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Edito : L'habitat de demain sera intelligent, interactif...et surveillera notre santé !

Pour lutter contre le changement climatique tout en faisant face au vieillissement accéléré inéluctable de sa population, notre continent européen est confronté à un double défi : d’une part, concevoir et réaliser des bâtiments et logements qui consomment trois fois moins d’énergie qu’aujourd’hui et émettent trois fois moins de CO2 ; d’autre part, intégrer dans les logements tout un ensemble de technologies permettant le maintien à domicile dans les meilleures conditions des personnes âgées de plus en plus nombreuses.

S’agissant de l’objectif de sobriété énergétique et de réduction drastique des émissions de gaz effet de serre du secteur du bâtiment, il faut rappeler que la marge de progression est tout à fait considérable, comme l’a notamment montré une remarquable étude réalisée en 2008 par une équipe de recherche d’EDF et publiée dans l’excellente revue « Futuribles ».

Cette étude montrait en effet que la France pourrait, même sans ruptures technologiques majeures, ne plus recourir, d’ici 2050, aux énergies fossiles dans le bâtiment sans augmenter de façon significative la demande d'électricité et en réduisant, de surcroît, ses émissions de CO2 de 90 millions de tonnes par an. Mais parvenir à un tel objectif suppose non seulement une intégration massive des énergies renouvelables dans les bâtiments mais également une réduction d’un facteur trois de leur consommation énergétique moyenne, en combinant les potentialités de l’isolation thermique et des technologies numériques.

Il y a quelques semaines, une quinzaine de grandes métropoles européennes ont décidé d'unir leurs efforts autour de R2CITIES, un ambitieux projet visant à promouvoir des solutions innovantes de rénovation d’immeubles.

Il existe aujourd'hui environ 160 millions de bâtiments dans l'Union Européenne des 25 qui représentent environ 40 % de la consommation d'énergie (soit environ 700 mégatonnes-équivalent-pétrole) et 36 % du total des émissions de CO2 de l'Union Européenne, soit environ 1,4 gigatonne de CO2 par an, l’équivalent d’un peu plus de trois fois les émissions annuelles globales de CO2 de la France.

R2CITIES veut améliorer et accélérer l’effort des villes et collectivités territoriales en matière d’efficacité énergétique du bâtiment et de réduction de gaz à effet de serre. Concrètement, trois quartiers pilotes vont être mis en place dans trois villes européennes répondant à des conditions climatiques et des habitudes d’utilisateurs différentes : Gênes (Italie), Istanbul (Turquie) et Valladolid (Espagne).

Ce projet pilote, unique en son genre, concernera une surface totale de 57.000 m2, plus de 850 logements et plus de 1500 utilisateurs. Le potentiel de réduction de la consommation d'énergie globale est estimé à près de 60 %, soit 75 % de réduction de la consommation de chauffage et climatisation, 50 % pour l'éclairage et l'eau chaude. R2CITIES devrait permettre de réduire d'environ 7,5 Mégatonnes la consommation d'énergie et de 6,5 Mégatonnes les émissions de CO2 au cours des 5 prochaines années, ce qui correspond à la moitié de la consommation brute d'énergie totale de l'Irlande.

En France, Dijon dispose depuis avril 2009 du premier bâtiment de bureaux à énergie positive de France, la tour Elithis. Cet immeuble de 10 étages a été conçu par la société Elithis ingénierie. Il est équipé de 1600 capteurs et compteurs qui analysent et gèrent en temps réel ses paramètres énergétiques. Grâce à son isolation très performante et ses panneaux solaires sur le toit, ce bâtiment est presque autosuffisant en énergie. Aujourd’hui, c’est Strasbourg qui va se doter d’ici 2015 d’une autre tour Elithis, destinée cette fois à l’habitat résidentiel. Selon le cabinet Elithis, ce bâtiment unique au monde de 16 étages pour 66 logements, non seulement respectera la très sévère nouvelle réglementation thermique RT2012 mais ne coûtera pas plus cher qu’un bâtiment conventionnel.

