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Edito : Hydrates de méthane océaniques : une nouvelle révolution énergétique se prépare !

En moins de 50 ans, la consommation mondiale d’énergie a pratiquement triplé et devrait atteindre environ 13 gigatonnes en 2015, soit près de 2 tonnes équivalent-pétrole par an, pour chaque terrien ! Et cette soif mondiale d’énergie n’est pas près de s’éteindre car le monde comptera deux milliards d’habitants en plus d’ici 2050 et le développement économique mondial, notamment en Asie, rend probable l’hypothèse d’une consommation d’énergie planétaire supérieure à 20 gigatonnes équivalent pétrole à l’horizon 2050.

Même si nous avons tendance à l’oublier, il est toujours bon de rappeler, qu’en dépit de la très forte montée en puissance des énergies renouvelables, l’ensemble des énergies fossiles -pétrole, gaz et charbon- qu’elles soient conventionnelles ou non, représente encore aujourd’hui les trois quarts de la production énergétique mondiale.

Il reste que cette utilisation massive et persistante des énergies fossiles que nous utilisons actuellement va se heurter inexorablement à un problème incontournable : celui de leur épuisement inévitable lié au caractère fini et non renouvelable des quantités physiques disponibles de ces sources d’énergie fossile. Pour le pétrole, les réserves mondiales prouvées de pétrole sont de 1.481 milliards de barils (un baril représente 159 litres de pétrole brut), selon les dernières estimations de l’OPEP qui incluent les réserves des sables bitumineux de l’Alberta (Canada) ou de l’Orénoque (Venezuela). Les estimations annuelles de la revue hebdomadaire américaine « Oil and Gas Journal » estiment pour leur part que les réserves mondiales prouvées de pétrole brut au 1er janvier 2014 atteignent 224 milliards de tonnes, ce qui représente environ 60 années, au rythme actuel de la production.

Les réserves de gaz (réserves conventionnelles et non conventionnelles) et de charbon pourraient, quant à elles, permettre de répondre à la demande pendant environ 120 ans mais elles finiront également par s’épuiser. En outre, ces deux sources d’énergie, si elles devaient continuer à être utilisées massivement, vont entraîner un coût social et environnemental de plus en plus important, surtout quand on sait que les gaz non-conventionnels, comme le gaz de schiste, représentent déjà, au niveau mondial, un tiers de la production de gaz naturel et 10 % de la production de pétrole…

Même si l’on admet que l’ensemble des énergies renouvelables à faible émission de gaz à effet de serre (nucléaire non compris ), parviennent à représenter la moitié du mix énergétique mondial à l’horizon 2050, ce qui est loin d’être assuré, et en supposant que la part du nucléaire dans le mix énergétique mondial se stabilise à environ deux gigatonnes par an, cela signifie qu’il faudra encore trouver environ huit gigatonnes par an pour « boucler » le bilan énergétique mondial, ce qui représente plus de 60 % de toute la production énergétique actuelle de la planète…

Ces huit gigatonnes ne pourront donc être issues des seules énergies fossiles. Le paysage énergétique mondial, déjà profondément transformé par l’exploitation massive récente du gaz et du pétrole non conventionnel, pourrait être totalement bouleversé par l’exploitation à grande échelle d’une nouvelle ressource énergétique présente en quantité phénoménale dans les fonds marins et les pergélisols : les hydrates de méthane.

Ces hydrates de méthane, issus de la décomposition de matière organique, sont des réserves de gaz naturel contenues dans des poches de glace. Ces poches glacées se forment uniquement à basse température et à forte pression, raison pour laquelle on retrouve uniquement les hydrates de méthanes dans certains fonds marins et pergélisols. Elle contient du méthane en grande quantité, ainsi que du sulfure d’hydrogène et du dioxyde de carbone. Toutefois, si les conditions physico-chimiques se modifient (augmentation de la température, diminution de la pression), les hydrates de méthane deviennent instables et les gaz se libèrent de leur enveloppe de glace.

À l’instar des océans, des forêts et des sols, ces hydrates de méthane sont des puits de carbone qui absorbent naturellement le CO2. Mais surtout, compte tenu de la forte pression à laquelle ils sont soumis au fond des océans, ils contiennent de très grandes quantités de gaz concentrés dans un tout petit volume puisqu’un m3 seulement d’hydrates de méthane représente environ l’équivalent énergétique de 168 m3 de gaz naturel !

