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Edito : L'énergie des mers : une chance pour la France

Il y a 6 mois, dans mon éditorial "Energie des mers : un immense potentiel qui reste à exploiter", j'évoquais les immenses potentialités de l'énergie des mers pour notre pays. Mais depuis quelques semaines la flambée historique du prix du pétrole, de nouvelles études très alarmantes sur les conséquences du réchauffement climatique et la mise en service d'installations captant cette énergie océane sont venues éclairer cet enjeu énergétique d'une lumière nouvelle et me conduisent à évoquer à nouveau cet enjeu majeur.

Le prix du pétrole vient en effet de battre un nouveau record historique, en franchissant les 75 dollars le baril et nous pourrions atteindre d'ici 10 ans le fameux "Pic de Hubert", ce moment à partir duquel la production de pétrole mondiale va commencer à baisser, faute de réserves. Face à cette évolution, un nombre croissant d'experts et d'économistes préconisent de monter le prix de toutes les énergies fossiles de 5 % à 10 % en termes réels, tous les ans, sans limite, afin de permettre à chaque consommateur ou producteur de s'organiser en intégrant progressivement ces surcoûts inévitables liés à la raréfaction accrue des énergies fossiles. Nous pourrions ainsi voir la taxe sur les produits pétroliers être multipliée par trois d'ici 15 ans, pour arriver à un prix de 3 euros le litre d'essence d'ici 2020.

Cette hypothèse est d'autant plus probable que les conséquences de l'utilisation massive des énergies fossiles sur le réchauffement climatique de la planète risquent d'être beaucoup plus graves que les pires scénarios imaginés. Jusqu'à présent, il était généralement admis que le réchauffement climatique, et la fonte des glaces qui en résulte, risquaient d'élever le niveau des mers de 20 à 90 cm d'ici 2100. Mais de nouvelles études montrent que la fonte des glaciers arctiques et antarctiques, résultant du réchauffement climatique, pourrait accélérer la vitesse de la montée du niveau des mers, ce dernier risquant de grimper de plusieurs mètres (2 à 3 mètres) d'ici la fin du 21e siècle. Un tel scénario repousserait un demi-milliard de personnes vers l'intérieur des terres, loin des côtes inondées. Des pays entiers comme les Pays-Bas, le Bangladesh et de nombreuses îles du Pacifique pourraient être rayés de la carte. (Voir article dans notre Lettre 378).

Dans un tel contexte, le recours massif aux énergies renouvelables, non émettrices de gaz à effet de serre, est en train de devenir une priorité économique, technologique et politique absolue. Cette situation donne un relief particulier à la première mondiale qui va avoir lieu dans quelques semaines : Ocean Power Delivery Ltd (OPD), une société écossaise va livrer son premier capteur d'énergie océane à Enersis, société Portugaise d'énergie renouvelable. OPD a mis au point un capteur capable de capter l'énergie des vagues. C'est le "Pelamis" Wave Energy Converter. Le premier de ces modules a quitté l'Ecosse en mars sous forme de pièces suivi d'un second en avril et du troisième en mai pour être assemblé sur le site portugais de Peniche. Si l'expérience se révèle concluante, ils seront les premiers éléments d'une vaste ferme de vagues de 30 Pelamis, créant un parc capable d'alimenter 20 000 foyers, que le Portugal prévoit de faire fonctionner à la fin de l'année. (jusqu'à 23,25 mégawatts d'électricité).

En parallèle à ce projet industriel qui doit alimenter en électricité dans un premier temps 1500 foyers, OPD poursuit le développement de ses modules en coopération avec le Centre d'Essai spécialisé EMEC au nord de l'Ecosse. Une nouvelle ferme à vagues est en cours d'étude également avec Scottish Power, la société d'électricité Ecossaise, à Orkney en Ecosse.

Pelamis a également été sélectionné par l'agence de développement régionale du Sud Est de l'Angleterre comme un des trois systèmes d'exploitation de la force de la houle à essayer en parallèle dans un projet sur la côte de Cornouaille. Cette phase d'évaluation de la technique en vraie grandeur devrait permettre d'en mieux connaître les performances, la rentabilité et la tenue dans le temps à la mer.

Conçu à Edimbourg, ce remarquable convertisseur d'énergie des vagues Pelamis est destiné à aider l'Ecosse à atteindre ses objectifs ambitieux quant au développement d'une "énergie verte". Le gouvernement Ecossais souhaite que 40 % de sa production électrique proviennent des énergies renouvelables d'ici à 2020. Le nez face aux vagues, ce système d'énergie houlomotrice produit 750 kW d'électricité, acheminée sur le continent par un câble sous-marin. Le rendement énergétique du Pelamis est quasi constant (entre 70 % et 80 %) grâce à son système d'ancrage flexible qui force l'avant de l'engin à rester face aux vagues tout en lui laissant assez de mou pour pouvoir se balancer et, donc, produire un maximum d'électricité.

Le mouvement des vagues agit dans chaque articulation sur un vérin hydraulique qui envoie du fluide haute pression vers un moteur hydraulique qui actionne un générateur d'électricité (une turbine). L'énergie produite est envoyée, par l'intermédiaire d'un cordon ombilical, dans les fonds marins. Un convertisseur " Pelamis " génère 750 kW ce qui représente la consommation de 500 foyers et un parc machine d'une surface de 1 km² devrait délivrer assez d'énergie pour 20.000 foyers. Le Ministre de l'Industrie Ecossais, Jim Wallace, a déclaré que l'utilisation de ce type d'énergie était une étape obligée et il ajoute " nous avons du vent, nous avons des mers, et je crois que cela veut dire que bien que notre objectif de 40 % d'ici à 2020 soit ambitieux, nous pouvons l'atteindre ".

