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Edito : L’arrivée massive des robots, facteur de prospérité ou de chômage ?

Il y a plus d’un demi-siècle que sont apparus les premiers robots industriels, quand George Devol, s’inspirant de la télémanipulation d’éléments radioactifs, inventa un bras articulé capable de transférer un objet d’un endroit à un autre. Mais il fallut attendre 1961 pour que le premier véritable robot, baptisé « Unimate », fasse son entrée dans les usines et s’installe chez le constructeur automobile General Motors. A partir de 1966, ces robots commencèrent à se répandre progressivement dans l’ensemble des chaînes de montage de l’industrie automobile.

On mesure mieux l’immense chemin technologique parcouru depuis cet âge de pierre de la robotique quand on voit le dernier robot humanoïde conçu par Toshiba et présenté il y a quelques jours, à l’occasion du CES de Las Vegas qui s’est achevé le 9 janvier. Aiko Chihira, c’est son nom, est un robot dont l’apparence humaine est assez stupéfiante.

Animé par ses 43 moteurs, ce robot qui parle anglais et japonais et maîtrise la langue des signes est capable d’exprimer de manière très convaincante une large palette d’émotions. L'objectif final de Toshiba, qui continue à perfectionner son robot, est de proposer une véritable hôtesse électronique qu’il sera difficile de distinguer d’un véritable humain, tant son aspect physique, sa gestuelle et sa conversation seront naturelles…

Autre star du CES 2015, le petit robot belge Zora qui assiste déjà le personnel soignant d’une trentaine d’hôpitaux et permet de motiver les personnes âgées pour leur faire réaliser des exercices physiques.

Ces robots de nouvelle génération n’ont plus grand-chose à voir avec leurs « ancêtres » d’il y a seulement une quinzaine d’années. Outre la puissance de calcul phénoménale dont disposent à présent ces robots pour effectuer simultanément plusieurs tâches, ces machines bénéficient également des avancées spectaculaires réalisées dans le domaine de l’intelligence artificielle et des matériaux composites. Mais c’est la connexion permanente de ces robots et leur intégration à l’Internet des Objets qui constituent la véritable rupture technologique, en permettant la constitution de véritables « réseaux robotiques », composés de machines qui savent collaborer entre elles et apprendre l’une de l’autre.

En devenant des machines modulaires, polyvalentes et collaboratives, ces robots de nouvelle génération sont en train de se rendre indispensables, sans même que nous en soyons toujours conscients, dans tous les secteurs d’activités économiques : industrie bien sûr mais également gardiennage, accueil, commerce, santé, agriculture, sans oublier la sécurité et le domaine militaire.

Cette « robolution » n’en est pourtant qu’à ses débuts mais elle va bouleverser notre civilisation à un point que nous avons encore de la peine à imaginer. Charles-Édouard Bouée, président de Roland Berger Strategy, souligne à juste titre dans son essai récent, « Confucius et les automates », que « La robotisation et l’automatisation fulgurantes que nous allons connaître dans les prochaines décennies, où l’on verra se généraliser la combinaison de la machine et de l’intelligence, remettent en cause brutalement et presque de façon systémique, non seulement le rôle, mais aussi la valeur ajoutée et la fiabilité de l’homme dans le processus de production, et même de décision ».

Un des exemples de ce nouveau partenariat homme-machine est le robot Diya One, fabriqué par la start-up française Partnering Robotics. Ce petit robot, haut de 1,20 mètre, est conçu pour assister l'homme dans une multitude de tâches de contrôle et de surveillance, notamment dans les bureaux et les usines. Cofely Services, filiale de GDF-Suez, vient d'acquérir six de ces robots et ceux-ci serviront par exemple à vérifier que les lumières sont bien éteintes ou qu'il n'y pas d'élévations anormales de température, de fuites d'eau ou de présences suspectes dans un bâtiment. Mais ce robot, bien que très performant, n'est pas conçu pour des interventions directes : il ne fait que remplir des tâches complémentaires à celles de l'humain.