Ces hydrates de méthane possèdent donc de remarquables propriétés énergétiques et, à condition bien sûr de savoir les récupérer et les exploiter industriellement, ils peuvent être utilisés très facilement pour produire de l’énergie et de l’électricité, au même titre que le gaz naturel. Bien qu’il soit très difficile d’estimer précisément au niveau mondial les réserves de gaz naturel contenues dans les hydrates de méthane, la communauté scientifique s’accorde sur le fait que ces réserves sont absolument colossales : sans doute plus de 10.000 milliards de tonnes, soit le double des réserves restantes cumulées de pétrole, de gaz naturel et de charbon…

En théorie, ces réserves phénoménales représentent plusieurs siècles de consommation énergétique, même en anticipant l’augmentation prévisible de la demande. Mais dans la réalité, il n’est ni possible ni envisageable, pour des raisons à la fois économiques et technologiques, d’exploiter l’ensemble des sites contenant des hydrates de méthane. En outre, l’extraction et la récupération à grande échelle de l’énergie contenue dans ces hydrates de méthane est une opération délicate et complexe qui n’a rien à voir avec un simple forage gazier ou pétrolier. Il est notamment capital de parvenir à extraire l’énergie contenue dans ces hydrates de méthane de manière parfaitement contrôlée, afin d’éviter toute fuite de méthane dans l’atmosphère car ce gaz à effet de serre est 20 fois plus puissant, à volume égal, que le CO2 et de telles fuites pourraient accélérer dangereusement le réchauffement climatique déjà préoccupant résultant de l’augmentation considérable des émissions humaines de gaz à effet de serre.

Un pays a cependant décidé de relever ce défi scientifique, économique et écologique : le Japon. Disposant de très peu d’énergie fossile sur son territoire et confronté à l’arrêt de sa production électronucléaire depuis la catastrophe de Fukushima, le Japon a décidé de mettre en œuvre une politique énergétique ambitieuse et volontariste reposant sur une diversification des sources énergétiques et un très fort développement de l’ensemble des énergies renouvelables. Dans cette « panoplie » énergétique, l’exploitation industrielle des hydrates de méthane est appelée à tenir une place de choix. Il est vrai que ce pays a entrepris depuis 15 ans un vaste inventaire géologique destiné à identifier ces ressources sous-marines.

En mars 2013, la société JOGMEC (Japan Oil, Gas and Metals National Corporation) a réalisé une première mondiale en annonçant avoir extrait avec succès du gaz d’un gisement d’hydrate de méthane situé en mer profonde (plus de 500m) au large d’une des grandes îles constituant le Japon, l’île de Shikoku. Les forages et l’extraction ont été effectués à partir d’un navire spécialisé, le Kikuyu. Les travaux préparatoires ont été menés à l'aide du navire scientifique de forage Chikyu. Celui-ci a foré par 1 000 mètres de profondeur pour atteindre le dépôt d'hydrates de méthane situé à 300 mètres sous le plancher de la mer.

Un puits de production et deux puits de contrôle ont été creusés. Le gaz extrait durant une dizaine de jours n’a pas été récupéré, il a été brûlé à bord du navire pendant que l’on procédait à de nombreuses mesures. Pour extraire le gaz de sa cage de glace, la société japonaise a choisi le procédé de la dépressurisation. Il s’agit de poser par forage un tube dans le gisement d’hydrate et de pomper le liquide en excès. La pression s’abaisse alors et l’hydrate de méthane se dissocie en glace et gaz. Fort de ce succès, le Japon est bien décidé à devenir, d’ici une dizaine d’années, le premier pays au monde capable de récupérer et d’utiliser massivement ces nouvelles ressources énergétiques sous-marines.

Mais ce calendrier prévisionnel nippon pourrait bien être bouleversé par plusieurs ruptures technologiques récentes qui rendent l’exploitation massive de ces hydrates de méthane océaniques moins complexe et plus rentable.

En avril dernier, des chercheurs de l'Université d'Okayama, dirigés par les Professeurs Yagasaki et Hideki Tanaka, spécialiste en chimie moléculaire, ont réussi à modéliser les différents changements de phase des hydrates de méthane en ayant recours au supercalculateur "informatique K" de l’Institut national Riken à Kobe.

L’énorme puissance de calcul de ce supercalculateur a permis aux chercheurs de simuler les mouvements et les réactions de toutes les molécules d'hydrate de méthane cristallisés. Cette modélisation a permis de simuler l'attraction et la répulsion naturelle qui se produit au niveau atomique pendant les transitions de phase. Commentant le résultat de ces recherches de pointe, Hideo Narita, directeur du Centre de recherche sur les hydrates de méthane de l'Institut national pour la science et la technologie, a déclaré : « Ces travaux alliant physique, informatique et mathématiques ont permis de simuler avec une précision sans précédent le comportement et l’évolution des molécules d'hydrate de méthane et ces modélisations ont bien confirmé qu’il était possible d’exploiter de façon durable et sûre les hydrates de méthane sous-marins à des fins énergétiques ».

