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Gulf Stream la fin d'un mythe

Si l'Europe de l'Ouest bénéficie d'hivers cléments, c'est grâce au Gulf Stream. Nous avons tous entendu ou lu cette explication au moins une fois. On la retrouve aussi bien dans les livres de climatologie que dans les guides touristiques. C'est l'une des raisons pour lesquelles tant de recherches ont été consacrées aux modifications de la circulation océanique dans l'Atlantique nord et à leur impact sur le climat. En plein coeur de l'hiver, les températures enregistrées en Europe occidentale (OEles britanniques, Scandinavie, France) sont en moyenne 15 à 20° C supérieures à celles mesurées aux mêmes latitudes sur la côte est de l'Amérique du Nord (Terre-Neuve, Labrador). Entre les deux rives de l'Atlantique, le Gulf Stream (littéralement, le « courant du Golfe ») transporte les eaux chaudes du golfe du Mexique vers le nord, le long de la côte américaine. Il vire ensuite à l'est, au large du cap Hatteras, pour faire route vers l'Europe, se refroidissant progressivement lors de son périple. Étant donné qu'aux latitudes moyennes les vents soufflent d'ouest en est, on en a déduit que la chaleur relâchée par le Gulf Stream, et convoyée par les vents d'ouest vers l'Europe, devait être la raison de la douceur des hivers européens. Il existe pourtant une explication beaucoup plus simple. L'eau de mer ayant une forte inertie thermique, l'océan se réchauffe beaucoup moins que les continents en été et se refroidit moins en hiver. À elle seule, cette propriété suffirait à générer un écart important dans la gamme saisonnière de températures entre masses continentales et océaniques. Mais il y a aussi l'action des vents qui brassent les eaux superficielles. En été, ils redistribuent ainsi la chaleur gagnée en surface grâce à l'ensoleillement sur une couche de quelques dizaines de mètres de profondeur, alors que sur la terre ferme seul le premier mètre se réchauffe. En hiver, quand l'océan se refroidit en surface, les eaux froides superficielles, plus denses, plongent et sont remplacées par les eaux plus profondes, plus chaudes et moins denses. La combinaison du tout fait qu'à la latitude de 50° N l'écart entre températures estivales et hivernales n'est que de 5° C environ sur l'Atlantique, alors qu'il est de 50° C au coeur de la Sibérie ! Les régions comme l'Europe de l'Ouest, qui reçoivent un air océanique, sont donc dotées d'un climat « maritime » aux étés frais et aux hivers doux. Tandis que les régions situées à l'ouest des océans, comme l'Est de l'Amérique du Nord, se caractérisent par un climat continental, avec des étés chauds et des hivers rigoureux. Cela pourrait être l'explication la plus simple du contraste de température entre les deux rives de l'Atlantique nord. Pour comprendre l'origine des hivers doux européens, Richard Seager et ses collègues ont étudié la façon dont les vents et les courants marins distribuent la chaleur autour du Globe. À partir d'observations météorologiques et des données collectées par les bateaux, ils ont d'abord montré que le principal convoyeur de chaleur vers L'Europe n'est pas l'océan mais l'atmosphère... Selon leurs simulations numériques, les deux phénomènes principaux en jeu sont d'une part les grands écoulements atmosphériques liés à la présence des Rocheuses, qui refroidissent l'Est américain, et d'autre part la dissipation dans l'atmosphère de la chaleur stockée pendant l'été dans les eaux superficielles de l'océan. Le Gulf Stream n'y est pratiquement pour rien. Au cours des dernières années, l'amélioration des modèles numériques de prévision météorologique a conduit à une réanalyse systématique de toutes les observations réalisées depuis 1949 . Cette réanalyse a fourni des données à l'échelle du Globe entier, à partir desquelles Kevin Trenberth et ses collègues du National Center for Atmospheric Research, à Boulder (Colorado), ont démontré qu'aux latitudes moyennes l'essentiel de la chaleur est véhiculé non par l'océan mais par l'atmosphère . En fait, les observations utilisées dans les premières estimations provenaient essentiellement de mesures effectuées au-dessus des continents. Or, l'atmosphère transporte d'énormes quantités de chaleur vers les pôles via les tempêtes hivernales qui balaient les océans. Poursuivant leur démarche, nous avons alors calculé les conséquences en termes de température : en l'absence de cette composante atmosphérique, les températures hivernales de la région située au-delà de 35° de latitude nord seraient inférieures de quelque 27° C à ce