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Edito : L’Europe face au changement climatique

Même s’il n’a pas eu la couverture médiatique du précédent « Paquet énergie-climat » adopté fin 2008, l’accord conclu le vendredi 24 octobre par les 28 états de l’Union européenne dans la lutte contre le changement climatique peut être qualifié d’historique par son ampleur et son ambition. Ce nouveau « Paquet Energie Climat 2030 » fixe en effet les nouveaux objectifs à la politique européenne dans ce domaine capital et vise également à réformer le marché communautaire de quotas d’émission. 

Après l’objectif des « trois fois vingt » de 2010 (- 20 % d’émissions de gaz à effet de serre, - 20 % d’énergie consommée et 20 % d’énergies propres), l’Union européenne a décidé, non sans mal, de se fixer des objectifs beaucoup plus ambitieux : réduire de 40 %, «au moins», ses émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2030, porter à 27 % la part d’énergie propre dans la consommation énergétique totale de l’Union et enfin améliorer de 27 % l’efficacité énergétique. Mais à la différence des deux premiers objectifs, le dernier concernant l’efficacité énergétique n’est pas contraignant.

Depuis 1990, l'UE est parvenue à découpler le lien puissant entre croissance économique et émissions de gaz à effet de serre. Alors que les émissions ont diminué de 20 % entre 1990 et 2014, l’économie de l’UE a connu une croissance de 45 %. Les émissions par unité de PIB ont donc été réduites de près de la moitié, ce qui fait de l'UE l'une des économies les plus efficaces du monde sur le plan énergétique.

Aujourd’hui, avec moins de 4 gigatonnes de CO2 émises par an, l’UE, et ses 500 millions d’habitants, compte pour à peine 10 % des émissions mondiales de gaz carbonique (39,5 gigatonnes en 2014 en incluant la déforestation) et se situe à présent loin derrière les USA qui émettent 14 % du CO2 mondial et surtout de la Chine qui émet à elle seule 28 % de ce CO2.

Il est intéressant de noter que ce « Paquet » pour 2030 prévoit également de réformer le système communautaire d’échange de quotas d’émission de GES, appelé ETS, qui fonctionne très mal et n’a pas permis d’empêcher l’effondrement du prix de la tonne de CO2 qui a été divisé par six depuis sept ans et est descendu à cinq euros la tonne…

Pour enrayer ce processus et redonner une valeur suffisante au carbone émis, l’UE va réduire progressivement l’allocation annuelle de quotas de 1,74 % jusqu’en 2020. A partir de 2021, ce «facteur annuel de réduction du plafond d’émission» passera à 2,2 %.

Autre mesure importante, la mise en place d’un mécanisme permettant de réduire les surplus de quotas. Ce nouveau dispositif permettra de mettre automatiquement de côté les quotas en surnombre et, inversement, de les réinjecter dans le marché en cas de tension. Selon les simulations de la Commission, ce système, dans le cadre du nouvel objectif contraignant de 40 % de réduction d’émissions, permettrait de faire monter le prix du quota à 70 euros en 2030.

Le moins que l’on puisse dire est que cet accord européen d’une importance politique, économique et environnementale considérable arrive à point nommé et vient de trouver une nouvelle et puissante justification avec les conclusions du cinquième Rapport d’évaluation du GIEC qui ont été révélées le 2 novembre 2014 (voir IPCC).

Ce nouveau rapport du GIEC rappelle que la température moyenne à la surface de la planète a gagné 0,85°C entre 1880 et 2012, une hausse sans précédent. Et il n’est pas exclu que la température mondiale moyenne puisse grimper de 6 degrés d’ici 2100 si nous continuons à émettre des GES au rythme actuel (50 gigatonnes d’équivalent-carbone par an, dont 40 gigatonnes de CO2).

Le niveau moyen des océans s'est lui élevé entre 1901 et 2010 de 19 cm et pourrait monter de plus d’un mètre d’ici la fin de ce siècle si rien n’est fait pour limiter drastiquement nos émissions de GES. La surface de la banquise Arctique a diminué de 3,5 à 4,1 % par décennie depuis 1980. Le GIEC note également la fréquence de plus en plus grande des événements climatiques extrêmes : ouragans, tornades, sécheresses ou précipitations catastrophiques.

La communauté scientifique souligne que ces changements climatiques brutaux en cours, si on ne les maîtrise pas, pourraient avoir des incidences irréversibles et dangereuses pour l’être humain et les écosystèmes. Mais le rapport précise également que rien n’est encore perdu et que nous disposons d’options pour nous adapter à ces changements et agir de manière à limiter les conséquences de l’évolution du climat.  