Entièrement conçu selon les règles de l’architecture bioclimatique, cet immeuble sera doté d’environ 1000 m² de panneaux photovoltaïques sur la terrasse et la façade sud, ce qui permettra une production électrique pouvant atteindre 170 kWh. Chaque logement sera bien entendu équipé d’un système domotique très sophistiqué permettant de réduire drastiquement la consommation d’énergie, tout en proposant aux résidents un confort exceptionnel en termes de chauffage, de climatisation et de contrôle de la qualité de l’air intérieur.

En septembre 2013, SODEARIF, filiale de Bouygues Bâtiment, s’est associée avec Hager, industriel leader de la domotique, et Bouygues Télécom pour réaliser un autre immeuble d’habitation intelligent à Cachan, dans le Val de-Marne. Les 56 logements de cet ensemble immobilier seront tous équipés d’un système domotique permettant aux résidents de visualiser leur consommation énergétique en chauffage, électricité et consommation d’eau et de contrôler à distance le chauffage et l’ouverture des volets roulants de leur appartement.

Mais il faut bien comprendre que la domotique proposée aujourd’hui dans les immeubles d’habitation n’a plus rien à voir avec les systèmes complexes et surtout fermés qui n’ont jamais permis à ce concept, né il y a plus 30 ans, de véritablement décoller. Aujourd’hui, la domotique s’articule autour de systèmes ouverts, communicants et intuitifs qui savent s’adapter à leurs utilisateurs. Cette domotique n’est d’ailleurs qu’un élément s’intégrant dans un ensemble plus vaste, celui du bâtiment intelligent et interactif.

Mais cet habitat intelligent ne vise pas seulement à l’autosuffisance énergétique et à la réduction drastique de son empreinte carbone, il a également pour ambition une réduction globale de son coût d’exploitation et une amélioration considérable de la sécurité, du confort et de la qualité de vie de ses habitants.

Il est vrai que la France, comme l’Europe, est confrontée à un vieillissement sans précédent de sa population et doit impérativement mettre en œuvre des solutions innovantes permettant, sans augmentation du coût global pour la collectivité, le maintien à domicile le plus longtemps possible des personnes âgées.

Selon Eurostat, compte-tenu de l’allongement prévisible de la durée de la vie, en 2040, 28 % de la population européenne sera âgée de plus de 65 ans, contre 18 % aujourd’hui. À cet horizon, l’espérance de vie à la naissance dépassera les 86 ans (contre 80 ans aujourd’hui),  près de 10 % des Européens auront plus de 80 ans et le taux de dépendance des personnes âgées dans l’Union Européenne devrait passer dans la même période de 29 % à 48 %.

Face à cette mutation sociale et démographique majeure, les pouvoirs publics, les collectivités locales mais également les industriels et les constructeurs ont pris conscience de la nécessité de transformer le concept même d’habitation et de logement qui ne doit plus être un lieu passif et figé, fût-il confortable et spacieux mais doit être capable d’interagir avec ses occupants et d’évoluer de manière à devenir un acteur à part entière en matière de prévention médico-sociale.

Le vieillissement massif de la population va entraîner, quels que soient les progrès de la science et de la médecine, une forte augmentation du nombre de personnes en perte d’autonomie ou dépendantes. Face à cette situation, le centre basque de recherche appliquée TECNALIA a conçu un système de capteurs domestiques qui permettent de suivre les activités et les habitudes des résidents afin de détecter des ruptures de modifications de comportement pouvant indiquer l’apparition de symptômes liés à des maladies neurodégénératives telles que la maladie d'Alzheimer.

Ce concept repose sur un diagnostic précoce des maladies neuro-génératives telle que la maladie d’Alzheimer dont les estimations font état d’une personne atteinte sur 85 d’ici 2050, soit quatre fois plus qu’en 2005. Il est vrai qu’entre le début et le milieu ce siècle, la part de la population européenne âgée de plus de 60 ans va passer d’un habitant sur cinq à un habitant sur trois !