Actuellement, on estime à environ 1,5 million le nombre de robots industriels en service sur la planète, essentiellement concentrés dans quatre pays, Japon, États-Unis, Allemagne et Chine. En 2013, il s’est vendu 178 000 robots industriels dans le monde et la Chine est devenue, pour la première fois, le principal acheteur de ces machines (36 500), devant le Japon (26 000) et les États-Unis (23 700). Quant aux robots domestiques, il s’en est vendu 4 millions en 2013 et plus de 5 millions en 2014. À ce rythme, ces robots de service et de compagnie seront plus de 60 millions en 2030 ! Le marché mondial de la robotique de service (à usage professionnel ou personnel) est donc en train d’exploser et le nombre de machines vendues chaque année va passer de 4 à 18 millions, d’ici la fin de la décennie ! Quant au marché, il passera en valeur, de 3 milliards d’euros en 2011 à 60 milliards d’euros en 2020, selon la Commission européenne. Selon une “hypothèse prudente”, le cabinet Xerfi table sur un marché de 20 milliards d’euros en 2015.

Comme le montre l’étude « World Robotics », les nouvelles générations de robots qui déferlent sur la planète ne modifient pas seulement la productivité et la compétitivité des économies mais transforment également la nature même de nos systèmes de production de biens et de services.

Loin de se cantonner à l’industrie, les robots sont à présent partout. La robotique agricole connaît un essor sans précédent et représentera un marché mondial de 16,3 milliards de dollars en 2020, selon une étude de Wintergreen Research. Du côté militaire, les « robots de combat armés » (UGV) qui commencent à faire leur apparition vont représenter un marché de plus de 8 milliards de dollars en 2020, contre seulement 1,5 milliard l’an dernier. Quant aux robots chirurgicaux, ils représenteront un marché de plus de 20 milliards de dollars en 2020, contre 3,3 milliards en 2013.

Pourtant la France, avec seulement 32 000 robots industriels en service et à peine plus de 2000 robots vendus en 2013, reste dramatiquement à l’écart de cette révolution économique, industrielle et technologique. Notre Pays compte deux fois moins de robots industriels par salarié que l’Italie, trois fois moins que l’Allemagne, six fois moins que la Corée du Nord, le Japon ou les États-Unis. En matière de production, la situation n’est guère plus brillante puisque la France n’exporte que 4 % environ des robots industriels dans le monde, contre 14 % en 1996.

Les raisons de cette marginalisation sont davantage politiques et culturelles que scientifiques et techniques. Alors que la France sortait à peine de la deuxième guerre mondiale, l’écrivain Georges Bernanos, dans son livre « La France contre les robots » évoquait déjà les dangers de la mécanisation et de l’automatisation… Il y a quelques mois, le cabinet conseil Roland Berger a publié une étude qui a fait grand bruit ; celle-ci évalue à 42 % les emplois menacés par l’automatisation en France dans les 20 prochaines années. Cette étude estime que l’arrivée en masse des robots mettra au chômage 3 millions de salariés et ne créera que 500.000 emplois nouveaux dans les domaines de l'environnement, des nouvelles technologies et du commerce. Presque tous les secteurs économiques seraient touchés : agriculture, bâtiment, industrie, hôtellerie, administration publique, armée et police. Seuls les secteurs de l'éducation, de la santé et de la culture ne perdraient pas d’emplois.

En octobre dernier, à l’occasion d’un symposium organisé à Orlando, en Floride, Peter Sondergaard directeur mondial de la recherche de Gartner a prédit qu’un « emploi sur trois sera transféré à un logiciel, des robots ou des machines intelligentes d’ici 2025 ». Les « nouvelles entreprises numériques requièrent moins de main d’œuvre et les machines pourront gérer les données plus vite que les humains » a-t-il souligné.

Enfin, une étude réalisée en septembre dernier par Carl Benedikt Frey and Michael A. Osborne, de l’Université d’Oxford, prévoit, à partir de l’analyse de plus de 700 métiers, que 47 % des métiers seront automatisables à l’horizon 2035 ! (Voir Oxford Martin)

Parmi les nombreuses professions amenés à disparaitre, l’étude cite, pèle mêle, les analystes, secrétaires, dockers, employés de banque, réceptionnistes, arbitres sportifs, chauffeurs, caissiers, comptables, ouvriers assembleurs…

Sur le plan économique, un phénomène remarquable est en train de bouleverser complètement la donne en matière de productivité et de compétitivité : il existe à présent des robots assembleurs dont le coût total d’exploitation est inférieur au coût salarial moyen d’un ouvrier chinois, surtout si l’on tient compte du différentiel de productivité en faveur du robot…

Consciente de ce basculement techno économique, la Chine est en train de rattraper à marche forcée son retard en matière de robotique industrielle. Dans les usines chinoises de Foxconn, qui assemblent l’iPhone 6, ce sont des dizaines de milliers de robots qui sont en train d’être installés et à terme ces nouveaux travailleurs dociles et infatigables devraient se substituer à plus d’un million d’ouvriers chinois dont les salaires deviennent trop élevés pour permettre à Foxconn et bien d’autres entreprises de rester compétitives.