qu'elles sont ! Toujours grâce aux données réanalysées, les chercheurs ont aussi déterminé les changements moyens de température en fonction du temps, dus aux mouvements atmosphériques. Résultat : aux moyennes latitudes, l'écoulement d'air moyen - c'est-à-dire l'écoulement typique sur une saison - réchauffe les régions situées à l'est des océans et refroidit celles situées à l'ouest. Et c'est surtout l'écoulement nord-sud de l'air associé aux ondes stationnaires qui en est responsable. L'effet net de la variabilité des vents - c'est-à-dire de la continuelle succession de cyclones et d'anticyclones qui déterminent notre climat - réchauffe au contraire les régions intrinsèquement froides (l'Est américain, par exemple) et refroidit les chaudes (l'Europe occidentale). Mais, au bilan, c'est l'écoulement moyen qui l'emporte, d'un facteur 2 au moins ! Ce sont donc clairement les mouvements atmosphériques qui adoucissent les hivers européens. Mais quelle est l'origine de la chaleur relâchée par l'océan que les vents soufflent sur l'Europe ? Ce relargage est-il entretenu par un stockage saisonnier de chaleur dans l'océan ou par les courants marins ? Pour le savoir, nous avons repris l'ensemble des observations collectées par les bateaux et analysé la chaleur relâchée par l'océan par évaporation, les échanges par conduction, ainsi que la perte nette due à l'émission de rayonnement infrarouge : en hiver, la chaleur perdue est compensée en partie par le rayonnement solaire absorbé (qui est faible), en partie par une diminution du stock de chaleur accumulé durant l'été et en partie par la convergence thermique des courants océaniques. On entend par convergence thermique des courants le fait que, dans certaines zones, les courants amènent plus de chaleur qu'ils n'en retirent. Cet excès contribue à réchauffer localement l'océan. D'après nos calculs, les courants océaniques apportent la moitié de la chaleur relâchée en hiver dans deux petites régions. Celle du Gulf Stream, qui borde l'Est des États-Unis, où les eaux tropicales chaudes s'écoulent en dessous d'un air froid et sec venant de l'Amérique du Nord. Et celle située immédiatement à l'ouest de la Norvège. Sur tout le reste de l'Atlantique nord, la chaleur libérée graduellement au cours de l'hiver provient essentiellement du stock estival. Un processus qui continuerait même sans mouvements océaniques. En son absence, les régions de l'Atlantique situées au-delà de 35° N seraient, une fois encore, plus froides de 27° C ! Pour vérifier le rôle secondaire des courants, nous nous sommes tournés vers les simulations numériques. Le modèle de climat que nous avons utilisé combine un modèle de circulation atmosphérique générale et une représentation simplifiée de l'océan sous la forme d'une couche d'eau immobile. Un artifice qui permet d'éliminer le transport de chaleur par les courants océaniques, tout en conservant la propriété d'absorber, de stocker et de libérer de la chaleur. Les variations de températures hivernales ainsi modélisées de part et d'autre de l'Atlantique, entre les latitudes de l'Espagne et de la Norvège, sont presque identiques à celles observées. Et confirment ainsi la faible influence du Gulf Stream sur le contraste thermique entre les hivers européens et américains. En revanche, les courants océaniques jouent un rôle plus important plus au nord, en empêchant la formation de glaces de mer le long des côtes norvégiennes. Ces simulations numériques montrent également que le transport océanique de la chaleur augmente les températures hivernales de l'Est de l'Amérique du Nord et de l'Europe occidentale de 2 à 3° C (laissant le contraste entre les deux inchangé). Ce réchauffement ne représente que 10 % de celui généré par les mouvements atmosphériques ou de celui lié à la libération saisonnière du stock de chaleur des océans ! De façon surprenante, l'Est américain reçoit finalement autant de chaleur des courants océaniques que l'Ouest de l'Europe. L'explication vient des tempêtes hivernales qui pompent la chaleur du Gulf Stream à l'est de l'Atlantique nord et la ramènent vers les côtes américaines. En conclusion, la chaîne des Rocheuses explique pour moitié les 15° C de différence entre les deux rives de l'Atlantique nord. L'autre moitié étant due à la libération saisonnière de chaleur par la couche de mélange - on retrouve ici la distinction entre climat maritime et continental. Le Gulf Stream n'y est pratiquement pour rien.

La Recherche :

http://www.larecherche.fr/data/361/03610401.html

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