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Edito : Microsoft a perdu toutes les batailles mais a gagné la guerre

La juge Colleen Kollar-Kotelly a entériné le vendredi 1er novembre l'accord à l'amiable conclu en novembre 2001 entre Microsoft, le département de la Justice et neuf Etats américains dans le procès antitrust contre le géant du logiciel. La magistrate fédérale a rejeté les propositions de neuf autres Etats américains qui récusaient cet accord, l'estimant trop peu contraignant pour empêcher Microsoft de maintenir illégalement son monopole sur les systèmes d'exploitation Windows et d'utiliser sa position dominante dans d'autres secteurs informatiques. (voir décision du 1-11-2002 de la juge Colleen Kollar. La Californie, le Connecticut, la Floride, l'Iowa, le Kansas, le Massachussetts, le Minnesota, l'Utah et la Virginie occidentale demandaient des sanctions plus sévères. La magistrate a estimé que les demandes des Etats plaignants "ne présentaient que peu, voire pas du tout, de justification légitime car ces sanctions, et dans la plupart ces cas ces propositions, ne sont fondés sur aucune analyse économique". En approuvant l'accord, la juge a rejeté en bloc les sanctions supplémentaires réclamées contre Microsoft par les neuf Etats qui estimaient l'accord trop favorable au groupe de logiciels. Ils voulaient notamment que Microsoft soit contraint d'offrir une version modulable de son logiciel vedette Windows, véritable coeur de 9 ordinateurs sur 10 dans le monde et au centre de la bataille judiciaire entamée il y a huit ans. "Plusieurs des sanctions proposées par les Etats plaignants nécessiteraient d'apporter des modifications drastiques aux produits de Microsoft" et "les plaignants offrent peu ou pas de justifications légitimes" à leurs demandes, a souligné la juge. L'accord à l'amiable, valable pour cinq ans, prévoit notamment que les fabricants d'ordinateurs doivent avoir plus de liberté pour configurer leurs machines et introduire des logiciels (navigateur internet, téléchargement de musique...) concurrents de ceux de Microsoft. Microsoft doit aussi fournir plus d'informations techniques sur Windows afin que les éditeurs de logiciels puissent concevoir des produits compatibles avec cette plate-forme. "Microsoft a perdu toutes les batailles et il a gagné la guerre", commente Shane Greenstein, professeur spécialisée dans les entreprises technologiques à la Kellogg Graduate School of Management. "Il semblerait que tous les points litigieux aient trouvé leur solution dans un sens qui soit favorable à Microsoft (...) je pense que si l'on fait le bilan de cette affaire, Microsoft a gagné", ajoute Brendan Barnicle, analyste financier spécialisé dans les logiciels chez Pacific Crest Securities. C'est clairement une victoire pour Microsoft", a déclaré pour sa part Robert Enderle, analyste du cabinet de recherche Giga Information Group. "Ce dossier est largement réglé", a estimé quant à lui Nicholas Economides, professeur d'économie à l'université de New York. Cette décision marque la fin d'une action en justice entreprise en 1998, sous l'administration Clinton, à moins d'un appel des Etats plaignants qui n'ont pas fait part de leurs intentions. Le numéro un mondial des logiciels avait été reconnu coupable en appel, en juin 2001, d'abus de position dominante sur le marché des systèmes d'exploitation. Le juge avait alors demandé la scission en deux parties de la société, ce qui avait été annulé par une juridiction supérieure. Le dossier avait alors été transmis à la juge Colleen Kollar-Kotelly avec mission de décider des sanctions nécessaires. A la demande de la magistrate, un accord à l'amiable avait été conclu en novembre 2001 entre Microsoft, l'Etat fédéral et la moitié des Etats initialement plaignants. L'accord signé alors permet aux constructeurs d'ordinateurs d'utiliser plus facilement des logiciels concurrents de ceux de Microsoft en leur donnant le droit de cacher des icônes Microsoft sur l'écran d'accueil du système d'exploitation Windows. Microsoft se voit interdire d'appliquer des mesures de rétorsion contre les fabricants de PC qui choisissent des logiciels concurrents et également interdire de conclure des accords d'exclusivité en faveur de ses logiciels. Cet accord prévoit également que Microsoft devra vendre son système Windows au