RTFlash

Edito : L'habitat devrait être un lieu essentiel pour rapprocher les « infopauvres » et les « inforiches »

Comme l'écrivait Mark Weiser (1), dès 1995, les ordinateurs, au lieu de prendre la forme de monstres avides décrits par les films de science-fiction, vont devenir si petits et si omniprésents qu'ils seront invisibles, partout et nulle part. Si cette vision d'ordinateurs puissants mais invisibles, cachés dans notre environnement vous semble irréaliste et très coûteuse : détrompez-vous elle est très réaliste. Selon Weiser, avec la chute du coût des puces qui tire implacablement vers le bas le prix des ordinateurs, ceux-ci vont devenir si bon marché que “ nous irons acheter un paquet de six ordinateurs comme nous le faisons aujourd'hui pour les piles ”. Ces puces vont insensiblement se fondre par milliers dans tous les objets de notre vie quotidienne, pour être incorporés dans les murs, le mobilier, nos appareils électro-ménagers, nos maisons, notre voiture et jusque dans nos bijoux. Au 19e siècle, l'électricité comme le moteur électrique étaient des biens si précieux que tout était conçu, dans les usines, les immeubles, pour les mettre en évidence. De nos jours, l'électricité est partout, cachée dans les murs et stockée, souvent, dans de minuscules batteries. Les moteurs sont devenus si petits et si communs qu'on en est entouré sans nous en rendre compte. Ainsi, il y en a plusieurs dizaines dans notre voiture pour actionner les essuie-glaces, les rétroviseurs, les vitres, les platines CD ou cassettes, etc... Dans moins de vingt ans, la puce électronique aura suivi le même parcours que le moteur électrique. Elle se sera introduite dans tous les objets qui, aujourd'hui, nous demandent un peu de réflexion ou de mémoire pour les utiliser, qui génèrent des coûts de fonctionnement ou qui sont nécessaires pour assurer des fonctions telles que la sécurité par exemple. Ainsi, nous comptons encore aujourd'hui, en France, plusieurs dizaines d'enfants qui meurent chaque année et plusieurs centaines qui sont cruellement blessés, soit dans la cuisine en s'ébouillantant avec de l'huile ou du lait chaud, soit dans la salle de bains en glissant dans la baignoire ou en buvant des produits dangereux que leurs parents ne rangent pas avec assez de précaution. Tout cet environnement quotidien dans notre maison, dans notre appartement, va acquérir de l' “ intelligence ” qui permettra d'éviter de nombreux accidents. Il en sera de même pour la consommation d'énergie (électricité ou gaz), d'eau mais aussi pour le tri sélectif des déchets. Ainsi, les ampoules électriques réguleront automatiquement leur dépense en énergie selon la luminosité voulue pour une pièce et s'éteindront automatiquement dès qu'il n'y aura plus de présence humaine. Il en sera de même pour une plaque de chauffe ou pour un robinet. Les codes-barres utilisés dans les magasins seront demain compris par plusieurs appareils ménagers, que ce soit le frigo, pour tenir à jour le stock alimentaire, que ce soit le four pour la cuisson ou le réchauffage ou même la poubelle pour éviter que nous mélangions des plastiques avec des éléments bio-dégradables. Il en sera de même pour la sécurité. La maman pourra ainsi surveiller son bébé quel que soit l'endroit où elle se trouve et même quel que soit l'endroit où se trouve le rejeton, que ce soit dans le bureau, dans la salle de bains ou même chez la voisine. Pour effectuer cette vigilance, elle se servira de l'un des nombreux écrans qui l'entoureront, que ce soit chez elle, au bureau, dans sa voiture ou même dans la rue avec son téléphone mobile. Vos maison, appartement, résidence secondaire se surveilleront seuls et vous avertiront à la moindre anomalie : intrusion, émission anormale de chaleur, fuite d'eau, etc... et les automates prendront même des initiatives sans que vous ayez l'obligation d'être physiquement présent. Il y a encore bien d'autres innovations qui vont trouver place dans notre environnement, maintenant, alors que nous échangerons naturellement avec tous les objets qui nous entoureront en leur parlant comme nous parlons à d'autres êtres humains. Tout cela est sur le point d'arriver dès ces prochaines années et beaucoup d'acteurs, tels les constructeurs automobiles ou les fabricants de matériels électro-ménagers, sont en train de se réorganiser pour faire face à cette profonde mutation. Or, je dois avouer que je suis sidéré du manque de prospective et de la totale inertie de toute la chaîne des responsables (élus, architectes, promoteurs immobiliers, offices d'HLM, etc...) qui ont en charge actuellement la construction de l'habitat, qu'il soit collectif ou individuel. Prenons le plan d'un appartement ou d'un pavillon tel qu'il était construit il y a 50 ans. Hormis les évolutions appréciables, mais marginales toutefois, qui sont liées aux progrès réalisés sur les matériaux ou imposées par la réglementation (isolation thermique et phonique), les plans qui nous sont encore proposés aujourd'hui sont encore trop souvent de simples copier-coller de ce qui se réalisait déjà il y a plusieurs décennies. Il faut que les architectes imaginent sans tarder et que les promoteurs immobiliers acceptent d'investir dans un habitat qui s'adaptera facilement aux nouvelles technologies et nous préparent ainsi à de nouveaux modes de vie. S'ils ne prennent pas rapidement conscience de cette nécessaire remise en cause, tous les acteurs qui, traditionnellement, construisaient les cocons dans lesquels s'épanouissait le bonheur d'un foyer, vont abandonner leur belle mission à des ensembliers de systèmes qui feront éclore un nouveau type de vie qui, socialement, risque d'être beaucoup plus déséquilibré, donc source de conflits entre voisins. Par ailleurs, toujours pour remplir cette fonction sociale essentielle que doit assurer l'habitat, les constructeurs d'immeubles collectifs, surtout de type HLM, devraient systématiquement réserver une partie du rez-de-chaussée de leurs immeubles à des locaux collectifs libres d'accès, pour permettre aux personnes habitant l'immeuble de s'y rencontrer, apprendre à se connaître, faire ensemble des jeux, découvrir des nouveaux mondes grâce à Internet qu'ils n'auraient pas encore introduit dans leur appartement et même d'y organiser des fêtes. La violence est trop souvent fille de cet isolement lié à l'habitat collectif et les nouvelles approches sociales ayant souvent tendance à renforcer cet individualisme, il est essentiel, alors que les cafés ont totalement disparu de ces cités de nos banlieues, que nous sachions imaginer autrement les lieux de vie, surtout de ceux qui sont les moins nantis. Entre le début de cet éditorial et sa conclusion, j'ai tenu à vous faire ressentir le fossé béant qui, très rapidement, pourrait séparer dans un même pays, le nôtre, les “inforiches ” qui pourraient bénéficier de toutes les avancées promises par les nouvelles technologies et les “infopauvres ” dans nos banlieues qui n'auraient pour seul horizon que l'exclusion et la violence. Tous ceux qui ont un rôle à jouer pour édifier notre société de demain doivent sans tarder prendre conscience de cette fracture qui, sous nos yeux, se creuse de plus en plus rapidement.

René Trégouët

Sénateur du Rhône

(1) Ancien responsable du PARC( Palo Alto Research Center)

Site de Marc Weiser : http://www.ubiq.com/hypertext/weiser/vita3.htm

Noter cet article :

 

Recommander cet article :

back-to-top