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Edito : Les micro-machines seront au coeur de la révolution numérique

Voici un nouvel acronyme dont vous n'avez pas fini d'entendre parler : MEMS qui signifie Micro Electro-Mechanical Systems c'est à dire microsystèmes électromécaniques. Il désigne des machines de taille submicronique (inférieure au millième de millimètre), qui envahissent progressivement notre vie quotidienne. Depuis quelques années déjà, les Mems ont conquis le monde automobile: accéléromètre miniaturisé qui détecte les chocs et commande le déclenchement des airbags, capteur de pression et de température des pneus, de l'eau, de l'huile... Ils sont désormais plus efficaces, moins chers et plus simples à intégrer dans le véhicule que les dispositifs mécaniques traditionnels. Certaines voitures haut de gamme en comptent déjà plus de soixante-dix. Désormais , c'est l'ensemble du secteur des transports qui est envahi par les MEMS et demain nos routes seront truffées de microcapteurs qui nous fournirons en permanence une multitude d'informations sur l'état du trafic et les conditions météo. Ces micromachines sont également en train de révolutionner le monde de l'image, qu'il s'agisse du cinéma ou de la vidéo-projection. La projection numérique utilise un procédé de vidéoprojection révolutionnaire, la technologie DLP (Digital Light Processing) mis au point par Texas Instrument et reposant sur les puces DMD (Digital Micromirror Device). Ces puces sont des micro-miroirs qui se comptent en millions basculent en 1/60e de seconde sur de minuscules barres de torsion. Chacun de ces miroirs est attiré ou repoussé par deux électrodes. En basculant, chacun de ces miroirs, soit envoie la lumière sur l'écran (le point projeté est alors blanc) soit la dévie vers une surface d'absorption (le point projeté est alors noir). Pour la couleur, le même nombre de miroirs (en millions) traitent chacune des couleurs de base (rouge, vert, bleu). Cette technique permet d'obtenir une définition qui n'a jamais été atteint avec une autre technologie de vidéoprojection. Aujourd'hui, les Mems s'attaquent au monde de l'informatique et de ses réseaux à très haut débit. Tant que l'information voyage sous forme électrique, tout va bien. Les transistors traitent sans problème les débits de plusieurs dizaines de kilo-octets par seconde qui transitent par le câble, les lignes téléphoniques ADSL ou Numéris. En revanche, dans les réseaux interentreprises, les transferts d'information se comptent en mégaoctets (millions d'octets), gigaoctets (milliards d'octets), voire teraoctets (trillions d'octets) par seconde. Là, les câbles électriques cèdent avantageusement la place aux fibres optiques et l'information circule sous forme d'impulsions lumineuses. Or, le but d'un réseau est d'acheminer correctement ces informations de l'émetteur au destinataire. A cette fin, les systèmes d'aiguillage actuels, appelés routeurs, doivent effectuer une double conversion. Le principe est simple: à chaque fibre 'entrante', une cellule photoélectrique convertit les signaux lumineux en impulsions électriques afin que les puces électroniques puissent les traiter et orienter les données vers la fibre du destinataire. Enfin, un laser reçoit les impulsions électriques, les transforme en impulsions lumineuses et les injectent dans la libre optique "sortante". Mais cette double conversion optique-électronique-optique prend du temps. Guère plus de quelques nanosecondes (milliardième de seconde), certes, mais c'est encore énorme compte tenu de la vitesse de transmission. En effet, un bit de 1 gigaoctet par seconde transmet 1 octet par nanoseconde. Pour un débit supérieur, le routeur se transforme en goulet d'étranglement. L'idéal serait de supprimer cette étape de conversion optique-électronique et d'aiguiller directement les informations lumineuses. Mais la mise au point de tels systèmes a longtemps été difficile. Il faudra attendre cette année pour assister à la naissance de Lambda, le premier routeur tout optique, mis au point par Lucent Technologie, un département des laboratoires Bell. Le routeur Lambda regroupe 256 fibres optiques "entrantes' en un carré de 16 fibres de côté; à proximité sont disposées les extrémités de 256 fibres "sortantes". En face, le Mems porte 256 micromiroirs mobiles. Suivant leur orientation, chacun de ces miroirs peut réfléchir la lumière issue de la fibre entrante qui lui est associée vers n'importe quelle fibre sortante. Bien entendu, les miroirs réagissent moins rapidement qu'une commutation électrique. Il leur faut environ 1/5 000' de seconde pour s'orienter contre quelques nanosecondes pour l'électricité. Mais, une fois la "connexion' établie, le flux optique est ininterrompu. Il n'y a donc plus la