Dans la Communauté Autonome du Pays Basque, où est implanté le centre TECNALIA, on compte déjà 16 % de personnes âgées en situation de dépendance, et 26 % souffrant de handicaps. Pourtant, comme le montre une étude réalisée dans cette région, 70 % de ces personnes âgées souhaitent fortement pouvoir continuer à vivre chez elles en dépit de leurs problèmes de santé et de leur perte d’autonomie.

L’objectif visé par les technologies développées par le centre TECHNALIA est de détecter très précocement l’apparition de pathologies cognitives et neurodégénératives, comme la maladie d’Alzheimer. Il est en effet largement démontré qu’un diagnostic et une prise en charge médico-sociale précoces de ce type de maladie permet d’améliorer très sensiblement l’état médical et la qualité de vie des personnes concernées et leur permet de continuer à vivre chez elle, avec un accompagnement médical approprié.

Le système conçu par TECNALIA repose sur un réseau de capteurs répartis dans toute la maison pour détecter la présence de son occupant dans les différentes pièces. Ce système contrôle également l'ouverture et la fermeture des portes, des fenêtres, l'allumage et l'extinction de l’éclairage, l'utilisation des appareils électrodomestiques, ou de la télévision.

Le système enregistre toutes ces informations en temps réel et les recoupe pour identifier l'activité que la personne est en train de réaliser. Grâce à ce suivi technologique en temps réel, il est possible d’établir une carte précise et personnalisée des activités de chaque occupant, ce qui permet ensuite de détecter des changements de comportement qui pourraient être annonciateurs d’un problème de santé, qu’il s’agisse d’une affection physiologique, psychologique ou cognitive.

Mais ce système ne se contente pas de ce rôle de veille et peut également assister les personnes âgées dans leurs actes de la vie quotidienne en leur rappelant par exemple de prendre leurs médicaments ou de réaliser certaines tâches, telles que prendre leur repas ou boire suffisamment d’eau.

Si de tels systèmes de télésurveillance et d’aide au maintien à domicile peuvent à présent être proposés à une large échelle pour un prix raisonnable, c’est en grande partie grâce aux progrès considérables intervenus au cours de ces dernières années en électronique et dans les technologies numériques mais également dans le domaine des télécommunications sans fil.

À cet égard, il faut évoquer une nouvelle technologie présentée il y a quelques jours à l’occasion du Salon de l’autonomie à la Porte de Versailles à Paris : le premier sol intelligent et connecté, baptisé FloorinMotion care, actuellement en cours d’expérimentation dans deux établissements pilotes accueillant des personnes âgées dépendantes en France. Cette remarquable innovation a été développée par le fabricant de revêtement de sols Tarkett et se présente sous la forme de capteurs et de détecteurs de chute très sophistiqués, directement intégrés dans le plancher. Ces composants sont en effet piézo-électriques et ne nécessitent pas d’alimentation électrique externe.

Grâce à un logiciel informatique très élaboré, ces capteurs sont capables de détecter la chute d’une personne et de distinguer clairement celle-ci de la chute d’un objet ou du passage d’un animal de compagnie. Mais ces outils peuvent également suivre l’activité des personnes âgées et être utilisés comme instruments de prévention de certaines pathologies.

On le voit, ces nouveaux outils technologiques ne visent plus seulement à vendre des produits nouveaux mais permettent plus largement de proposer aux seniors toute une palette de services d’assistance à la personne d’autant plus appréciés qu’ils sont personnalisables et améliorent sensiblement la qualité de vie des personnes âgées au quotidien. On mesure mieux l’enjeu que représente cet habitat intelligent et connecté quand on sait qu’il y aura au milieu de ce siècle près de 5 millions de personnes âgées de plus 85 ans dans notre pays, trois fois plus qu’aujourd’hui...

Cette révolution technologique et sociale représentée par l’habitat intelligent n’a pas non plus échappé aux collectivités locales et aux organismes publics de logements qui ont pris conscience de leur intérêt à utiliser pleinement ces nouveaux outils qui devraient permettre à terme d’améliorer très sensiblement la qualité de vie des personnes âgées mais également celle de tous les occupants des logements sociaux.