Autre signe que les choses s’accélèrent dans ce domaine stratégique, il y a quelques jours, les autorités japonaises et notamment l'Agence des ressources naturelles et de l'Énergie, ont annoncé qu’ils étaient parvenus à récupérer des échantillons d’hydrates de méthane sous le plancher océanique au large de Niigata, Akita et Yamagata. Selon ce communiqué nippon, il y aurait suffisamment d'hydrates de méthane sous les eaux territoriales japonaises pour répondre aux besoins en gaz naturel de l’archipel pendant au moins un siècle (Voir The Japan Times).

Enfin, il y a trois semaines, une équipe franco-allemande regroupant des chercheurs de l'Université de Göttingen et de l'Institut Laue Langevin (ILL) a annoncé la découverte d'une nouvelle forme de glace qui pourrait permettre d’avancer vers de nouvelles solutions pour la production, le transport et le stockage de l'énergie. Baptisée « glace XVI », cette glace est la moins dense de toutes les formes de glace connues et possède une structure fortement symétrique, formant des cages. Grâce à ses propriétés tout à fait particulières, cette glace peut piéger des molécules gazeuses pour former des composés appelés clathrates ou hydrates de gaz (Voir Nature).

Or, ce sont précisément ces clathrates qui renferment d'énormes quantités de méthane et d'autres gaz, situées dans le permafrost et dans de vastes couches sédimentaires à des centaines de mètres au fond des océans. Ces chercheurs ont notamment réussi à obtenir le premier clathrate vide, c’est-à-dire une structure de molécules d'eau dont toutes les molécules hôtes ont été retirées. Pour produire ce premier échantillon de glace XVI, les chercheurs ont synthétisé un clathrate rempli de molécules de néon, qu'ils ont ensuite enlevées en les pompant délicatement à basse température.

Pour réussir cet exploit technologique, les chercheurs ont pompé le clathrate de néon dans des conditions très particulières de froid et de température et ont eu recours au diffractomètre de pointe D20 de l'ILL de Grenoble qui a confirmé que le clathrate obtenu avait bien été entièrement vidé.

Thomas Hansen, l'un des auteurs de l'étude : « Nos travaux ont montré qu’il était possible de former des clathrates avec du dioxyde de carbone, qui est stable dans les conditions des fonds océaniques. Cela signifie qu'il est bel et bien possible d'extraire le méthane de son hydrate pour le transformer en énergie utile, en le remplaçant par le CO2 ». Helmut Schober, Directeur scientifique de l'ILL, souligne pour sa part que "Depuis des années, les clathrates vides font l'objet d'un intense questionnement scientifique. Cette découverte met un terme aux spéculations et ajoute un nouveau joyau dans la fascinante malle aux trésors des phases de la glace. Cette avancée considérable nous laisse aussi espérer des progrès dans les questions connexes liées à l'énergie."

A court terme, ces avancées dans la compréhension fine des clathrates devraient avoir des retombées très concrètes en matière d’entretien des pipelines acheminant le gaz sous haute pression et basses températures. Ces conditions extrêmes peuvent en effet provoquer la production d'hydrates de gaz dans les conduits et entraîner ainsi des bouchons dangereux dont la prévention par des moyens classiques coûte actuellement un demi-milliard de dollars par an à l’industrie gazière.

On le voit, ces récentes découvertes et avancées scientifiques et techniques courantes ouvrent véritablement la voie vers une exploitation massive, économiquement rentable et respectueuse de l’environnement, de l’immense gisement énergétique que représentent les hydrates de méthane océaniques. Sans constituer une panacée à l’insatiable soif d’énergie de la planète, que la pression démographique et le développement économique ne peuvent qu’augmenter, la perspective d’une exploitation industrielle à moyen terme de ces hydrates de méthane marins pourrait tout de même profondément bouleverser la donne énergétique mondiale en substituant cette nouvelle énergie issue des fonds sous-marins à une part importante des énergies fossiles conventionnelles actuellement consommées dans le monde. Cette arrivée plus massive et plus rapide que prévu des hydrates de méthane dans le paysage énergétique mondial pourrait notamment permettre de diminuer beaucoup plus rapidement l’utilisation du charbon et du pétrole -des sources d’énergie fortement émettrices de gaz à effet de serre- au niveau mondial.

