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Edito : Il faut dépasser les objectifs de Kyoto

Alors que la Conférence internationale sur le climat vient de s'ouvrir le 28 novembre à Durban (Afrique du Sud) pour essayer, sans trop d'illusions compte tenu du contexte économique de crise mondiale, de préparer l’après-Kyoto et trouver un nouvel accord de réduction mondiale des gaz à effet de serre, la réalité et l'ampleur du réchauffement climatique sont venues se rappeler depuis plusieurs semaines de manière implacable aux sept milliards d'humains qui peuplent désormais notre planète.

L’Himalaya, le "château d'eau" du monde, est en effet touché de plein fouet par le réchauffement climatique : selon une étude publiée par le britannique Environmental Research Letters, les glaciers chinois ont considérablement reculé depuis 50 ans et les lacs d’altitude ont vu une augmentation sans précédent de leur volume, menaçant d'inondations catastrophiques plusieurs régions et notamment le Bhoutan. Les scientifiques de l’Académie chinoise des sciences ont constaté une augmentation des températures de 1,7°C dans la chaîne himalayenne entre 1961 et 2008, soit plus qu’au cours des cent dernières années !

L'Europe n'est pas épargnée par ce phénomène mondial et, dans les Pyrénées, l'observation par comparaison photographique des principaux glaciers montre qu'ils ont perdu les trois quarts de leur volume depuis 1850 ! Enfin, des observations récentes du Groenland par satellite confirment l'accélération considérable de la fonte de cet immense glacier qui perd plus de 22 milliards de tonnes d'eau par an. Si cette tendance se poursuit, la fonte de ces glaciers, combinée à celle de l’Antarctique, risque d'entraîner une hausse du niveau des mers de plus de 30 cm d'ici 2050 alors que cette hausse n'a été que de 20 cm depuis un siècle.

Une étude du GIEC, publiée récemment, confirme, sur des bases scientifiques très solides, que le réchauffement climatique accéléré aura également au cours de ce siècle un impact considérable sur l'intensité et la fréquence des "phénomènes météorologiques extrêmes" : le nombre de jours caniculaires pourrait ainsi être multiplié par 10 d'ici 2100, provoquant des sécheresses persistantes dans plusieurs régions du monde. Mais, dans le même temps, les inondations, cyclones et ouragans dévastateurs seront également plus fréquents et plus puissants (Voir article).

Le prochain rapport du Giec qui sortira en 2013 confirmera la réalité, l'ampleur et l'impact catastrophique de ce réchauffement global et il est frappant de constater que, même dans le "noyau dur" des scientifiques "climatosceptiques", plusieurs défections de taille ont eu lieu ces derniers mois. C'est notamment le cas de Richard Muller, professeur de physique à l'Université de Californie, à Berkeley, qui vient de publier un article très remarqué confirmant la réalité du réchauffement climatique dans le "Wall Street Journal", jusqu'à présent très proche des climatosceptiques.

En prélude à ce futur rapport du GIEC, les meilleurs climatologues du monde, réunis lors du congrès du WCRP à Denver, sont formels : réduire les émissions humaines de CO2 qui sont malheureusement reparties à la hausse après le léger tassement en 2009 dû à la crise mondiale (30,6 gigatonnes en 2010, soit 5 % de plus qu'en 2008) risque de ne pas être suffisant pour stabiliser le climat de la planète. Il est vrai que les engagements internationaux pris à Copenhague et à Cancun ne représentent que 60 % de l'effort minimal nécessaire de réduction de GES pour limiter à 2 ou 3°C le réchauffement mondial.

C'est pourquoi, dans le cadre de l’après-Kyoto, beaucoup de scientifiques proposent un deuxième objectif spécifique sur le méthane et la suie pour lutter plus efficacement contre le réchauffement climatique. « Tout est une question de priorité : si on se préoccupe de la fonte des glaces aux pôles, il faut s’attaquer au dioxyde de carbone (CO2) qui est le principal facteur du réchauffement à long terme. Mais si l’on veut limiter les feux de forêt (liés à un réchauffement de 1 à 2°C) dans les 10 ou 20 ans à venir, il est plus judicieux de réduire d’abord les agents à durée de vie courte », souligne Susan Solomon, chercheur au MIT et spécialiste de l'impact des chlorofluorocarbones (CFC) sur le climat.

Des études récentes prouvent en effet que la réduction de certains gaz et particules à courte durée de vie ont un impact important et rapide sur le climat. En revanche, si l’on cessait d’émettre du CO2, le réchauffement mondial se poursuivrait pendant au moins 1 000 ans à cause du phénomène physique d'inertie thermique lié au stockage de la chaleur dans les océans.

Le méthane, qui a un pouvoir réchauffant beaucoup plus important que le CO2, a une durée de vie bien plus courte, de l'ordre de 10 ans. L’ozone, la suie et les aérosols sont, pour leur part, dégradés en quelques semaines.