Au Japon, le secteur de la santé devrait connaître une pénurie d’environ un million de salariés en 2025. Pour faire face à cette évolution inéluctable, les pouvoirs publics misent sur l’emploi massif des robots dans les hôpitaux et maisons de retraite mais également au domicile des personnes âgées. L’intérêt est double : il s’agit d’une part de trouver une solution au défi de société lié au vieillissement de la population et d’autre part, de développer un savoir-faire technologique et industriel exportable dans le monde entier. Il est vrai que le Japon possède une avance technologique indéniable dans le domaine stratégique de la robotique d’assistance à la personne. Toyota a par exemple présenté il y a deux ans son HSR (Human Support Robot), un robot d’aide à la personne polyvalent qui peut effectuer de nombreuses tâches domestiques.

Autre conséquence économique majeure de ce développement incroyable de la robotique, l’arrivée de ces nouveaux robots performants et compétitifs entraîne une relocalisation massive de certaines activités vers les « vieux » pays industrialisés. Apple a ainsi rapatrié en Californie une partie de l’activité de Foxconn de Chine et le groupe Airtex Design Group a relocalisé aux États-Unis une partie de sa production textile. Otis a rapatrié la production de ses ascenseurs du Mexique en Caroline du Sud et General Electric a relocalisé la fabrication de ses chauffe-eau fabriqués en Chine. Cet élan soudain de « patriotisme » économique s’explique de manière tout à fait rationnelle si l’on considère à la fois la baisse rapide du coût d’exploitation de ces nouveaux robots et l’augmentation tout aussi rapide du salaire moyen en Chine, qui a été multiplié par cinq depuis le début de ce siècle !

Une récente étude, réalisée par le cabinet PricewaterhouseCoopers auprès de 384 entreprises de la zone euro, confirme cette tendance et montre que les deux tiers de ces sociétés ont relocalisé une partie de leurs activités au cours de l’année écoulée et que la moitié d’entre elles prévoit d’autres relocalisations d’ici un an.

On comprend mieux l’ampleur de ce phénomène quand on sait que le robot polyvalent BAXTER, vendu 22 000 dollars, revient à 3,5 euros de l'heure, soit à peu près le salaire moyen d'un Chinois de Shenzhen. Comme le souligne Henrik Christensen, spécialiste de robotique à l'Institut de technologie de Géorgie, « nous entrons dans une ère nouvelle où les robots vont devenir de vrais collaborateurs de l'ouvrier. Ils accompliront les tâches simples, fatigantes, et laisseront à l'homme les fonctions qui demandent de l'intelligence ». L’équipe de recherche de cet ingénieur travaille d’ailleurs sur le développement d’un système collaboratif homme-machine qui sera installé dans une usine BMW en Caroline du Sud et permettra aux robots, guidés par les ouvriers, de manipuler une lourde batterie pour l'insérer dans le moteur.

Grâce à cette amélioration très rapide de la productivité permise par ces nouveaux robots collaboratifs et polyvalents, les États-Unis peuvent désormais rivaliser à nouveau sur le plan industriel avec les pays émergeants à faible coût de main-d’œuvre. « Nos robots de dernière génération nous permettent de battre nos concurrents japonais, chinois et mexicains », affirme Matt Tyler, le PDG de Vickers Engineering, un fabricant de machines-outils.

Dans un récent et remarquable essai, « Le second âge des machines », Erik Brynjolfsson, professeur de management à la business school du MIT, et Andrew McAfee ont tenté d’analyser cet immense bouleversement économique et social lié à la « robolution » et à la diffusion de l’automatisation dans le domaine des services, de la gestion, de l’administration  et du commerce.

