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Edito : Maladie d’Alzheimer : une révolution thérapeutique est en marche

Cette semaine, nous allons revenir sur un sujet grave que j'ai souvent évoqué mais qui mérite un nouveau développement : la maladie d’Alzheimer. En effet, de nouvelles et importantes découvertes concernant cette redoutable pathologie ont été effectuées au cours de ces derniers mois et méritent d’être mieux diffusées.

On sait qu’une des causes supposées de l'Alzheimer est l'accumulation de la protéine bêta-amyloïde dans différentes zones du cerveau. Ce processus d’accumulation de ces plaques finit par être toxique pour les neurones et par entraîner leur destruction, d’où les dommages dévastateurs qu’entraîne cette maladie. Pour combattre ces plaques, une des voies thérapeutiques expérimentées consiste à « marquer » les protéines avec des anticorps qui vont ainsi pouvoir mobiliser le propre système immunitaire du patient, afin qu'il les attaque et les élimine. Mais cette approche, qui est celle du vaccin thérapeutique, est complexe à mettre en œuvre et peut entraîner des effets secondaires difficiles à maîtriser.

Pour surmonter cet obstacle majeur, des chercheurs de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) ont présenté, il y a quelques mois, une capsule bioactive contenant des cellules génétiquement modifiées pour produire des anticorps contre ses protéines Abeta. Cette capsule de 27 millimètres de long, 12 de large et 1,2 d'épaisseur est implantée dans le tissu sous-cutané. Une fois en place, elle libère chaque jour pendant six mois de petites doses d'anticorps qui migrent vers le cerveau, via la circulation sanguine (Voir EPFL).

Selon les chercheurs de l’EPFL « Les premiers essais sur la souris ont démontré que les anticorps ainsi acheminés vers le cerveau allaient bien cibler spécifiquement les plaques Abeta, ce qui se traduisait, in fine, par une réduction considérable du nombre et de la taille de ces plaques ». Autre observation très encourageante : cette approche thérapeutique permet non seulement de réduire drastiquement les niveaux de protéines bêta-amyloïdes dans le cerveau mais empêche également la pathologie Tau de se déclencher dans l’hippocampe, première structure normalement touchée.

Ces chercheurs soulignent néanmoins qu'un travail considérable reste à accomplir - au moins 10 ans de recherche - pour transposer à l’homme ce succès chez l’animal et créer un type d’implant totalement compatible pour l’être humain. Les espoirs suscités par cette nouvelle approche sont d’autant plus grands que, jusqu’à présent, les résultats des essais cliniques en immunothérapie contre la maladie d’Alzheimer ont été mitigés voire décevants.

Les chercheurs de l’EPFL pensent que si cette approche en immunothérapie n’a pas pu révéler tout son potentiel jusqu’à présent, c’est parce qu’elle a été essentiellement expérimentée sur des patients qui étaient déjà un stade avancé de la maladie. En revanche, plusieurs essais en cours chez d’autres patients qui en sont aux premiers stades de la maladie d’Alzheimer semblent montrer que cette approche immunothérapique peut être plus efficace pour ces malades. L’idée serait donc, grâce à ce type d’implant, de pouvoir administrer différents types d’anticorps, aux patients à risque, une dizaine d’années avant que les premiers symptômes apparaissent, dans le but de retarder très sensiblement le déclenchement de cette maladie.

A la fin de l'année dernière, une autre équipe de chercheurs suédois de l'Institut Karolinska, basé à Stockholm, a présenté un vaccin stimulant la production d'un anticorps qui cible spécifiquement la protéine Tau, l'une des protéines en jeu dans la formation des agrégats, des plaques ou des fibrilles qui perturbent le fonctionnement neurologique, propres à la maladie d'Alzheimer (Voir The Lancet Neurology). Pour développer leur vaccin contre la protéine tau, ces chercheurs ont couplé leur anticorps à une molécule porteuse non-présente chez les humains, afin d'éviter toute réponse auto-immune. Résultat, ce vaccin a eu pour seuls effets secondaires des réactions locales mineures, pour la moitié des patients dans la zone de l'injection. Aucun autre effet secondaire grave n'a été directement constaté. Selon cette étude, ce vaccin a permis de susciter une vigoureuse réponse immunitaire ciblant la protéine tau chez 29 des 30 patients, atteints de troubles légers à modérés ayant participé à ces essais.