Dans le Rhône par exemple, un locataire de logement social sur trois aura plus de 65 ans avant 2030 et en 2015 un sur dix aura plus de 80 ans. Confronté à ce vieillissement des résidents, l’OPAC du Rhône a participé depuis trois ans au projet européen, Host, visant à développer les technologies numériques dans le cadre de l’accompagnement et du maintien à domicile des personnes âgées et fragiles.

Parmi les expérimentations retenues grâce à ce projet, il faut signaler la mise à disposition chez 60 locataires âgés de tablettes numériques permettant l’accès à plusieurs applications dédiées, dont un réseau social et un agenda électronique et visant à créer de nouveaux liens entre les résidents, leur famille et les aidants à domicile.

On peut également évoquer l’ouverture, en novembre 2013, d’une des premières résidences innovantes pour seniors à Cluny, en Bourgogne. Cette résidence propose un logement adapté à l’évolution de l’âge de ses occupants mais aussi des services personnalisés permettant un suivi de la santé, une téléassistance, des aides à domicile, des lieux de rencontres pour préserver le lien social, des animations.

Pour réaliser cet ensemble de logements qui préfigurent ce que pourrait être l’habitation du futur, Sairenor s’est associé à la société Medetic pour équiper ces nouveaux logements destinés aux seniors de capteurs intelligents qui détectent d’éventuelles chutes, enregistrent le comportement des occupants et activent en cas de besoin des systèmes d’alarme en informant le personnel de la résidence.

Chacun de ces logements est équipé d’une tablette tactile permettant de contrôler et de programmer le chauffage, l’éclairage et la sécurité. Mais ce « village intelligent » propose un autre service innovant très original : le bâtiment d’accueil de cette résidence est en effet équipé d’une cabine télésanté unique en Europe qui permet aux résidents d’obtenir en 10 minutes un bilan santé (température, tension, poids, taux de glycémie, …) grâce à des capteurs intégrés au siège et à son appui-tête. Ce bilan médical électronique peut être envoyé directement au médecin traitant.

Ces quelques exemples (mais il en existe beaucoup d’autres partout en France et en Europe) montre à quel point le concept même d’habitat et de logement va connaître une mutation radicale au cours des 20 prochaines années. Nous allons en effet assister à la montée en puissance très rapide de ce qu’on pourrait désigner sous le nom de « BISIP » - bâtiment interactif à services intégrés personnalisés -. Ces immeubles, qu’ils soient destinés à l’habitation, au travail ou encore au commerce, seront totalement connectés à l’Internet des objets et pourront non seulement nous reconnaître et interagir avec nous mais ils connaîtront nos habitudes et pourront nous proposer une multitude de services qui iront de la surveillance médicale à l’assistance psychologique, en passant bien sûr par une large palette de services professionnels ou de loisirs.

Mais pour que cet habitat intelligent, communicant et interactif soit accepté par nos concitoyens et puisse leur proposer cette multitude de nouveaux services, à commencer par le maintien à domicile et la télésurveillance médicale permanente, il va falloir modifier profondément notre cadre législatif et réglementaire de manière à assurer une réelle protection de la vie privée, de l’anonymat et de l’intimité. A cet égard, il est dommage que le projet de loi d'« adaptation de la société au vieillissement » qui vient d’être présenté en conseil des ministres, le 3 juin, n’ait pas prévu un volet spécifique consacré au développement de logements et d’établissements « Intelligents », intégrant l’ensemble de ces nouvelles « gérontechnologies ». 

Il est enfin essentiel que ces technologies omniscientes et omnipotentes qui vont nous « envelopper » en permanence et faire de nos habitations des lieux intelligents restent à notre service et respectent notre dignité et notre droit à « l’opacité » et à la tranquillité. C’est à cette condition capitale que cette révolution de l’habitat intelligent pourra s’effectuer en conciliant les aspirations particulières et l’intérêt général et pourra, selon l’expression consacrée, « ajouter de la vie aux années » pour faire du quatrième âge une nouvelle période d’épanouissement qui ouvrira de nouveaux horizons et viendra enrichir l’existence de chacun.

René TRÉGOUËT

Sénateur Honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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