Ces chercheurs montrent que le régime industriel « prénumérique » fonctionnait selon une distribution en cloche (courbe de Gauss) où les gains de productivité se traduisaient linéairement en augmentation de revenus. Un plombier, par exemple, qui installait onze douches par semaine, contre dix pour son collègue,  pouvait  espérer gagner au mieux 10 % de plus. Mais l’économie numérique, qui repose sur une capacité infinie de réplication et de diffusion, est radicalement différente et fonctionne selon un nouveau principe : « le gagnant rafle tout ». Nous avons d’ailleurs tous les jours l’illustration de ce principe et nous voyons bien que quelques entreprises, quelques applications et quelques produits culturels peuvent s’imposer très rapidement au niveau mondial…

Cela veut dire que dans cette nouvelle économie réticulaire et interactive, les gains de productivité et la distribution des revenus sont désormais décorrélés. Principale conséquence de cette mutation historique du capitalisme, la demande en tâches routinières, qu’elles soient manuelles ou intellectuelles, diminue inexorablement dans tous les pays développés. Aux Etats-Unis, ce type d’emploi a diminué de 11 % depuis le début de ce siècle. En revanche, cette étude montre que les emplois non routiniers de toute nature ont continué à croître au cours des dernières décennies.

Pour Brynjolfsson et McAfee, l’irrésistible montée en puissance des robots de toute nature n’est nullement annonciatrice d’un chômage accru et massif et peut être au contraire une formidable opportunité pour relancer la croissance et l’emploi et améliorer notre qualité de vie. Ces chercheurs pensent que les robots ne doivent pas être perçus comme des rivaux en matière d’emploi mais comme des « agents collaboratifs » qui peuvent permettre une multitude de nouvelles synergies d’activités et créer, in fine, de nouveaux besoins, de nouveaux marchés et de nouveaux emplois.

Brynjolfsson et McAfee soulignent que les êtres humains vont conserver pour longtemps une supériorité sur les robots dans au moins trois domaines : la créativité, l’esprit d’entreprise et les relations interpersonnelles. Il est donc vital que nos économies développées réforment de fond en comble leurs systèmes d’éducation et de formation de manière à permettre à chacun d’exprimer toute sa créativité et d’organiser sa vie professionnelle en exerçant parallèlement plusieurs activités à « haute valeur ajoutée cognitive » grâce au temps libéré par les auxiliaires robotiques dont il disposera ! Cette étude rappelle enfin avec raison que les besoins humains sont infinis et que les deux tiers de l’humanité n’ont pas encore accès aux biens et services de base qui leur  permettraient de vivre décemment…

J’ajoute que cette extraordinaire révolution robotique en cours doit nous conduire à réformer rapidement et profondément notre système fiscal et social de manière à réduire considérablement le coût du travail humain et, corrélativement, à taxer de manière efficace et équitable la richesse produite par les robots… Nous devons enfin concevoir un nouveau projet de société qui, au-delà de la légitime recherche de la prospérité et de l’activité pour tous, se donne comme finalité éthique une utilisation de ces robots pour améliorer la qualité de vie des plus fragiles d’entre nous et réduire les inégalités encore bien trop grandes dans l’accès au savoir et à la culture.

René TRÉGOUËT

Sénateur Honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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  • Jacques Cells-erre

    31/01/2015

    Pour ma part, je crois que l'on se met le doigt dans l'oeil de verre avec ces robots lourdingues, énergivores et produisant une masse de pollution à l'utilisation, la fabrication, le recyclage.

    Je verrais plus, comme il semble avoir été découvert à Roswell en 47, des êtres synthétiques ne consommant rien, et alimentés simplement par une énergie électrostatique...! Celle que l'on retrouve partout (même indésirable en des immeubles trop hii-tech, ou en des pulls trop en fibres artificiels).
    Le consommable à "outres rances" semble déjà dépassé, puisque les crédit à la conso en chute "libre"...! L'humain deviendrait-il enfin aligné à sa Vraie Source cosmique de Sagesse, au delà de toute croyance manipulatrice ?

  • Jack Teste-Sert

    9/08/2016

    La robotique "gagne du terrain" chez la "grande" distribution américaine du "net", comme Amazone et Walmart :
    - http://www.lefigaro.fr/societes/2016/08/09/20005-20160809ARTFIG00025-wal...

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