Il faut également souligner qu’une autre étude récente vient de montrer sur 32 patients atteints de formes modérées de cette maladie qu’une molécule, appelée verubecestat, développée par les laboratoires américains Merck, était capable de réduire la présence de protéines toxiques beta-amyloïdes dans le cerveau en bloquant une enzyme appelée BACE1. Contrairement aux autres molécules neutralisant l'enzyme BACE1 développées et testées précédemment, la verubecestat n'est pas toxique. Elle n'a ainsi pas provoqué d'effets secondaires hépatiques et neurologiques sévères, explique Matthew Kennedy, du laboratoire de recherche de Merck dans le New Jersey. Les deux essais cliniques internationaux en cours, dits de phase 3, pour évaluer l'efficacité clinique du verubecestat, seront terminés en juillet 2017. Si les résultats sont probants, ce traitement sous forme de comprimés pourrait être mis sur le marché d'ici deux à trois ans.

Mais, dans le domaine médical les grandes avancées surviennent souvent là où on ne les attendait pas. Et c’est peut-être ce qui vient de se passer pour la maladie d’Alzheimer. Des chercheurs du MIT viennent en effet de découvrir qu’un type très particulier de champ électrique avait, chez la souris, d’étonnant effets thérapeutiques sur la maladie d’Alzheimer (Voir MIT News).

Rompant avec le paradigme actuel qui consiste à agir sur le cerveau par les voies chimiques ou biologiques, pour combattre cette pathologie neurodégénérative sévère, ces chercheurs ont voulu savoir s’il était possible de combattre cette maladie en intervenant sur l’activité électrique du cerveau et notamment sur les cycles oscillatoires générés par une catégorie particulière de neurones : les interneurones inhibiteurs rapides.

Grâce à une méthode qui révolutionne actuellement les neurosciences fondamentales, l’optogénétique, Hannah Iaccarino et ses collègues ont donc manipulé l’activité des interneurones inhibiteurs au niveau de l’hippocampe de « souris Alzheimer ». Ils ont alors constaté, à leur grande surprise, qu’après une heure de stimulation à une fréquence de 40 Hz de cette structure cérébrale, le taux de protéines amyloïdes était réduit de 40 à 50 %. En outre, ces oscillations gamma semblent également efficaces pour réduire la concentration de protéines Tau, l’autre protéine anormale impliquée dans cette pathologie.

Poursuivant leurs recherches, ces scientifiques ont ensuite observé ce qui se passait lorsque des souris étaient exposées à un stroboscope réglé sur 40Hz. Et là, autre surprise de taille, ils ont constaté qu’une exposition d’une heure de ces souris au stroboscope réduisait également de moitié les niveaux de protéines amyloïdes, ce qui ouvre des possibilités tout à fait nouvelles pour le traitement ou la prévention de la maladie d’Alzheimer. Au plan moléculaire, il semble que les bénéfices de ce type d’intervention reposent sur l’activation, par la stimulation à 40 Hz, d’une population de cellules non-neuronales bien spécifique : la microglie, impliquée dans le système de défense immunitaire du cerveau. Selon cette étude, « si les êtres humains répondent de la même manière que les souris, le potentiel de ce traitement est tout simplement énorme, car il est non-invasif et très accessible ».

Cette étude est passionnante pour plusieurs raisons : d’abord parce qu’elle ouvre une voie de recherche clinique tout à fait nouvelle contre cette maladie redoutable. Ensuite parce que, sur le plan fondamental, elle conforte certaines théories qui font de l’activité neuronale un facteur déterminant dans le maintien de la structure cérébrale et le bon fonctionnement cognitif. Or, il est à présent démontré que la curiosité, une bonne sociabilité et l’activité intellectuelle ont un effet protecteur très efficace pour prévenir le déclin cognitif des personnes âgées. Cela est notamment le cas pour certains patients dont les risques de développer un Alzheimer sont plus élevés à cause d’une mutation génétique identifiée sur le gène APOE4. Pour ces personnes, il a été montré qu’un niveau d’activité intellectuelle élevé pourrait reculer en moyenne de neuf ans l’apparition des symptômes de cette maladie…

Une autre révolution scientifique est également peut-être en marche quant aux principales causes de cette maladie. Un manifeste publié il y a quelques mois et signé par 33 chercheurs issus de 21 universités dans le monde, avance l’hypothèse qu’une cause virale pourrait être fortement impliquée dans le déclenchement de la maladie d’Alzheimer. Cette publication rappelle qu’une centaine d’études ont montré un lien direct ou indirect entre l’infection par des agents pathogènes et la démence sénile, caractérisée par un déclin cognitif, des pertes de mémoire et le dépôt d’une protéine appelée peptide bêta-amyloïde dans les neurones (Voir PCOM).

Parmi les virus les plus suspectés, les scientifiques pointent le virus Herpes simplex, présent dans le sang et la salive et transmissible par les contacts rapprochés. Il semble que ce virus soit en mesure, chez les sujets dont le système immunitaire est affaibli par différentes causes, d’entraîner une inflammation cérébrale, l’encéphalophatie herpétique, qui touche particulièrement les aires cérébrales touchées par la maladie d’Alzheimer. Cette hypothèse s’appuie également sur le fait que la concentration des niveaux de virus dans le sang est proportionnelle au degré de progression de la maladie.