même prix à tous les constructeurs informatiques, mais des rabais pourront être consentis en fonction du volume d'achat de licences Windows. L'attorney general John Ashcroft s'est dit "satisfait" de la décision de la juge Kollar-Kotelly. "Le département (de la Justice) est satisfait de la décision du tribunal qui approuve l'accord du département avec Microsoft", a-t-il déclaré dans un communiqué publié quelques minutes après l'annonce de la décision. "Cette décision confirme que le jugement final sert l'intérêt public en résolvant pleinement et efficacement la conduite illégale de Microsoft et en rétablissant les conditions de la concurrence dans le secteur du logiciel informatique", a-t-il ajouté. Le département de la Justice s'engage à s'assurer que Microsoft applique les conditions de l'accord et continuera à surveiller son application, a-t-il poursuivi. Microsoft a annoncé pour sa part prendre le temps d'examiner la décision de justice et n'avoir aucun commentaire à faire dans l'immédiat. Une porte-parole de l'éditeur, Stacy Drake, a déclaré que la société préparait une réponse complète à la décision. Microsoft s'est dit "content" de l'approbation par le tribunal de l'accord. "L'accord est un compromis dur mais équitable et impose des conditions importantes à Microsoft, mais il nous permet de continuer à innover et à créer des produits qui répondent aux nouveaux besoins de nos clients", a indiqué le numéro un mondial des logiciels dans un communiqué. Pour l'Attorney général (ministre de la Justice) des Etats-Unis, John Ashcroft, la décision de la justice est "une grande victoire pour les consommateurs et l'industrie". S'il ne fait pas de doute, comme le souligne la presse américaine dans son ensemble et les spécialistes du secteur informatique, que cette décision de la justice américaine constitue une victoire pour Microsoft qui préserve à la fois son intégrité juridique et l'intégrité de son système d'exploitation Windows, qui échappe à l'obligation de commercialisation modulable, il n'en demeure pas moins que cet accord s'avère relativement sévère et contraignant pour le géant de Redmond et peut permettre de créer les conditions d'une meilleure concurrence sur le marché des logiciels ainsi que le souligne Timothy Bresnahan, Professeur à Stanford. "Mais Microsoft peut encore contourner cette décision de multiples façons et tout va dépendre à présent de la façon dont sera appliqué et respecté cet accord sur le terrain" souligne le Professeur Bresnahan qui regrette également que la décision ne concerne que le système d'exploitation Windows et ne soit pas étendue à tous les logiciels Microsoft. (voir article http://www.nytimes.com/2002/11/02/technology/02IMPA.html). L'attention se déplace aussi vers l'Europe où Microsoft est sous le coup d'une enquête de la Commission européenne, qui soupçonne le groupe américain de profiter de sa domination sur les systèmes d'exploitation, avec Windows, pour mettre la main sur le marché des logiciels pour entreprises et pour serveurs. Cette décision capitale de la justice américaine aura probablement des conséquences sur le dossier européen. Il est en effet indispensable pour la survie et l'indépendance de notre industrie logicielle européenne, beaucoup plus fragmentée qu'aux Etats-Unis, que la justice européenne prennent des mesures fortes et suffisamment contraignantes pour assurer les conditions d'une véritable concurrence dans ce secteur stratégique et éviter une domination complète et définitive de Microsoft sur le secteur logiciel qui constitue la clef de voûte de la nouvelle économie immatérielle. Cette affaire exemplaire qui concerne une firme qui est devenue le symbole incontestée de la puissance économique et technologique et de l'économie mondialisée montre également à quel point il est essentiel, face à des entités techno-économiques disposant d'un tel pouvoir, de développer la coopération et la coordination juridique et judiciaire au niveau international et de disposer d'un pouvoir judiciaire européen suffisamment indépendant et puissant pour définir et faire respecter à l'échelle de notre continent le cadre d'une concurrence saine et loyale conforme à l'intérêt de nos entreprises et de nos consommateurs.

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

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