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L'Europe doit se mobiliser pour l'IPv6

L'Internet mondial est apparu aux Etats-Unis en 1969 et en Europe dans les années 1980. Il est basé sur une technologie fondamentale, permettant de transporter les informations. On la désigne par le terme d'IP ou Internet Protocol. Plusieurs versions se sont succédées. Aujourd'hui on travaille encore sur la version 4, ou IPv4. Celle-ci se caractérise par l' « adresse IP » permettant d'identifier chaque machine pour y accéder. Elle est composée de 10 chiffres. Sa taille définit la capacité d'adressage, c'est-à-dire le nombre de machines ou d'équipements connectables au plan mondial.

La capacité d'adressage avait été prévue en 1983 pour environ 250 millions d'utilisateurs alors que ce nombre est passé aujourd'hui à 950 millions et ne cesse de grandir. Il y a donc rareté potentielle. De plus les Etats-Unis, s'appuyant sur leur position dominante dans les TIC, se sont réservés 56 % des adresses, au détriment notamment des pays asiatiques dont la croissance Internet est pourtant exponentielle.

Devant la pénurie menaçante, les gestionnaires de l'Internet ont adopté plusieurs mesures pour étendre la capacité d'adressage au sein de l'IPv4. Mais ces mesures ne suffisent plus. Sur les cinquante prochaines années, la population mondiale passera de 6 à 9 milliards d'habitants, tandis que la croissance dans les pays émergents multipliera les besoins de connexion. Il faut donc définir un nouveau protocole respectant l'esprit égalitaire de l'Internet, mais permettant de supporter les interconnexions entre PC, téléphonie mobile, applications domotiques, capteurs industriels, automobiles, et bientôt tous les objets quotidiens, dont la plupart seront robotisés et reliés en réseau. On désigne ce dernier phénomène du terme d'Internet des objets. Chaque appareil doté d'un émetteur-récepteur Internet pourra communiquer avec de nombreux autres proches ou lointains. Les puces RFID joueront un rôle essentiel à cet égard. Ces différents objets offriront des services à la fois diversifiés et convergents (enseignement, commerce électronique, jeux, santé, etc.). Ils devront être de plus souvent mobiles, offrir une grande qualité de service, assurer la sécurité et la protection des données des utilisateurs, y compris à l'encontre des attaques terroristes.

Pour ces diverses raisons, l'organisme mondial de standardisation de l'Internet, l'Internet Engineering Task Force, a développé un nouveau protocole dénommé en 1995 IPv6, ou version 6 de l'IP. Celui-ci est conçu pour répondre à l'expansion prévisible des besoins résumés ci-dessus. Il intègre les améliorations requises aujourd'hui en termes de sécurité, qualité de service, auto-configuration, etc. (L'auto-configuration n'oblige plus à paramétrer les machines en leur indiquant leur adresse IP. Celle-ci est construite automatiquement par l'appareil).

Les connexions de bout en bout entre appelés et appelants pour tous types de transports d'images et de sons deviendront immédiatement possibles et les raccordements pourront être permanents - sauf interruptions volontaires pour raison de sécurité.

Le développement mondial du réseau IPv6 et des applications l'utilisant exige un important effort de recherche, entrepris par les universités et les industriels. Parallèlement, l'introduction de l'IPv6 dans l'éducation oblige à des collaborations entre établissements d'enseignements et laboratoires. En France, ces efforts se sont développés autour du réseau RENATER, des grandes écoles, de diverses universités et de certains opérateurs dont France Telecom. Différents projets applicatifs ont été entrepris, dans la domotique, le commerce électronique, l'automobile, avec les industriels des secteurs concernés.

En Europe, la Commission européenne a créé en 2001 une Task-force IPv6 dans le cadre du plan « e-Europe ». Un budget d'environ 100 millions d'euros a été progressivement alloué pour soutenir des projets de recherche (6Net, Euro61X, Eurov6). On notera en particulier le réseau GEANT qui interconnecte les institutions de recherche européen et se connecte aux grands réseaux mondiaux.

Cependant, les spécialistes considèrent que les Européens ne se préparent pas suffisamment à l'arrivée du nouvel Internet et aux impacts qu'il aura nécessairement sur la fourniture d'équipements et services l'utilisant. La compétitivité déjà critique des industriels européens risque de s'effondrer face aux nouvelles offres, dont la plupart viendront d'Asie.

Les Etats-Unis, du fait de leur réserve actuelle d'adresses en IPv4, se sont surtout jusqu'à présent intéressés aux applications militaires qui implémenteront systématiquement l'IPv6, dans le cadre du « netcentric warfare ». Le Département de la Défense a prescrit dès 2003 que les réponses à ses appels d'offres garantissent le support par les nouveaux produits des protocoles IPv6. Les systèmes de communication militaire devront tous l'intégrer en 2008. Le Département du Commerce a lancé de son côté une enquête auprès des acteurs industriels pour préparer une politique industrielle gouvernementale en ce sens. A la suite de laquelle le 2 août 2005, l'OMB (Office of Management & Budget) de la Maison Blanche a rendu publique la décision de convertir, non plus les seuls réseaux militaires, mais TOUS les réseaux de l'administration américaine à IPv6 d'ici juin 2008. Quand on connaît l'impact de telles démarches sur l'industrie et les télécommunications mondiales, on mesure le retard que prendront ceux qui n'auront pas anticipé les nouveaux développements.

Le Japon, fidèle à sa tradition de grands plans stratégiques à l'initiative gouvernementale, a défini en 2000 une stratégie « e-Japan », avec la création d'une Task force japonaise, le grand programme de recherche WIDE (Widely Integrated Distributed Environment) et le soutien à des projets industriels pilotes, notamment en transport et domotique. Tous les réseaux ont reçu la consigne de migrer en IPv6 pour 2005 au plus tard. Ces objectifs sont en train d'être tenus, voire améliorés. Taïwan et la Corée du Sud suivent cet exemple. Pour les industriels et les gouvernements asiatiques, IPv6 constitue véritablement le grand enjeu du 21e siècle, à ne pas manquer.

On ajoutera que les grands industriels mondiaux précèdent ou relaient les gouvernements dans cette approche. C'est d'abord le cas des opérateurs de télécommunication (par exemple NTT au Japon), des équipementiers (CISCO, 6WIND, Nokia, Sony), des fabricants de logiciels et offreurs de service, en tête desquels on retrouve comme à l'habitude les américains Microsoft et IBM.

En Europe et plus particulièrement en France, la prise de conscience du danger qui menace les opérateurs, les industriels et les utilisateurs européens n'est pas suffisante.

Rien n'est donc fait pour préparer les entreprises et les administrations aux investissements qui seraient nécessaires. Au mieux, on considère, comme on le fait à propos de tout ce qui concerne Internet, que le marché suffira à répondre aux besoins, que les Etats européens n'ont pas besoin de s'unir et que des actions concertées impliquant des ressources et des incitations publiques ne sont ni nécessaires ni utiles. Lorsque le réveil se fera, il sera trop tard.

Une première tâche s'impose donc à ceux qui en ont les moyens : alerter l'opinion et les gouvernements. Ceci suppose des articles, des séminaires, des interventions auprès des responsables. La Commission européenne prépare un nouveau colloque sur la question pour le printemps 2008. C'est une bonne initiative mais elle ne mobilisera que ceux déjà sensibilisés au problème. Des actions plus larges s'imposent, avec le relais des médias, notamment dans les Etats européens tels que la France où l'ignorance du problème semble actuellement maxima.

Admiroutes

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