notre rubrique "Science du vivant").

Outre les domaines de l'électronique, de l'informatique, de la médecine et des biotechnologies, les nanotubes de carbone sont enfin en train de révolutionner un autre secteur stratégique, celui de l'énergie. Les recherches de Taner Yildirim du NIST (National Institute of Standards and Technology), permettent d'espérer capturer l'hydrogène à hauteur de 8 % dans des nanotubes de carbone enrichis au titane. C'est un tiers mieux que la capacité de stockage minimum de 6 % exigée par l'association FreedomCar, le ministère de l'énergie des Etats-Unis et les trois plus grands constructeurs automobiles américains. Les nanotubes pourraient donc faire sauter un verrou technologique majeur dans l'utilisation à grande échelle de l'hydrogène comme carburant pour les transports automobiles.

Enfin, signalons qu'une entreprise du Massachusetts, Konarka, a mis à profit les progrès de la nanotechnologie pour concevoir un film ultraléger capable d'exploiter l'énergie solaire. Semblable aux films alimentaires, ce produit économique et facile à fabriquer se prête à d'innombrables applications. Par exemple, permettre à votre ordinateur portable de fonctionner sans autre forme d'alimentation, ou à la batterie de votre voiture de se recharger au soleil. On pourrait même envisager d'en recouvrir des immeubles de bureau, qui seraient alors en mesure de produire leur propre énergie électrique Konarka.

A la lumière de ce trop rapide panorama, on voit donc à quel point les nanotechnologies vont révolutionner de manière transversale et globale tous les secteurs clés de la science et de la technologie.

A plus long terme, 20 ou 30 ans, la maîtrise de la manipulation des atomes va permettre d'inverser le sens de la production : au lieu de fabriquer une paire de gants, un écran ou un stylo en partant de la matière brut pour arriver au produit fini, dans un processus "up-down", les nanotechnologies permettront d'inverser cette production : partir de l'atome (bottom) pour aller vers l'objet ou le produit fini (up), en procédant à une réorganisation de la matière.

Cette nanoproduction se fera sans aucun déchet et sera totalement respectueuse de l'environnement. Elle permettra également de fabriquer à la demande des produits sur mesure, exactement adaptés aux besoins de chacun. On le voit, presque un demi-siècle après le discours historique de Richard Feynman, le 29-12-1959, qui pressentit génialement que l'homme utiliserait l'infiniment petit, la révolution des nanotechnologies ne fait que commencer et il n'est pas exagéré de dire que l'exploration et l'utilisation de ce nanomonde va faire entrer l'humanité dans une nouvelle ère que nous commençons à peine à imaginer.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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