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Edito : Microsoft et Yahoo! : l'inévitable alliance pour contrer les ambitions de Google

Il y a quelques jours, le « New York Post »révélait que Microsoft envisageait sérieusement d'acheter Yahoo! pour la coquette somme de 50 milliards de dollars. De son côté, le « Wall Street Journal » parle d'un simple « rapprochement et d'un « partenariat renforcé ». Mais derrière ces doux euphémismes, c'est bien une lutte de pouvoir impitoyable au niveau planétaire qui a commencé pour le contrôle de la vente de biens, services et publicité sur le Net.

Il est vrai qu'avec une capitalisation boursière de 300 milliards de dollars (contre 155 milliards pour Google) et 20 milliards de dollars de cash, Microsoft a les moyens de prendre le contrôle de Yahoo ! qui ne vaut, si l'on peut dire, que 42 milliards de dollars et a enregistré une perte de 60 % de bénéfice net pour l'activité de son portail en 2006.

Mais quelles sont les raisons qui pousse Microsoft, traditionnellement rétif à de telles acquisitions, à envisager une fusion pour le moins risquée avec une société, Yahoo!, qui compte plus de 10 000 salariés ? La réponse est simple : l'explosion du marché publicitaire sur le Web et la croissance prévisible des services informatiques en ligne. Or, dans ces deux domaines absolument stratégiques pour son avenir, Microsoft ne se suffit plus à lui-même et a un besoin vital d'élargir ses horizons commerciaux et de s'imposer sur ces nouveaux marchés qui représentent d'immenses profits potentiels pour les décennies à venir. Après avoir renouvelé en 2005 un partenariat publicitaire avec AOL, Microsoft cherche à présent le moyen de résister au rouleau compresseur Google qui est devenu l'acteur dominant de la publicité en ligne.

Une fusion Microsoft-Yahoo! permettrait la constitution d'une entité qui aurait un chiffre d'affaires publicitaire équivalent à celui de Google : 7 milliards de dollars par an, contre 7,3 milliards pour Google. Une étude publiée récemment par Nielsen/NetRatings permet de bien éclairer ces enjeux économiques : l'institut américain révèle que, sur le mois de mai 2007, plus de 3,8 milliards de recherches ont été effectuées à partir de Google, numéro un mondial, avec 54 % de parts de marché, devant Yahoo!, 1,55 milliard et 22 % de parts de marché, et Microsoft avec 715 millions de recherches, soit 10 % du marché mondial.

En parts de marché, le nouveau groupe constitué par Microsoft et Yahoo! pourrait espérer, pour sa part, contrôler 32 % du marché mondial. Il pourrait donc espérer une part plus importante du fructueux gâteau de la publicité en ligne qui croît de 20 % par an et atteindra 45 milliards de dollars en 2009. Quant à Yahoo!, il ne cesse de perdre des parts de marché en matière de publicité en ligne et n'attire plus que 16 % de la publicité sur le Web, contre 75 % pour Google, qui vient encore de renforcer sa position par le rachat de la régie « Double Clic ».

Mais pour Microsoft, il y a plus grave encore : Google est en train de l'attaquer frontalement, et victorieusement, sur son terrain, celui de la vente de logiciels et de services informatiques. Ayant parfaitement pressenti et exploité la demande mondiale en matière de services logiciels en ligne (SaaS), Google est devenu, en quelques années, un acteur incontournable et dominant sur ce nouveau marché d'avenir grâce à une multitude de services aux entreprises et aux particuliers, tous plus innovants les uns que les autres.

Le succès actuel de sa suite bureautique « Google Apps » ne fait que confirmer cette tendance. Bien sûr, Microsoft a fini par prendre conscience de cette menace et par réagir en proposant de nouveaux services en ligne, associés à ses logiciels résidents dans les ordinateurs, mais pour beaucoup d'analystes, cette réponse tardive est insuffisante pour contrer efficacement la stratégie globale et remarquable de cohérence de Google, comme le prouve le doublement de son bénéfice, en 2006, à 3,07 milliards de dollars.

Enfin, autre élément à prendre en compte, selon une étude conjointe réalisée par Arthur Little et BNP Paribas, les opérateurs Télécoms ont renoncé à être producteurs de contenus et de services et multiplient les partenariats avec les géants du Net et des médias. Mais, selon cette étude, le rapport de force, pour l'instant "gagnant-gagnant", basculera inévitablement du côté des géants du Web. L'étude observe que ces géants, comme Yahoo! et Google, sont déjà en mesure d'imposer leurs services aux opérateurs et prévoit que, d'ici 3 ans, ces grands groupes numériques rentreront en concurrence frontale avec les opérateurs sur l'ensemble des services proposés. Microsoft et Yahoo! n'ont évidemment pas l'intention d'abandonner cette nouvelle manne à Google.

Dans un tel contexte, et alors qu'en matière de logiciels comme en matière de navigateurs Internet, les systèmes « open source » ne cessent de gagner du terrain, Microsoft semble donc bel et bien condamné à se rapprocher de Yahoo! qui fait, en ce moment, l'objet de beaucoup de convoitises, notamment de la part d'AOL qui aimerait bien enrichir son offre en prenant le contrôle du célèbre portail.

Reste à voir si deux entreprises aussi différentes dans leur culture, leur organisation et leur management pourront fusionner de manière synergique. L'exemple de la fusion AOL-Time Warner montre en effet à quel point il est difficile de faire travailler ensemble des firmes à la culture bien tranchée.

Quoiqu'il en soit, on mesure à quel point, en observant ces grandes manoeuvres entre géants de l'économie numérique, la chaîne de valeur économique est en train de changer radicalement de nature dans l'économie dématérialisée et cognitive de ce début de XXIe siècle. Désormais, l'économique et le culturel, l'éducatif et le ludique, le social et le commercial, le public et le privé, le gratuit et le payant se combinent de manière inédite et complexe et les géants qui domineront demain l'économie virtuelle seront ceux qui sauront le mieux innover dans cette nouvelle dynamique combinatoire en évolution de plus en plus imprévisible.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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