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Edito : De l'ADN à la puce moléculaire

Depuis 1965, la miniaturisation en micro-électronique a évolué conformément à la fameuse loi de Moore qui prévoit un doublement tous les 18 mois environ du nombre de transistors intégrés sur un puce de même surface. Aujourd'hui, les dernières puces disponibles sur le marché ont une finesse de gravure qui descend à 0,14 micron, soit 140 nanomètres (un nanomètre étant égal à un milliardième de mètre). Les scientifiques, au prix de prouesses technologiques remarquables, pensent pouvoir descendre jusqu'à des composants de seulement 10 nanomètres (une cinquantaine d'atomes de large !) vers 2015. Mais ils auront alors atteint les limites autorisées par les lois de la physique dans le cadre de la technologie du silicium. Les technologies actuelles auront en effet atteint leurs limites en termes de miniaturisation et de puissance et il faudra explorer des voies technologiques nouvelles. L'une des plus prometteuses est la molétronique, ou électronique moléculaire. L'idée consiste à utiliser des molécules à l'état liquide pour fabriquer des processeurs ou des mémoires d'ordinateur. Le liquide serait, par exemple, encapsulé dans une puce semblable aux puces actuelles. Théoriquement, ces molécules pourraient se substituer aux actuels transistors des puces en silicium : environ 1000 fois plus petites et capables de s'assembler en 3 dimensions, elles multiplieraient par plusieurs milliards les capacités de calcul des ordinateurs. Dans la pratique, les difficultés à surmonter pour mettre au point ces puces moléculaires sont immenses. il s'agit notamment de lier ces molécules entre elles par un procédé global, car on ne peut imaginer d'assembler une à une plusieurs millions de molécules. Dans un article intitulé "la fabrication de nanomachines par ADN" et paru le 10-08-200 dans le magazine scientifique américain Nature (http://www.nature.com/nature/), une équipe scientifique internationale (composée de chercheurs de Bell Labs et de l'université d'Oxford) vient de franchir une nouvelle étape vers la fabrication des nano-outils de base qui seront nécessaires à la fabrication ultérieure de puces moléculaires. Les chercheurs ont montré que des brins d'ADN (l'acide désoxyribonucléique qui constitue nos gènes) peuvent servir de liaison entre les molécules. Le concept développé consiste à attacher un brin d'ADN à chaque molécule avant de mélanger celles-ci. Les brins d'ADN sont choisis de manière à ce qu'ils se combinent les uns aux autres. Les chercheurs espèrent ainsi pouvoir un jour organiser les molécules de manière à former un circuit électronique opérationnel. Pour l'instant, les résultats publiés dans Nature montrent qu'il est déjà possible de réaliser un nanomoteur à base d'ADN fin comme le millième d'une tête d'épingle, dont on peut commander l'ouverture et la fermeture. Un tel moteur exploite les propriétés remarquables de l' ADN constituée d'une chaîne et formée de deux brins qui s'enroulent en forme de double hélice. Chaque brin est une longue chaîne, formée par la succession des quatre constituants de base de l'ADN, symbolisés par les lettres A, C, T, et G. Ces quatre molécules ont la particularité de se reconnaître et de s'assembler par paires, le A avec le T, et le C avec le G. Ainsi, quand le brin de l'hélice comporte la succession de lettres ATACG, le brin qui lui fait face est constitué de la suite TATGC. En fabriquant une pince dont les extrémités ne comportent que l'une des moitiés de la double hélice et un carburant qui porte les lettres complémentaires, les chercheurs peuvent à volonté faire et défaire les hélices, entraînant la fermeture et l'ouverture de la pince. C'est ainsi qu'est né le premier instrument moléculaire capable de manipuler atomes et molécules. Pour l'instant, les chercheurs obtiennent des pinces identiques mais ils pensent pouvoir fabriquer de multiples catégories de pinces différentes, utilisant chacune un carburant spécifique. Ces nano-outils pourraient être utilisés pour produire, déplacer et organiser atomes et molécules dans les futures usines de nanofabrication. Mais le plus extraordinaire est que ces outils pourraient même être programmés pour s'auto-reproduire ! Ces passionnantes recherches confirment la convergence de plus en plus marquée entre les domaines de l'électronique et de la physique, d'une part, et ceux de la chimie et de la biologie, d'autre part. Après demain l'informatique, et plus largement la production industrielle dans son ensemble, pourront effectuer le grand saut dans la nanomonde grâce à la maîtrise d'outils et de concepts biologiques. Mais, corrélativement, notre connaissance des mécanismes les plus intimes de la vie progressera de manière extraordinaire grâce à la puissance phénoménale de traitement de l'information dont nous disposerons et à la finesse incomparable d'intervention, au niveau moléculaire et atomique, que permettront les nano-outils et nano-machines. Un des exemples les plus fascinants de cette synergie entre les sciences de l'information et les sciences de la vie nous est donné par le nouveau et extraordinaire défi que représentent l'inventaire et la compréhension du fonctionnement des millions de protéines qui nous constituent. Pour relever ce défi, nous aurons besoin d'une puissance de calcul sans commune mesure avec ce qui existe actuellement, comme le montre un récent article de Wired paru le 23 septembre. Mais inversement, la compréhension des relations entre structures et fonctions des protéines permettra des avancées théoriques majeures dans le domaine des sciences de l'information. Nous assisterons alors, j'en suis convaincu, sous l'effet de cette spirale amplificatrice, à partir du 2ème quart du XXIème siècle, à une nouvelle et prodigieuse accélération de la connaissance scientifique et de la puissance des outils techno-industriels à notre disposition. Mais il dépendra plus que jamais de l'homme, de sa sagesse et de sa clairvoyance, de faire en sorte que ce progrès inimaginable, qui déjà s'amorce, bénéficie à tous et permette de construire un monde plus humain où chacun aura sa place.

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

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