Ces scientifiques soulignent également, qu’in vitro, le fait d’injecter ce virus à des souris provoque le dépôt des plaques de peptide bêta-amyloïde dans les neurones et entraîne, en retour, une réaction immunitaire qui se traduit par la production de peptides bêta-amyloïdes. Ces derniers vont avoir, dans un premier temps, un effet antiviral bénéfique mais, à plus long terme, ils finissent par entraîner des conséquences néfastes provoquant la destruction des neurones. Ce manifeste considère que cette voie de recherche sur les virus, comme cause possible de la maladie d’Alzheimer, a été dramatiquement négligée et qu’il faut absolument l’explorer si nous voulons progresser dans la connaissance des causes profondes de cette maladie. Il rappelle que le même aveuglement a été longtemps constaté dans le domaine du cancer où il a fallu beaucoup de temps pour admettre le rôle-clé de certains virus.

Enfin, il est important de rappeler que la maladie d’Alzheimer, comme les autres pathologies graves qui touchent l’être humain, cancer, maladies cardio-vasculaires ou diabète, est liée d’une manière beaucoup plus forte qu’on ne l’imagine à notre mode de vie. À cet égard, une étude récente vient de montrer pour la première fois que la prise d’un complexe de quatre probiotiques pendant 12 semaines à des patients atteints de la maladie d’Alzheimer provoque une amélioration de leurs performances au MMSE, test mesurant le déclin cognitif (Voir Frontiers).

Ces résultats confirment le lien très puissant, bien qu’encore largement ignoré, entre notre intestin et notre cerveau. Ces observations confirment également l’hypothèse d'un lien probable entre diabète et Alzheimer, comme le montre d’ailleurs l’action d’un médicament utilisé contre l’Alzheimer, la mémantine, un antagoniste des récepteurs NMDA qui améliore l’action de l’insuline au niveau cérébral et contribue au bon fonctionnement cognitif.

Quant à l’activité physique régulière, loin d’être un acteur marginal, elle joue au contraire un rôle absolument essentiel dans la prévention de cette maladie si redoutée : en 2010 l’étude réalisée par Kirk Erickson, de l’Université de Pittsburgh, a suivi, pendant plus de 10 ans, 300 individus âgées de 65 ans et plus et ne présentant aucun trouble cognitif. Au terme de cette longue étude, les scientifiques ont pu constater que les personnes âgées qui pratiquaient des marches régulières (de 10 à 15 km par semaine) avaient gardé un cerveau en bien meilleur état que ceux qui marchaient moins de 10 km par semaine et réduisaient de moitié leur risque de démence.

Il est frappant de constater, à la lumière de ces récentes études et recherches, que deux des avancées les plus prometteuses qui ont été réalisées dans ces derniers mois contre la maladie d’Alzheimer sont venues de domaines tout à fait inattendus : c’est le cas pour la découverte du potentiel thérapeutique des champs électriques dans le traitement d’Alzheimer mais c’est également le cas dans la mise en évidence d’une responsabilité virale probable comme facteur de déclenchement de cette pathologie. Il est enfin également admis à présent que nos modes de vie, loin de jouer un rôle marginal dans l’apparition de cette affection neuro dégénérative destructrice, ont un impact intrinsèquement très important dans la prévention de ce type de démence et, d’une manière plus générale dans la préservation de nos fonctions cognitives et le bon fonctionnement de notre cerveau. Nous devons donc concevoir la lutte contre Alzheimer de manière plus globale, élargir  les champs de recherche et développer encore davantage les approches transdisciplinaires pour mieux comprendre et mieux contrer cette pathologie protéiforme.

Soulignons enfin que le fait que le nombre de nouveaux malades d’Alzheimer soit en Europe sensiblement inférieur - environ 20 % - à ce que laissaient craindre les prévisions, grâce notamment à une meilleur prise en charge de certaines pathologies comme le diabète, l’hypertension artérielle, ou le surpoids, montre à quel point il est important de développer et de mettre en œuvre des politiques de santé globale, beaucoup plus axées sur la prévention et le traitement précoce des « maladies de société ».

On peut regretter qu’à l’occasion des prochaines élections présidentielles, aucun des candidats, s’inspirant de la volonté politique dont avait preuve Jacques Chirac avec son plan-cancer, n’ait fait figurer la prévention et la lutte contre Alzheimer comme l’un des éléments-clés de son programme. Il s’agit pourtant d’un enjeu de société absolument majeur qui mérite une mobilisation nationale totale et une vision politique à long terme si nous voulons que nos enfants et nos petits-enfants connaissent un monde débarrassé de ce fléau.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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