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Edito : Galénique et squalénisation : deux concepts novateurs au coeur de la nanomédecine

Patrick Couvreur est un chercheur atypique au parcours exemplaire. Belge d'origine, il opte pour la France et le CNRS en 1984, grâce à l'accueil enthousiaste que reçut son concept - alors très original - de vectorisation des médicaments sous forme de nanoparticules. Aujourd'hui, il dirige, à l'Université Paris-Sud, une vaste unité spécialisée, unique au monde par son interdisciplinarité (l'UMR CNRS 8612).

Patrick Couvreur est le 5ème lauréat français, en 50 ans, de la médaille « Host Madsen Medal » qui est la plus haute distinction remise par la Fédération Internationale Pharmaceutique (FIP). Cette médaille, attribuée tous les 2 ans, couronne un éminent scientifique qui s'est particulièrement distingué par ses travaux de recherche dans les Sciences Pharmaceutiques. Patrick Couvreur recevra cette médaille des mains du Président de la FIP, à l'ouverture du prochain congrès annuel de la FIP, qui aura lieu en septembre 2007, en Chine ; il présentera alors ses travaux lors de la conférence d'ouverture de ce congrès.

Patrick Couvreur a également reçu, en juin 2006, l'un des prix de la 8ème édition du concours national d'aide à la création d'entreprises de technologies innovantes pour son projet de mise au point de nanomédicaments par squalénisation.

Les recherches de Patrick Couvreur concernent principalement la vectorisation des médicaments (Voir article du CNRS, article et article du NCI ).

Avec Peter Speiser (Ecole Polytechnique de Zürich), Patrick Couvreur a été le premier à montrer qu'il était possible d'utiliser des capsules submicroscopiques d'une centaine de nanomètres pour promouvoir la pénétration intracellulaire de médicaments (Febs Letters, 1977).

L'équipe de Couvreur travaille sur la galénique, le mode d'administration des médicaments. Ces chercheurs développent un concept révolutionnaire qui est en train de bouleverser la médecine : l'idée, simple en apparence mais d'une redoutable complexité dans la réalité, consiste à encapsuler des molécules thérapeutiques dans des nanovecteurs (70 fois plus petits qu'un globule rouge) afin de multiplier leur pouvoir de diffusion et d'accroître de plusieurs ordres de grandeur leur efficacité.

« Un comprimé d'un gramme de poudre présente une surface de quelques millimètres carrés ; le même gramme de substance éclaté en nanoparticules présente une surface d'environ 100 m2, explique Patrick Couvreur. Les nanomédicaments présentent donc une surface d'interaction avec les milieux vivants beaucoup plus importante que les formes pharmaceutiques traditionnelles.»

Cette avancée conceptuelle a ouvert une vision tout à fait nouvelle de l'administration des médicaments mais, jusqu'à présent, elle n'était malheureusement pas directement applicable à l'homme car le polymère utilisé pour la préparation de ces nanocapsules n'était pas biodégradable et son administration risquait de provoquer de graves effets toxiques.

Mais cet obstacle a pu être surmonté grâce à la conception de nanoparticules biodégradables préparées à partir de polycyanoacrylates d'alkyle, un polymère métabolisable (J. Pharm. Pharmacol, 1979). L'équipe de P. Couvreur a alors pu associer à ce nouveau vecteur biodégradable plusieurs agents anticancéreux, comme la doxorubicine. L'efficacité de ces nanovecteurs a alors été démontrée sur plusieurs cancers expérimentaux (métastases hépatiques et leucémies).

En outre, ces nanoparticules de polyalkylcyanoacrylates chargées en doxorubicine se sont avérées capables de supprimer la résistance multidrogue qui fait que de nombreux cancers, d'abord sensibles aux médicaments, finissent par développer des résistances aux chimiothérapies. (British Journal of Cancer, 1997). Ces travaux ont abouti en 1997 à la création d'une jeune société, Bioalliance, qui emploie 60 personnes et est entrée en bourse en décembre 2005. En 2007, un essai clinique multicentrique de phase 3 a commencé.

L'une des découvertes de cette équipe concerne les «analogues nucléosidiques». Ces médicaments qui interfèrent avec la synthèse de l'ADN sont prescrits en chimiothérapies anticancéreuses (gemcitabine, cytarabine) ou anti-VIH (AZT, ddI, ddC).

Patrick Couvreur et son équipe ont en effet eu l'idée d'associer à la gemcitabine une molécule plus compacte, le squalène, cholestérol du requin. Cette squalénisation augmente considérablement l'effet thérapeutique de la gemcitabine. Cette approche innovante et prometteuse dans la conception et le développement de nouveaux médicaments anticancéreux et antiviraux fait l'objet d'un brevet conjoint entre le CNRS, l'Université Paris Sud et l'Université de Turin.

