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Edito : La France peut diviser par quatre ses émissions de gaz à effet de serre d'ici 2050

Est-il possible, d'ici à 2050, de diviser par quatre les émissions françaises de gaz à effet de serre ? "La réponse est oui. Est-ce que c'est facile ? La réponse est clairement non." Ces conclusions ont été rendues publiques, lundi 9 octobre, lors d'un colloque au ministère des finances. (Voir le rapport du Groupe de travail « Division par quatre des émissions de gaz à effet de serre de la France à l'horizon 2050 ».

Ce rapport remarquable supervisé par l'économiste Christian de Boissieu, président du Conseil d'analyse économique, découle de l'engagement, annoncé en 2003 par le premier ministre Jean-Pierre Raffarin, et confirmé par Jacques Chirac en 2005, de réduire des trois quarts les émissions polluantes en moins d'un demi-siècle.

Nelly Olin, ministre de l'Ecologie et du Développement durable, et François Loos, ministre délégué à l'Industrie ont salué la contribution majeure du groupe de travail « Facteur 4 », à l'occasion du colloque international « Défi Climat pour la France : le Facteur 4 ».

L'objectif « Facteur 4 » a été inscrit dans la loi du 13 juillet 2005 sur la politique énergétique française. Nelly Olin et François Loos ont souligné que cette réduction de 75 % des émissions de gaz à effet de serre est d'autant plus ambitieux que rapportée à son PIB, la France émet déjà deux fois moins de CO2 que la moyenne mondiale. Pourquoi ce chiffre ? Parce que, si l'on veut limiter le réchauffement de la planète à deux degrés centigrades, il faudra limiter la concentration atmosphérique de dioxyde de carbone (CO2) à 450 ppm (parties par million). Pour y parvenir, l'humanité doit plafonner ses émissions annuelles de carbone à 4 milliards de tonnes, soit 0,6 t pour chacun des 6 milliards d'humains de la planète.

Comme les pays les moins riches vont, en se développant, atteindre progressivement ce niveau, les pays industrialisés doivent réduire substantiellement leurs rejets. La France devait ainsi passer de 140 millions de tonnes à 38 millions.

Peut-on attendre 2040 pour s'engager en espérant que des technologies seront alors disponibles pour opérer cette réduction ? Certainement pas. L'accroissement de l'effet de serre est un phénomène cumulatif. "Plus nous agirons tard, écrivent les rapporteurs, plus il sera difficile de revenir à un niveau d'émissions absorbable par la biosphère, plus les concentrations atmosphériques seront élevées et plus les effets perturbateurs seront importants".

S'il est indispensable de poursuivre et d'accentuer les recherches dans de nombreux secteurs technologiques pour réduire l'effet de serre, les experts préviennent que l'on ne peut se reposer sur elles seules. De même, il apparaît que le nucléaire, le solaire et l'éolien ne sont pas la solution à tous nos maux.

"L'énergie nucléaire en Europe représente 6 % de l'énergie finale, 2 % dans le monde, 17 % en France. Au vu de ces pourcentages, il n'apparaît pas justifié, pour bâtir une stratégie climat, de centrer le débat sur l'énergie nucléaire."

Quant aux "énergies renouvelables (soleil, éoliennes) si souvent mises en avant, (elles) ne constitueront pas la panacée et la solution à tous les problèmes". En revanche, la biomasse, et notamment la filière bois, semble présenter un potentiel très important.

Enfin, on ne peut se reposer sur les seules forces du marché. Il n'est pas certain que le prix du pétrole montera assez rapidement pour orienter différemment le système énergétique, et des substituts comme le charbon ou les schistes bitumineux, très polluants, pourraient se voir privilégiés par les industriels.

En France, la consommation d'énergie finale est quasiment stable depuis cinq ans et 13 % de la production d'énergie primaire sont déjà d'origine renouvelable : 1/3 est de l'électricité fournie à 90 % par l'hydraulique, 2/3 sont thermiques (bois-énergie, biocarburants, pompe à chaleur, déchets urbains). Mais la France devra encore faire un effort considérable pour atteindre les objectifs fixés par l'Europe : produire en 2010 à partir d'énergies renouvelables 10% de ses besoins énergétiques contre 6 % en 2005 et 21 % de sa consommation d'électricité contre 11 % en 2005.