Ecologiquement, Pelamis est exemplaire. Il utilise une énergie sans cesse renouvelée, ne produit pas d'émissions et ne rejette pratiquement aucun déchet. Il n'est pas bruyant et est assez lointain pour ne pas provoquer de gêne visuelle pour les riverains. Il réduit les besoins en énergie fossile : un seul Pelamis économise les émissions de gaz à effet de serre de 2 000 tonnes par an.

L'EMEC souhaite aussi exploiter l'énergie des marées, encore plus prévisibles que les vagues. Un centre d'expérimentation sera construit sur l'île d'Eday grâce à de l'argent européen, britannique et écossais. L'Ecosse se veut à la pointe de la politique britannique encourageant les énergies renouvelables. Celles-ci lui procurent 13 % de son électricité, pour l'essentiel d'origine hydroélectrique ; l'énergie d'origine éolienne terrestre progresse rapidement. Son objectif pour 2010 (18 % d'énergie renouvelable) est plus ambitieux que celui de la Grande-Bretagne dans son ensemble (10 %).

Autre technologie : le projet Limpet de la société Wavegen qui récupère l'énergie de l'air comprimé par la force des vagues. A la différence du concept précédent, le système est sur le rivage, il ne crée donc aucune gêne à la circulation des bateaux et ne nécessite pas de câble sous-marin pour évacuer l'énergie. Un système Limpet fonctionne depuis Novembre 2000, il produit 500 kW et fournit 400 foyers écossais en électricité.

De son côté, l'Université de Manchester développe actuellement, au stade pré-industriel, un appareil innovant, pour capturer l'énergie des vagues. La caractéristique principale de ce système est d'utiliser l'oscillation de la houle à la surface de l'eau qui entraîne l'oscillation verticale de flotteurs en série. Ces flotteurs entraînent à leur tour l'arbre d'un générateur d'électricité placé en hauteur, à l'abri de l'humidité sur, par exemple, des plates-formes pétrolières flottantes hors-service. Chaque plate-forme Bobber peut développer une puissance de 5 MW, comparable à celle d'une éolienne géante, mais sans les problèmes d'impact visuel et d'imprévisibilité du vent.

Pour ces différents systèmes qui exploitent l'énergie des vagues et des marées, le coût du MW installé est à présent proche de celui des éoliennes (environ 1 million d'? du MW). Autre gros avantage : à l'inverse du vent, les marées peuvent être prédites et les machines les plus perfectionnées sont capables de se retourner pour profiter du flux et du reflux de la marée. Avec un facteur de capacité de 45 % environ, elles fonctionnent aussi plus longtemps que les aérogénérateurs qui dépassent rarement les 30 %.

En France, une petite société dont nous avons déjà eu l'occasion de parler, Hydrohelix Energies (installée à Quimper), travaille depuis plusieurs années sur un autre concept très intéressant : il s'agit d'installer des rangées de turbines hydroliennes à axe horizontal, constituées de 3 pales dont le diamètre est supérieur à 5 mètres. Elles seront fixées sur une même structure pour optimiser les connexions électriques. Les installations seront totalement immergées et fixées sur le sol, suffisamment en dessous de l'étiage pour éviter toute gêne à la navigation.

Selon Hydrohelix, les côtes françaises disposeraient d'un potentiel d'au moins 6 GW qui permettrait de couvrir environ 5 % de la production électrique française actuelle. Pour atteindre cette capacité de production de 6 GW il faudrait installer 4 500 hydroliennes au fond des mers. Cela représente un rideau d'hélices de quelque 21 km, disséminé à moins de 6 km des côtes, entre les îles de Sein et Ouessant et face au cap de la Hague, dans le Cotentin. Hydrohélix dit en effet avoir identifié trois sites appropriés au large des côtes françaises, sur lesquels les courants marins peuvent atteindre une vitesse de 12 à 18 kilomètres à l'heure : la chaussée de Sein, dans le prolongement de Ouessant ; le Fromveur entre le Conquet et Ouessant et la pointe de la Hague.

L'énergie des mers, dont notre pays a la chance d'être abondamment pourvu, représente un gigantesque potentiel à exploiter et pourrait, à terme, devenir la quatrième grande source d'énergie propre, avec le vent, le soleil et la biomasse. Pourtant, dans ce domaine d'avenir, la France est en retard et largement distancée par des pays comme la Grande Bretagne, la Norvège ou le Portugal. Cette situation n'est pas admissible et nous devons sans tarder lever les obstacles et les pesanteurs administratifs, juridiques, fiscaux et politiques qui empêchent la France d'être à la pointe européenne de l'utilisation de ces différentes formes d'énergies des mers dont notre pays est remarquablement pourvu.

Cet enjeu énergétique n'est pas seulement écologique, il est aussi technologique et économique. La consommation énergétique de la France a pratiquement stagné en 2005, mais sa facture s'est encore alourdie de 35 % et a atteint 38 milliards d'euros, en raison de la forte hausse du prix des énergies fossiles. Il est évident que notre pays ne pourra supporter longtemps un tel rythme d'augmentation annuelle de notre facture énergétique. En outre, le développement des énergies renouvelables génère la création de milliers d'emplois nouveaux et stimule notre recherche scientifique et notre capacité d'innovation. La France doit préparer l'avenir et se donner enfin les moyens d'exploiter ses gisements considérables d'énergies renouvelables. Dans cette perspective, l'exploitation à grande échelle de l'énergie des mers sous toutes ses formes représente un enjeu majeur pour notre pays si nous voulons rester dans la course compétitive mondiale tout en contribuant de manière exemplaire à la lutte, vitale pour notre avenir, contre le réchauffement climatique.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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