Les molécules qui résultent de la squalénisation s'auto-assemblent spontanément sous forme de nanoparticules (de 60 nm à 300 nm) en milieu aqueux et ceci quelles que soient la nature du nucléoside et la localisation du couplage (sur la base ou sur le sucre). Ces nanosystèmes peuvent donc être administrés par voie intraveineuse et par voie orale. Les nanoparticules sont 5 à 7 fois plus actives que la gemcitabine seule sur les tumeurs et les leucémies résistantes aux traitements classiques, comme l'ont démontré des études menées in vivo.

C'est ainsi que dans des modèles de souris portant la leucémie P388, le taux de survie du groupe de souris traitées par le dérivé 4-(N)-trisnorsqualenoylgemcitabine est, en effet, significativement allongé par rapport à celui du groupe traité par la gemcitabine seule. De plus, seul le groupe des souris traitées par le 4-(N)-trisnorsqualenoylgemcitabine comprend des survivants à long terme (70 % à 30 jours et 50 % à 60 jours).

«Non traitées, ces souris meurent en quinze jours. Avec la gemcitabine-squalène, plus de 50 % sont toujours vivantes après trois cents jours, ce qui signifie qu'elles sont guéries», s'enthousiasme Patrick Couvreur. Un brevet a été déposé et l'équipe va lancer une start-up, Medsqual, pour développer des molécules squalénisées. Le concept semble aussi fonctionner pour des médicaments contre le SIDA et pourrait être appliqué à d'autres molécules.

D'autres applications thérapeutiques concernent le traitement des infections intracellulaires (nanoparticules chargées avec de l'ampicilline) ou la possibilité d'utiliser ces nanotechnologies pour l'administration orale d'insuline et le traitement du diabète.

Une autre avancée importante a été la conception de nanocapsules à contenu aqueux pour l'administration et le transport des acides nucléiques (gènes, oligonucléotides antisens et si RNA). Cette technologie est la seule qui permet actuellement de préparer des vecteurs non viraux sans avoir recours à des polymères ou des lipides dont l'administration à l'homme provoque des effets toxiques.

En collaboration avec l'équipe de C. Malvy (IGR, Villejuif), il a été montré que l'encapsulation d'un oligonucléotide antisens ou d'un petit ARN interférant (siRNA, dont nous évoqué récemment le potentiel thérapeutique dans notre lettre 419) orienté contre un oncogène de jonction permettait de traiter efficacement un modèle expérimental du sarcome d'Ewing. «Les tumeurs ont été inhibées à 80 %, ce qui signifie qu'on a réussi à éteindre le gène», souligne Patrick Couvreur.

Il est remarquable de noter que lorsqu'il n'est pas encapsulé, le même oligonucléotide/siRNA n'a pas d'activité sur cette tumeur pédiatrique qui résulte de la fusion entre deux gènes localisés sur des chromosomes différents. Cette observation ouvre des perspectives nouvelles dans le domaine de la manipulation génétique pour le traitement du cancer.

L'équipe dirigée par P. Couvreur a également découvert que lorsqu'elles sont recouvertes par des polymères hydrophiles et flexibles (PEG), les nanoparticules de polycyanoacrylate d'alkyle peuvent diffuser dans le cerveau (CMLS, 2005) et cibler les cellules inflammatoires dans un modèle expérimental d'encéphalomyélite allergique (European Journal of Neuroscience, 2002). Cette observation ouvre des perspectives séduisantes pour l'administration de médicaments qui ne diffusent pas au niveau cérébral.

Il est frappant de constater que ces progrès remarquables de la nanomédecine résultent d'une approche résolument transdisciplinaire et multiconceptuelle qui combine la galénique, le génomique, la biologie, la chimie et la physique. On voit donc clairement que c'est en décloisonnant des disciplines et des champs de recherche qui se sont longtemps ignorés, et en constituant des synergies novatrices, que l'on parvient à construire de nouvelles approches théoriques particulièrement fécondes qui, seules, nous permettront demain de relever les gigantesques défis auxquels nous allons être confrontés en matière de santé publique à cause notamment du vieillissement accéléré de notre population (cancers, maladies neurodégénératives) mais aussi de l'apparition de nouvelles maladies redoutables, qu'il s'agisse du SIDA ou, plus récemment de nouveaux virus mutés, provenant des animaux, comme la grippe aviaire.

Il est dommage que cette dimension médicale des nanotechnologies, porteuse d'immenses et décisives avancées thérapeutiques dans une multitude de pathologies, ne soit pas davantage mise en avant et ne fasse pas l'objet d'une plus large diffusion auprès du grand public, ce qui serait certainement le meilleur moyen de rassurer nos concitoyens quant à l'utilité incontestable des nanotechnologies appliquées au domaine médical et de démontrer la faiblesse des arguments de ceux qui contestent, sur leur principe même, et de manière souvent irrationnelle, l'utilité des nanotechnologies.

Nous voyons bien aujourd'hui, comme nous en avons eu la conviction dès 1998, année de naissance de notre Lettre, que les nanotechnologies constituent bien une extraordinaire source de progrès scientifiques, techniques et humains et contribueront de manière décisive demain, non seulement à soigner des maladies aujourd'hui encore incurables, mais plus largement à améliorer dans tous les domaines (santé, environnement, énergie, transports, logement) notre qualité de vie.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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