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Edito : Internet : il en va de l'avenir de la France

Tout déploiement technologique dont la finalité est d'améliorer le sort de l'Homme en exigeant que chacun sache l'utiliser se divise, inexorablement, en trois phases. Une première phase : la découverte et la mise au point technique. Une deuxième phase : la réalisation des investissements nécessaires et le développement des applications. Une troisième phase : l'acquisition des usages par les utilisateurs potentiels. Or, à l'encontre de ce qui avait été prévu ou espéré lors du lancement d'Internet, le cycle complet du développement des NTIC sera comparable sinon même plus long que celui de l'électricité, du téléphone, de l'automobile ou de la télévision. La grande différence entre ces technologies du XIXe et de la première moitié du XXe avec celle de la planète Internet réside dans le fait que les technologies d'hier ont souvent demandé plusieurs décennies de développement technique, d'investissements préalables et de mise au point des applications alors que l'utilisateur potentiel n'avait que peu d'efforts à accomplir pour en acquérir les usages. Il a suffi de peu de temps à nos grands-parents et parents pour apprendre à se servir d'un interrupteur électrique pour éclairer une pièce ou faire tourner un moteur, tourner une manivelle pour appeler l'opératrice du téléphone, appuyer sur un bouton pour allumer un téléviseur. Même la conduite d'une automobile qui fut la grande aventure de nos aînés il y a moins d'un siècle, même si elle ne fut pas toujours aisée, aura été une pratique abordable par le plus grand nombre. Comme pour le livre au 15e siècle, l'appropriation d'Internet va exiger un énorme effort de l'ensemble de l'Humanité et tout laisse à penser, à moins qu'un génie fasse que la communication entre l'Homme et la machine soit totalement naturelle, qu'il faudra encore plusieurs décennies avant que notre Terre entre globalement dans ce nouveau monde. L'erreur fatale qui a été faite par de nombreux responsables et de nombreux investisseurs aura été de croire qu'il suffisait de mettre au point une nouvelle technologie d'information et de communication pour penser que celle-ci serait adoptée sans retard par l'ensemble de nos contemporains. Depuis des siècles et des siècles, les investissements qui jouent un rôle fondamental dans l'évolution de l'humanité ne parviennent à leur rentabilité qu'après plusieurs décennies et s'inscrivent dans l'échelle du temps plus en demi-siècles qu'en années. Il en aura été ainsi des forêts, des mines, de l'électricité, du chemin de fer, du téléphone, de l'automobile : il en sera de même pour Internet. Il est regrettable que d'éminents décideurs et même des gouvernements se soient laissé tromper par le mirage de la Toile Internet et aient pu penser que les nouvelles technologies pouvaient à elles seules changer le destin du Monde en quelques courtes années. Ceci aura été aussi vrai pour le commerce électronique que pour l'UMTS. Cela ne veut pas dire, loin de là, que tout ce qui a été annoncé depuis plus de cinq ans, s'appuie uniquement sur le mensonge et le virtuel. Tout au contraire : un grand nombre des prouesses techniques annoncées ont été tenues mais ces nouveautés, au lieu d'être utilisées par des millions et des millions de personnes, ne sont employées que par quelques milliers. C'est bien là que se trouve le véritable défi de l'avenir. Comme prévu, année après année, la Loi de Moore s'applique de façon implacable à nos calculateurs et celle-ci devient vraie non seulement pour les mémoires des machines mais aussi pour les capacités des réseaux de télécommunications qui relient toutes ces machines. Hier, le développement d'une nouvelle technologie, comme l'électricité par exemple, était essentiellement dû à la compétence des ingénieurs et à la volonté des pouvoirs publics. Quand un réseau électrique était hier construit dans le quartier d'une ville ou dans un village, chacun tenait à ce que le réseau desserve sa maison, ne serait-ce que pour avoir le plaisir d'éclairer une unique ampoule. Aujourd'hui, ce ne sont plus les ingénieurs qui résoudront les problèmes d'appropriation des NTIC mais beaucoup plus les sociologues, les anthropologues, les ergonomes et surtout les formateurs. Aussi, alors que notre Société tend à entrer dans le Pouvoir par le Savoir annoncé par Alvin Toffler, il y a plus de dix ans, il faut que les gouvernants du Monde prennent conscience, sans retard, que ce n'est plus le nombre de soldats ou le nombre de consommateurs qui détermineront le rang d'un Pays dans le concert des Nations mais c'est bien plus sa capacité à donner à tout un peuple un maximum de Savoirs pour maîtriser ce Monde du Signal qui, inexorablement, déterminera son avenir. Aussi, les décideurs publics et privés doivent se défaire de l'idée qu'il pourrait suffire de construire les réseaux du futur et d'aider le plus grand nombre à acquérir les machines pour changer le destin d'un Pays. Quand, tous ensemble, nous aurons accompli cette première phase, indispensable, il ne faudra surtout pas se reposer. Quand cette première phase, hautement prioritaire, aura été menée à son terme, il sera alors nécessaire qu'un effort sans précédent soit accompli par notre Pays pour que tous les Français s'approprient ces nouvelles technologies de l'information et de la communication. Certains pourraient sourire quand je demande avec force depuis plusieurs années que notre Pays sache faire se lever en ce début de 21e siècle un Jules Ferry de l'Internet comme la France sut si bien le faire à la fin du 19e siècle pour apprendre à tout Français à lire, écrire et compter. Ne souriez pas : Internet changera autant notre destin qu'ont su le faire la lecture, l'écriture et le calcul pour nos aïeux. Cette prise de conscience est urgente car nous vivons dans un monde où l'écart entre l'homme informé, utilisant quotidiennement Internet, et la personne ignorant totalement ce Nouveau Monde, est plus grand qu'entre le paysan et le philosophe à la veille de la Révolution française. Avec la chute vertigineuse des valeurs Internet depuis quelques mois, qui a mis en difficulté les principales bourses mondiales, les gouvernements des grandes démocraties de notre Monde semblent se détourner, sans l'annoncer encore franchement, des Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication. Si cela se confirmait, ce serait une terrible erreur. Leur erreur serait de même nature que celle faite au XVIe siècle par les Cardinaux du Concile de Trente qui n'avaient pas pressenti combien l'imprimerie allait changer notre Monde. Cette bévue n'a certes pas empêché le Siècle des Lumières de nous apporter toute sa soif de connaissances mais n'a certainement pas été sans conséquence sur la genèse de la Révolution Française. Ressaisissons-nous. Nous entrons dans une aventure que l'Homme ne connaît que deux fois par millénaire.

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

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