perte de temps qu'engendrait précédemment le traitement électronique et qui se déroulait pendant toute la transmission. L'optoélectronique est loin d'être le seul champ d'application des Mems. Ils seront bientôt indissociables des microprocesseurs qui équipent les ordinateurs. Non pas pour traiter les données informatiques, mais pour garantir le bon fonctionnement des puces électroniques. Celles-ci sont mises à rude épreuve par les constructeurs qui, pour accroître leur puissance de calcul, ne cessent d'augmenter le nombre de transistors par unité de surface et de raccourcir en conséquence leurs interconnexions. Or, lorsque les transistors travaillent, ils chauffent par simple effet joule (le passage d'un courant électrique dans un matériau provoque un échauffement).Même si la chaleur engendrée par chacun d'entre eux est faible, le nombre de transistors est tel que l'échauffement du microprocesseur est considérable. Ainsi, le coeur d'un Pentium IV (qui contient une quarantaine de millions de transistors) en activité dépasse les 80 'C. Si l'on veut obtenir des puces encore plus puissantes, il faut miniaturiser les transistors au point qu'ils ne dépassent pas quelques atomes de silicium. Aujourd'hui, on sait faire des transistors dont la fréquence atteint plus de 1 000 GHz. Mais on ne sait pas fabriquer de microprocesseur avec de tels transistors, car dès qu'ils entreraient en activité, la température du microprocesseur ait celle du coeur d'un réacteur nucléaire! Pourtant la puissance que le microprocesseur doit dissiper sous forme de chaleur est modeste: à peine quelques watts. Le problème est que cette énergie reste concentrée sur une très petite surface. Sur les microprocesseurs actuels, c'est un petit ventilateur qui assure le refroidissement. Mais cette solution a atteint ses limites et chez Intel, on envisage d'utiliser une ou plusieurs micro-pompes à chaleur gravées dans le substrat du microprocesseur. Le microsystème prélèvera localement de la chaleur afin de la transférer à l'extérieur de la puce. La zone froide, gravée sous la forme d'un serpentin, sera reliée à un Mems "microcroturbine', capable de tourner à plusieurs millions de tours par minute! Son rôle sera de comprimer et de faire circuler un fluide réfrigérant dans les conduites de 280 nanomètres de large. Les micromachines sont donc en train de révolutionner 3 domaines technologiques stratégiques, le multimédia, les télécommunications et la micro-électronique. mais à plus long terme, d'ici une dizaine d'années ces micromachines vont entraîner une révolution encore plus importante dans un autre domaine capital pour nos sociétés vieillissantes, celui de la santé. Il a quelques mois une équipe de l'université Cornell aux Etats-Unis, menée par Carlo Montemagno, a couplé un enzyme à un support et des pales en nickel de quelques nanomètres pour fabriquer des engins microscopiques. Le carburant utilisé pour faire tourner le tout est la molécule d'ATP, qui est utilisé par tout être vivant pour se fournir en énergie. Ces nanomachines ont pu tourner sans discontinuer pendant huit heures. Les scientifiques espèrent, à terme, pouvoir injecter ces machines dans le corps du patient pour observer, analyser et soigner l'organisme avec un précision incomparable allant jusqu'au niveau de la cellule et du gène. A plus court terme des MEMS intégrées dans nos vêtements ou implantés dans notre corps surveilleront en permanence nos paramètres biologiques et pourront délivrer au bon moment la quantité exacte de médicaments dont nous avons besoin. Les japonais et les américains ont parfaitement compris les enjeux industriels et technologiques que représentent la maîtrise et la fabrication de ces micromachines et ils se donnent les moyens, publics et privés, de devenir les leaders dans ce domaine d'avenir. Il faut en effet savoir que le marché mondial des MEMS représente déjà 200 milliards d'euros et en 2005 ce chiffre aura été multiplié par huit! Il est capital que la France et l'Europe ne se fassent pas distancer dans cette nouvelle compétition technologique qui implique non seulement des programmes de recherche ambitieux et une coopération public-privé accru mais aussi une nouvelle organisation transversale et pluridisciplinaire des savoirs et des compétences dans des domaines aussi variées que l'électronique, la mécanique, la chimie, la physique et la biologie. Pour rester dans cette course décisive, la France et l'Europe devront profondément réorganiser l'organisation et le fonctionnement de leur recherche scientifique, tant fondamentale qu'appliquée. Souhaitons que nos décideurs politiques prennent toute la mesure de ce nouveau défi.

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

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