Le GIEC rappelle que les concentrations de GES dans l’atmosphère ont atteint les niveaux les plus élevés « depuis 800 000 ans » et qu’il faut absolument opérer rapidement un virage sans précédent dans l’histoire de l’économie mondiale pour limiter la hausse moyenne des températures à 2°C. Selon les scientifiques, pour atteindre cet objectif, il faudra réduire d’au moins 50 % nos émissions mondiales de GES d’ici à 2050 (par rapport à 2010) et les faire complètement disparaître en 2100.

Pour stabiliser le réchauffement à 2°C, l’effort à fournir résulte d’une équation incontournable : « Entre la fin du XIXe siècle et le milieu de ce siècle, nous disposons d’un capital de 2.900 milliards de tonnes de CO2. Nous en avons déjà consommé 2.000, dont 1.000 ces 40 dernières années et au rythme actuel de nos émissions, il nous reste à peine 25 ans avant d’avoir consommé notre budget carbone », souligne que Sylvie Joussaume, directrice du groupement d’intérêt scientifique Climat Environnement Société.

Compte tenu de l’augmentation prévue de la population mondiale, cela signifie que le monde doit réduire chaque année d’au moins 7 % ses émissions de GES (alors qu’elles ont augmenté en moyenne de 2,5 % par an depuis 10 ans) et que chaque terrien va devoir diviser par trois ses émissions de GES d’ici 40 ans, passant de 7 à 2,4 tonnes…

Mais, selon le GIEC, cet effort sans précédent pour lutter contre les changements climatiques reste, contrairement à beaucoup d’idées reçues, tout à fait compatible avec la croissance de l’économie mondiale qui ne serait affectée qu’à la marge (0,06 point de baisse du taux mondial de croissance, estimé entre 1,6 et 3 % par an au cours du XXIe siècle). En revanche, le GIEC rappelle que l’inaction aurait un coût bien plus considérable, pouvant atteindre plus du quart du Produit Mondial Brut, comme l’ont montré les travaux de l’économiste Nicolas Stern.

Youba Sokona, coprésident du Groupe de travail III du GIEC souligne pour sa part « Qu’il est possible, sur le plan technique, de passer à une économie à faible teneur en carbone mais à condition de mettre en œuvre les politiques et des institutions appropriées ». A cet égard, le remarquable rapport Stern- Calderón, sorti en septembre dernier (Voir The New Climate Economy), remet les pendules à l’heure et montre que le véritable coût économique d’un plan de lutte mondial global et cohérent contre le changement climatique – incluant la reforestation, la réorientation agricole et l’urbanisation intelligente -  serait dérisoire (de 1 à 4 % du produit mondial brut annuel) au regard du coût exorbitant de l’inaction et de l’attentisme… 

C’est dans ce contexte pour le moins alarmiste qu’une une étude publiée il y a quelques jours par Bloomberg New Energy Finance (BNEF) révèle que la transition énergétique mondiale ne concerne plus seulement les pays développés mais commence également à produire ses effets dans les pays émergents.

Dans les 55 pays étudiés par BNEF pour son "Climatescope 2014", 142 gigawatts (GW) de nouvelles capacités d'énergies renouvelables (solaire, éolien, géothermie, biomasse, petite hydroélectricité) ont été installés entre 2005 et 2010, soit une croissance moyenne annuelle de 18,8 % (hors grande hydroélectricité). Au cours de la même période, les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ont installé 213 GW de nouvelles capacités, ce qui représente une croissance de 12,8 % par an en moyenne. Et pour la seule année 2013, les pays émergents étudiés ont installé presque autant de nouvelles capacités renouvelables (37 GW) que les pays de l'OCDE (43 GW).

Parmi ces pays émergents, la Chine arrive en tête de ce classement qui évalue, outre les capacités installées, l'attractivité des pays pour les investissements dans les renouvelables. L’étude souligne que si le géant chinois a installé le plus de capacités renouvelables en 2013, c’est parce qu'il est le plus important fabricant au monde d'équipements solaires et éoliens et qu’il a fait d'importants efforts pour améliorer son cadre réglementaire… 

Au niveau européen, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), l’énergie éolienne représentera de 15 à 17 % de l’électricité produite en Europe en 2020 et 50 % en 2050. Mais ces chiffres masquent une grande disparité entre les états-membres de l’Union : en effet, l’Allemagne à elle seule dispose du plus grand parc en Europe avec 34 GW (9,6 % de la consommation électrique), suivi de l’Espagne (22 GW, 21 %), de l’Italie (8,5 GW, 4,7%) et enfin de la France (8,2 GW (3,2 %).