Le cadre du protocole de Kyoto place tous les gaz à effet de serre dans le même « panier », sans tenir compte de leur durée de vie très différente et leurs émissions sont "unifiées" et évaluées en équivalent CO2, en utilisant la méthode du pouvoir de réchauffement global (PRG) sur un siècle.

Pour un nombre croissant de scientifiques, il est urgent de distinguer les gaz et substances à durée de vie courte (méthane, aérosols, ozone troposphérique et suie) et les gaz beaucoup plus persistants, comme le CO2. Il existe en effet un lien de corrélation direct entre le rythme de diminution des gaz à faible durée de vie et la réduction du pic du réchauffement.

Beaucoup des scientifiques réunis à Denver suggèrent de s'inspirer du Protocole de Montréal qui a remarquablement atteint ses objectifs en traitant de manière spécifique, selon leur durée de vie, les familles de gaz détruisant la couche d’ozone.

Bien entendu, cette priorité qui serait donnée à la réduction des émissions de gaz à brève durée de vie ne devrait en aucun cas entraîner ou justifier un relâchement sur les objectifs de réduction des émissions de CO2. En pointe sur ces recherches, Susan Solomon propose de prendre comme base de calcul la totalité du carbone accumulé dans l'atmosphère et pas uniquement les flux annuels d’émissions. Il s'agit par cette nouvelle approche d’intégrer l’effet considérable lié aux rétroactions du cycle du carbone.

Partant de cette méthode, l'humanité ne devrait pas dépasser un plafond de 1 000 gigatonnes de carbone, soit le double du CO2 émis depuis deux siècles. Le monde devrait donc tout mettre en oeuvre pour rester à l'intérieur de cette "enveloppe carbone" permettant de limiter le réchauffement global à 2°C. Concrètement, cela signifie que les émissions moyennes d'un terrien doivent passer de 4,5 tonnes à 2 tonnes d'ici 2050 (en tenant compte de l'augmentation de la population mondiale). Pour un européen (8 tonnes de CO2 par an), cela signifie diviser par quatre ses émissions annuelles, pour un Français (6 tonnes par an), les diviser par trois !

S'agissant de la panoplie de moyens à mettre en oeuvre pour parvenir à stabiliser le climat, Robert Socolow, professeur mondialement réputé d’ingénierie mécanique et aérospatiale à l’université de Princeton (États-Unis), continue de penser qu’il est possible de stabiliser les émissions de CO2 sur une période de 50 ans avec les technologies disponibles. En 2011, le total des émissions mondiales de GES est estimé à 9 gigatonnes de carbone contre 7 gigatonnes en 2004.

Selon Socolow, 9 leviers complémentaires (soit 225 gigatonnes à éviter) seront nécessaires avec une cible revue à la hausse de 550 ppm, pour limiter la hausse de la température mondiale estimée à 3°C : efficacité énergétique (à croissance économique constante, la consommation moyenne d'un terrien doit passer de 1,7 tep par an à moins d'une tep par an), économies d'énergie, agriculture et forêts, solaire, hydrogène, biomasse, éolien, nucléaire et capture du CO2.

Partant de l’hypothèse d’un prix du carbone à 35 euros qui est le seuil nécessaire de basculement pour stimuler les investissements, Socolow estime à 45 trillions de dollars (32 000 milliards d’euros), le coût global sur 50 ans de la stabilisation du climat mondial.

Ce coût peut sembler considérable mais il faut le ramener à d'autres ordres de grandeur comparables : il représente moins d'un an de produit mondial brut (40 000 milliards d’euros en 2010) et mobiliserait environ 2 % de la richesse mondiale produite chaque année pendant le prochain demi-siècle, ce qui serait non seulement supportable pour l'économie mais bénéfique pour la recherche et l'innovation.

Ce colloque de Denver aura eu le mérite de consacrer la réalité et l'ampleur du réchauffement climatique mondial et de réduire encore les incertitudes sur la part de responsabilité humaine dans ce réchauffement. Ces conclusions du congrès de Denver rejoignent celles du dernier rapport de l'AIE qui vient d'être publié. Selon ce rapport très documenté, au rythme actuel, le charbon deviendra la première source d'énergie dans le monde en 2035, passant devant le pétrole ! Ce rapport souligne que pour stabiliser le climat, il est impératif que la consommation de charbon diminue à partir de 2017, sous peine de subir d'ici la fin du siècle une augmentation de la température mondiale bien plus importante que les deux degrés déjà annoncés (Voir le rapport 2011 de l’AIE).

Nous sommes donc à la croisée des chemins. Nous avons encore la possibilité de maîtriser le changement climatique actuel si nous actionnons simultanément et avec force tous les leviers économiques, technologiques et sociaux à notre disposition. Ce défi de civilisation est à notre portée mais, pour le relever, nous devons éviter les deux écueils du catastrophisme et du fatalisme et transformer par l'innovation technologique, mais également sociale et démocratique, l'organisation globale de nos sociétés de façon à laisser un monde vivable et si possible meilleur aux générations qui nous succéderont.

René TREGOUET

Sénateur Honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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