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Edito : L'idée du péage urbain s'impose peu à peu dans les métropoles européennes

Après Londres et Stockholm, le péage urbain pour les automobiles gagne irrésistiblement du terrain et vient de conquérir de grandes métropoles en Allemagne et en Italie. Chez nos voisins d'Outre-Rhin, les véhicules trop polluants sont interdits de circulation depuis le 1er janvier dans le centre-ville de trois grandes agglomérations allemandes, dont Berlin, une mesure qui doit être étendue courant 2008 à une vingtaine de villes du pays, dont Stuttgart et Munich. Le but de cette réforme, inédite en Allemagne, est de bannir des grandes villes, en commençant par Berlin, Cologne et Hanovre, les voitures émettant trop de particules fines. 1,7 million de véhicules, principalement des diesels anciens, seraient concernés.

Les autorités espèrent ainsi convaincre les propriétaires de véhicules anciens de les équiper de filtres à particules lorsque c'est possible. Concrètement, toutes les voitures ou camions voulant accéder aux zones concernées doivent arborer sur leur pare-brise une nouvelle vignette, de couleur verte, jaune ou rouge, suivant leur degré de "propreté". Les voitures considérées comme vraiment trop polluantes ne peuvent obtenir aucune de ces vignettes et sont donc de facto interdites d'accès. Les automobilistes qui circulent ou stationnent sans vignette dans les zones concernées s'exposent à une amende de 40 euros et à un retrait d'un point sur leur permis. A Berlin, les autorités ont toutefois annoncé qu'elles feraient preuve de clémence au moins jusqu'à fin janvier.

Cette réforme est "la tentative la plus sérieuse jusqu'à présent pour lutter contre la plus grave des sources de pollution de l'air, qui provoque 75.000 décès prématurés par an", s'est félicitée dans un communiqué l'ONG écologiste "Deutsche Umwelthilfe", en annonçant qu'elle déploierait ses propres équipes de contrôleurs pour sensibiliser la population.

En Italie, depuis le début de l'année, Milan a lancé une expérimentation de péage urbain pour un an. Dans cette ville, seuls les véhicules les moins polluants ont encore accès gratuitement au centre de Milan. Les autres doivent s'acquitter d'une redevance.

Cette mesure s'appuie sur les dernières normes européennes en matière de pollution : ceux qui les respectent continueront d'entrer librement, les autres devront s'acquitter - du lundi au vendredi de 7 h 30 à 19 h 30 - d'un ticket basé sur la pollution dégagée par leur véhicule.

Les véhicules ont été divisés en cinq catégories. Les deux premières, basées sur les normes Euro 3 et Euro 4 pour l'essence (correspondant aux véhicules mis en service après 2000 et après 2005), sont exonérées de péage. C'est le cas également des deux-roues, des transports en commun, des services publics, des transports de personnes handicapées ainsi que des véhicules électriques ou fonctionnant au GPL. Les trois autres classes, c'est-à-dire les automobiles immatriculées avant l'instauration de la norme Euro 3, ainsi que les poids lourds, devront payer.

Le tarif journalier varie de 2 à 10 euros, l'abonnement annuel de 50 à 250 euros. Le but déclaré du projet, cher à l'actuel maire de centre droit, Letizia Moratti, est de "décourager l'usage des voitures et d'encourager les transports en commun", afin de "réduire le niveau de pollution d'au moins 10 % et certaines maladies pulmonaires de 30 %".

L'objectif est qu'à terme, les Milanais laissent leur voiture à l'extérieur de l'enceinte historique pour gagner le centre-ville à pied, en métro ou en bus. Mais beaucoup de questions pratiques restent encore sans réponse. Les transports en commun pourront-ils répondre à la demande ?

Autre question : le nombre de places de stationnement étant nettement insuffisant à la périphérie de la ville, où tous ceux qui préfèreront les bus ou le métro au péage gareront-ils leur véhicule ?

Il reste qu'au-delà des imperfections et lacunes des expérimentations en cours, le péage urbain est en train de s'imposer comme une nécessité incontournable dans les grandes villes développées et cela pour au moins trois raisons. La première tient à la saturation de la circulation dans les centres-villes des grandes métropoles qui n'ont pas été conçues, du moins en Europe, pour la circulation automobile.

En quelques années, l'opinion publique a évolué et commence à admettre que les contraintes et nuisances de la circulation automobile dans les grandes villes l'emportent sur les facilités de déplacement. La deuxième raison, plus récente, concerne la prise de conscience très forte de la nécessité absolue de réduire les émissions de CO2 de nos voitures, qui participent de manière puissante au réchauffement climatique mais également de réduire la pollution atmosphérique dont les effets néfastes pour notre santé ont été gravement sous-estimées pendant des décennies.

Mais des études scientifiques très sérieuses ont montré récemment l'impact considérable de cette pollution automobile sur la santé. En 2004, un rapport de l'AFSE a notamment montré que les émissions de particules fines (moins de 2,5 microns de diamètre) pourrait être responsable d'environ 9500 décès en 2002 en France parmi les personnes de plus de 30 ans.

Encore faut-il souligner que ce chiffre ne concerne que les décès liés aux maladies cardio-pulmonaires et au cancer du poumon ! Selon cette étude, environ 10 % des quelque 10 000 décès annuels par cancer du poumon et 7 % sur près de 70 000 décès par maladies cardio-pulmonaires seraient attribués à ces particules fines qui résultent notamment de la forte diésélisation de notre parc automobile mais également du chauffage urbain et de la combustion de la biomasse.

Enfin, la troisième raison concerne la nécessité de trouver de nouvelles sources de financement permettant à la fois de développer des transports urbains plus performants et de réparer les dégâts environnementaux de la voiture en ville.

Or, si l'on ne veut pas faire payer davantage le contribuable, il faut bien demander à l'usager de contribuer au financement des nouvelles politiques urbaines. Mais ce qui est nouveau et rend plus acceptable et plus équitable le concept de péage urbain aux yeux de nos concitoyens, longtemps hostiles à cette idée, c'est la possibilité offerte par la technologie de moduler ce péage en fonction de nombreux critères : heures, quartiers, niveau de pollution du véhicule, nombre de passagers dans la voiture...

Bien sûr, la plupart des élus locaux restent réticents vis à vis de cette idée de péage urbain car celle-ci reste peu populaire politiquement et électoralement, même si elle ne suscite plus d'hostilité absolue. Pourtant, la multiplication des péages urbains dans les grandes villes européennes montre bien que cet outil de régulation et de gestion des déplacements est appelé à s'étendre et à se généraliser au cours de la prochaine décennie.

Il est cependant vrai que ces péages urbains seront d'autant mieux acceptés des usagers qu'ils seront intégrés dans des politiques volontaristes et audacieuses de transports urbains proposant des offres diversifiées et attractives de transports collectifs et osant une nouvelle densification de l'urbanisme.

La généralisation du péage urbain va permettre de dissocier, dans l'esprit de nos concitoyens, l'idée de possession d'un véhicule et la nécessité de se déplacer. Il va également enfin permettre une véritable gestion rationnelle et intelligente des flux automobiles en rendant nos déplacements à la fois plus faciles et moins coûteux pour la collectivité, en terme d'impact économique et écologique global.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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