Dans ce cadre européen, la France, avec une surface maritime de 11 millions de km2, dispose d’un potentiel techno-économique issu de la mer parmi les plus importants au monde. Dans le cadre du Programme des Investissements d’Avenir (PIA), destiné à accélérer le déploiement de la filière française des énergies marines renouvelables, plusieurs nouveaux projets sont soutenus par l'État.

Le premier, baptisé SeaTC, concerne les connexions sous-marines qui assurent l’acheminement de l’électricité au fond de la mer jusqu’au câble de raccordement à terre. Il s'agit de développer des technologies innovantes pour acheminer l’électricité en réduisant significativement les coûts de connexion, tout en conservant un rendement élevé.

Un autre projet, Sea Reed, vise à développer une solution d'éoliennes flottantes semi submersibles industrialisables et compétitives. Pour cela, Sea Reed développe une turbine adaptée aux vents des champs éloignés ainsi qu’un flotteur spécifique limitant l’impact sur l’environnement. Alstom vient d’ailleurs d’annoncer qu’il travaillait à la mise au point d’une éolienne marine géante flottante de 6MW qui devrait être commercialisée en 2017 et pourra être implantée au large, en eau profonde, dans des zones où l’impact sur l’environnement et la navigation est bien moins important, et qui sont traversées par des vents plus forts et plus réguliers. Une seule de ces éoliennes marines pourra produire en moyenne assez d’électricité pour alimenter plus de 7 000 foyers (hors chauffage).

Autre filière d'avenir soutenue par ce programme : l'exploitation de l'énergie thermique des mers. Cette technologie consistant à générer de l'électricité grâce à la différence de température entre les couches d'eau de l'océan, chaudes en surface et froides en profondeur, sera expérimentée à grande échelle dans le cadre du projet "Marlin".

Chez nos voisins d’outre-Rhin, en Allemagne, les énergies renouvelables pourraient, pour la première fois de l’histoire, devenir la principale source de production d’électricité en 2014. Sur les 3 premiers trimestres de cette année la production d’électricité d’origine renouvelable (éolien, solaire, hydroélectrique, bioénergie), avec 27,7 % de la production électrique allemande a en effet devancé celle issue du lignite. 

Au niveau mondial, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) prédit, dans deux études récentes, que l'énergie solaire pourrait représenter 27 % de la production électrique mondiale d'ici 2050. A cet horizon, le soleil deviendrait la première source de production d’électricité mondiale devant l’éolien terrestre et marin (22 %), l’hydraulique (19 %), le nucléaire (9 %) et la biomasse (8 %).

Ces prévisions de l’AIE sont cohérentes avec l’étude prospective « 2030 Market Outlook » publiée par de Bloomberg New Energy Finance en juillet 2014. Selon ce rapport, la capacité électrique installée dans le monde va presque doubler d’ici 2030, passant de 5,5 TW en 2012 à 10.5 TW en 2030. 60 % des nouvelles capacités ajoutées sur la période seront renouvelables et les deux principales composantes de cette mutation énergétique seront le solaire, avec 1,9 TW et l’éolien terrestre, avec 1, 3TW installés. La puissance installée des autres sources d’énergies propres (dont l’hydroélectricité) sera de 2 TW. Au total, les énergies renouvelables représenteront donc 5,2 TW installées en 2030, soit environ la moitié de la production mondiale d'électricité.

Selon cette étude, la seule montée en puissance du solaire devrait permettre d’éviter l’émission de 6 milliards de tonnes d'émissions de CO2 par an, soit l’équivalent des émissions annuelles des États-Unis…Ce rapport souligne également que les panneaux solaires et les centrales thermiques à concentration sont des technologies complémentaires mais que les centrales thermodynamiques devraient prendre le pas sur les centrales photovoltaïques vers 2030.

L'AIE confirme cette irrésistible progression du solaire et prévoit que le prix de l'électricité produite à partir de panneaux solaires devrait ainsi baisser de 25 % d'ici 2020, 45 % en 2030 et 65 % en 2050. De manière encore plus large, une autre étude publiée début octobre dans la revue scientifique américaine PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences) montre que le transfert de la production de l'électricité issue des énergies fossiles vers les énergies renouvelables est non seulement positif pour le climat, mais également pour la qualité de l'air, des eaux et de l'environnement en général.

Dans cette étude inédite, les chercheurs sont parvenus à évaluer l'ensemble du cycle de vie de la mise en œuvre de la production d'électricité renouvelable (issue du solaire thermique et photovoltaïque, de l'éolien et de l'hydraulique), comparativement à la production d'électricité issue des énergies fossiles.

