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L'ADN, une horloge mécanique pour l'embryon

La plupart des animaux sont constitués de « tranches » horizontales, cette segmentation étant plus ou moins visible selon les espèces. Chez les vertébrés, chaque tranche coïncide, approximativement, avec une vertèbre. Cette fragmentation est particulièrement visible lors du développement embryonnaire pendant lequel l'organisme se construit étage par étage, chacun se distinguant qui par des membres, qui par des côtes... Un nouvel étage se forme exactement toutes les 90 minutes, et ce, pendant 48 heures : les étapes suivantes consisteront en l'enrichissement de ces différentes strates, par exemple par l'adjonction de membres. Denis Duboule, de l'École polytechnique fédérale de Lausanne, en Suisse, et ses collègues, notamment de l'Université de Genève, ont précisé les mécanismes de cette horlogerie de précision.

Les engrenages sont ici des gènes nommés Hox répartis en quatre groupes (de HoxA à HoxD). Ils s'expriment successivement, leur ordre dans l'ADN reflétant celui de leur activation le long de l'axe du corps : les gènes de HoxA s'expriment plutôt dans la partie antérieure de l'embryon (du côté des vertèbres cervicales), les gènes HoxD dans sa partie postérieure (le coccyx). À une organisation en une dimension des gènes le long de l'ADN correspond donc une autre en trois dimensions, celle du corps. Ces liens étaient connus depuis le début des années 2000, mais on ignorait comment ils se traduisent en termes de structure de l'ADN dans le noyau des cellules. Sur quelle dynamique est fondée cette relation entre ADN et morphologie ?

Pour le découvrir, les biologistes suisses ont utilisé des dispositifs d'imagerie qui enregistraient en haute définition la conformation de la chromatine (l'organisation de l'ADN dans le noyau) dans divers échantillons de tissus embryonnaires. Ils ont mis en évidence une sorte de compartimentation dans le noyau. Au début, tous les gènes Hox sont enfouis dans une pelote d'ADN : aucun ne peut s'exprimer, ils sont bloqués notamment par des protéines (des histones H3K27me3) qui empêchent toute transcription en ARN. Puis, les gènes sortent progressivement de cette pelote de dormance et changent d'environnement. Les histones H3K27me3 sont remplacées par d'autres (H3K4me3) et l'ADN se déploie, de façon à autoriser la transcription des gènes et donc la production des protéines codées. De la sorte, deux compartiments (celui où les gènes sont en dormance et celui où ils sont actifs) apparaissent, distingués par le type d'histones qu'on y trouve. En 48 heures, tous les gènes sont passés de l'un à l'autre, scandant l'établissement des étages de l'embryon !

L'horloge Hox est donc « mécanique » en ce sens qu'elle fonctionne grâce au passage d'un fil (l'ADN) d'un compartiment où la transcription est inactive à un autre où elle est active. Selon D. Duboule, ce principe confère une grande stabilité au système, à la différence des autres horloges naturelles, par exemple circadienne, fondée sur une chimie complexe. De fait, tout écart dans le déroulement de l'horloge Hox donne probablement naissance à une nouvelle espèce !

Pour La Science

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