Combinées avec la montée en puissance très forte de l’ensemble des énergies renouvelables mais également avec l’arrivée, à l’horizon 2050 de la fusion thermonucléaire contrôlée et l’exploitation massive de nouvelles sources d’énergie propre, comme l’hydrogène gazeux issu des entrailles de la terre, la récupération et l’exploitation propres de ces hydrates de méthane pourrait donc permettre à l’Humanité de faire face à ses besoins accrus en énergie, tout en respectant l’objectif d’une réduction drastique d’au moins 50  % des émissions humaines de CO2 d’ici le milieu de ce siècle. L’enjeu économique, écologique, scientifique et technologique que constitue la maîtrise d’une exploitation propre de ces hydrates de méthane est donc absolument capital pour notre Planète mais également pour l’Europe et la France.

Souhaitons que notre Pays qui a la chance de posséder l’un des plus grands domaines maritimes du monde - 11 millions de kilomètres carrés - et d’être en pointe dans ce domaine de recherche scientifique, se donne les moyens dans la durée de faire partie des nations qui seront les premières à conduire cette révolution économique, scientifique et énergétique qui est en train de naître sous nos yeux.

René TRÉGOUËT

Sénateur Honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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  • jeremie

    9/01/2015

    aucune chance, déjà que l'on ne parlle pas du thorium.

  • En énergies fossiles à effet de serre , ce ne sera pas vivable !

    Les extrêmes s'amplifieront comme cet hiver avec le froid aux USA (qui ne veulent pas changer leur intentions créatrices et que la conscience globale quantique reconnaît, elle...).

    De même pour les déserts de tous pays à "pête-rôle" où les "all-gèrent-rien" pullulent.

    Tant que l'humanité n'aura pas compris que toute planète est une école de conscience à AIMER pour apprendre à créer de l'équilibré universel en masse, l'on vivra du chaos !

    Alors qu'il existe une énergie propre surnuméraire à exploiter en vortex annulaires tourbillonnants, telle que je l'ai donnée récemment en open source sur le web !

    Voilà du job en campagne pour tous (diversifié, sans monopole ni grandes séries fabriquées à la chaîne), où les entreprises ingénieuses de mécanique générale ne manquent pas !

  • J'axe-cells-ere

    19/01/2015

    Si l'exploitation massive de ce méthane (20 fois plus à effet de serre que le CO2...) se fait près des pôles, cela accroitra l'allégement des plaques continentales à ces endroits (déjà impacté par la fontes des glaces...), tout en augmentant la masse d'eau à l'équateur !§!
    Grave le risque de BASCULEMENT !
    Quels chercheurs vont le chiffrer par rapport au "roulement à bille du magma" ???

    Et pourquoi ne pas expliquer la disparition brutale de l'Atlantide de cette façon (au niveau de Antilles, voir la presque-île de Bimini au large de la Floride avec ses immenses dalles taillées et une fosse océanique de 4700 m juste en face...) ?

    Ce continent île pourrait très bien avoir été enfoncé lors de la fin de la dernière glaciation par la fonte des glaces plus au nord et au sud extrêmes..., comme le prouverait des recherches sur le basculement de tout l'ensemble du continent sud-américain dans l'Atlantique, plein de coquillages marins retrouvés dans les Andes à une certaine altitude respectable côté océan Pacifique...!

  • J'axe-cells-ere

    19/01/2015

    Si l'exploitation massive de ce méthane (20 fois plus à effet de serre que le CO2...) se fait près des pôles, cela accroitra l'allégement des plaques continentales à ces endroits (déjà impacté par la fontes des glaces...), tout en augmentant la masse d'eau à l'équateur !§!
    Grave le risque de BASCULEMENT !

    Quels chercheurs vont chiffrer ce différentiel de charge sur les fonds océaniques par rapport au "roulement à billes" du magma juste en dessous ???

    Et pourquoi ne pas expliquer ainsi la disparition brutale de l'Atlantide (au niveau de Antilles, voir la presque-île de Bimini au large de la Floride avec ses immenses dalles taillées et une fosse océanique de 4700 m juste en face...) ?

    Ce continent île pourrait très bien avoir été enfoncé lors de la fin de la dernière glaciation par la fonte des glaces plus au nord et au sud extrêmes..., comme le prouverait des recherches sur le basculement de tout l'ensemble du continent sud-américain dans l'Atlantique, plein de coquillages marins retrouvés dans les Andes à une certaine altitude respectable côté océan Pacifique...!

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