Les chercheurs ont étudié deux scénarios. Le premier repose sur le modèle énergétique actuel basé sur les énergies fossiles, avec une augmentation de 134 % de la production d'électricité d'ici 2050. Le second scénario intègre en revanche les recommandations du GIEC pour limiter à 2°C l'augmentation globale des températures d'ici 2050. Il prévoit le développement des énergies renouvelables, des mesures d'efficacité énergétique et de stockage-captage de CO2.

Dans cette hypothèse, on constate qu’il est possible de doubler la production d’électricité tout en réduisant à terme de 62 % les émissions de gaz à effet de serre liées à cette production et en diminuant également de 40 % les émissions de particules toxiques dans l'air et de 50 % la pollution de l'eau.

Fait révélateur, même les USA sont à présent convaincus de la nécessité et de la faisabilité technologique de cette mutation énergétique. Selon une étude du laboratoire national des énergies renouvelables (NREL) l'offre et la demande d'électricité pourront être équilibrées d’ici 2050 à chaque heure de la journée et ce pendant toute l'année et dans chaque région des Etats-Unis avec près de 80 % d'électricité produite à partir de ressources renouvelables, dont 50 % issues du solaire et de l’éolien.

Mais il reste qu’au niveau mondial, le développement tous azimuts des énergies renouvelables ne constitue, au mieux, qu’un tiers du défi de civilisation auquel nous sommes confrontés. En effet, une remarquable étude publiée il y a cinq ans par le cabinet Mac Kinsey a montré de manière très convaincante que les mesures de lutte contre le réchauffement basées sur la sauvegarde de forêts tropicales, le reboisement et l’évolution des pratiques agricoles, peuvent permettre de réduire d’au moins 30 % les émissions mondiales de gaz à effet de serre, pour un coût bien inférieur, à quantité de carbone égale, à celui des technologies propres et des énergies renouvelables mises en œuvre par les pays développés pour limiter leurs émissions de CO2.

Cette étude souligne également que le dernier tiers du problème lié au réchauffement climatique concerne l’amélioration de la sobriété et l'efficacité énergétique de nos systèmes économiques, industriels et urbains. Ce volet est sans doute le plus sensible politiquement et socialement car il suppose de repenser complètement l’organisation et le fonctionnement de nos villes mais également de nos systèmes de transports et de nos modes de production et de travail. Est-il vraiment nécessaire, par exemple, que tous les agents et salariés du secteur tertiaire, continuent à se rendre tous les jours dans un bureau situé parfois à plusieurs dizaines de km de leur domicile, alors que les technologies numériques leur permettent de travailler aussi efficacement de chez eux ?

Un autre exemple mérite d’être médité : la métropole de Barcelone, qui compte la même population que celle d’Atlanta, aux Etats-Unis, consomme pourtant dix fois moins d’énergie pour fonctionner, pourquoi ? Parce que cette ville méditerranéenne s’est construite sur le modèle dense alors qu’Atlanta s’est développée sur le modèle « étalé », grand consommateur d’espace, d’énergie et de ressources naturelles.

En parvenant le 28 octobre à cet accord ambitieux, l’Europe n’a pas seulement fait preuve de courage et de lucidité politique, elle a également fait le pari de l’avenir et s’est donné les moyens d’être demain à la pointe technologique et industrielle mondiale de la lutte contre le changement climatique qui est en train de devenir l’un des moteurs de la croissance économique, de l’innovation et de l’emploi.

Souhaitons que notre Pays, qui possède à la fois une situation géographique exceptionnelle et des ressources humaines et intellectuelles de premier ordre, sache prendre la tête de ce nouveau défi et anticiper l’ère de « l’après carbone » qui a déjà commencé et va entraîner le changement de civilisation planétaire le plus radical dans la longue histoire de l’homme.

René TRÉGOUËT

Sénateur Honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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  • Jacques Cells-erre

    8/11/2014

    J'entrevoie une façon très simple pour relancer la croissance de manière utile et significative dans le vrai bon sens..., elle serait bon de faire pression au niveau international pour que les brevets permettant des avancées écologiques significatives, réelles, analysables, soient :
    - open source au niveau mondial,
    - gratuits pour l'inventeur en terme de dépôt et de protections,
    - rémunérés par une taxe sur les productions industrielles polluantes et nocives pour la santé (énergies fossiles, pollution des sols, de l'air et des eaux, des océans, réductrices de la biodiversité..., etc).

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