Pour le rapport de Boissieu, l'accent doit être mis sur "la maîtrise de la demande d'énergie". C'est là que les actions à mener sont "à la fois très nombreuses, souvent peu onéreuses, et disponibles relativement rapidement". Aussi faut-il agir prioritairement sur le transport et le bâtiment qui sont responsables de plus de la moitié des émissions françaises. Des conclusions qui rejoignent celles du rapport de l'IFEN (Voir article dans notre rubrique « Environnement ») qui souligne que le secteur tertiaire (les bureaux), le résidentiel est désormais le troisième émetteur de gaz à effets de serre avec 19 % du total. Les émissions des habitats « ne cessent d'augmenter », alors qu'il s'agit du secteur pour lequel « elles pourraient diminuer le plus ».

L'adaptation de l'habitat à ces nouvelles conditions représente d'ailleurs un "marché de plusieurs centaines de milliards d'euros d'ici à 2050". Quant au transport, il faut agir sur la motorisation des voitures, en instaurant une vignette écologique et en lançant un marché du carbone entre constructeurs. L'enjeu est énorme. Mais, insistent les rapporteurs, "la lutte contre les changements climatiques implique une transformation de l'économie et de la société mondiales".

Il est intéressant de souligner que les recommandations de ce rapport vont exactement dans le sens des décisions très volontaristes que vient de prendre notre voisin allemand. Le gouvernement allemand s'est ainsi fixé pour objectif de réduire sa consommation en énergie fossile de 20 % d'ici 2020. Les efforts porteront particulièrement dans les secteurs du bâtiment (diminution de la consommation de 20 % d'ici 2020), de l'industrie et des appareils électriques (diminution de la consommation électrique de 10 %) et des transports (diminution de la consommation de 5 %). Cet effort particulièrement ambitieux devrait permettre à l'Allemagne de doubler sa productivité énergétique d'ici 2020 par rapport à 1990 et ainsi de diminuer sa dépendance vis-à-vis des énergies importées.

Mais, au-delà de la rigueur implacable des études et rapports scientifiques qui convergent pour mettre en lumière le rôle central des activités humaines dans l'accélération alarmante du réchauffement climatique planétaire, le vrai défi consiste à convaincre les citoyens qu'une véritable mutation de société, accompagnée d'un changement radical de nos modes de vie, est devenue une nécessité vitale pour l'espèce humaine toute entière.

A cet égard, il faut souligner, et saluer, la remarquable initiative d'Al Gore avec son documentaire "Une vérité qui dérange". Depuis cinq ans, Al Gore sillonne donc les États-Unis, multipliant conférences et exposés pour persuader ses concitoyens de l'urgente nécessité de résoudre cette crise environnementale. S'appuyant sur les dernières études scientifiques, ce documentaire absolument passionnant, porté par la force de conviction d'Al Gore, a provoqué une véritable prise de conscience de l'opinion publique américaine qui fait à présent pression sur ses responsables politiques pour qu'ils prennent enfin ce problème fondamental à bras le corps.

Le 28 septembre dernier, Arnold Schwarzenegger, gouverneur de Californie, a signé une loi au but ambitieux : une réduction de 25 % des émissions de CO2 de son Etat d'ici 2020. Vingt-sept autres Etats se sont aussi attaqués à la question du réchauffement climatique.

Comme le souligne Jean Jouzel, climatologue réputé et membre du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, "Tout ce que dit Al Gore dans son documentaire est malheureusement exact" et le climatologue de poursuivre "Il n'existe pas de solution pour garder notre climat mais avec les technologies existantes, il y a quand même des solutions pour limiter l'impact du réchauffement climatique. L'objectif européen est de ne pas dépasser une augmentation de 2 degrés Celsius des températures. Alors, oui, si on s'y met, c'est possible. On estime que 10 % de la population française fait des efforts de façon volontariste. Mais le politique a aussi un rôle important à jouer. En France, ce qui est affiché, c'est une diminution d'un facteur 4 des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2050 et cet objectif est enfin à la hauteur du défi à relever."

Il est vrai que les dernières études et observations sont plus qu'alarmantes : la fonte des glaces sur le Groenland est beaucoup plus rapide que prévue. Sécheresses, canicules, ouragans, inondations... se succèdent à une cadence de plus en plus rapprochée. En 2006, trois ans à peine après 2003, les records absolus de température pleuvent à nouveau : 35°C en Belgique, 36°C en Grande-Bretagne, 39°C en Allemagne, 40°C en France, 37°C en Autriche, la mer à 30°C à Marseille... Les Etats-Unis, toujours sous le choc de l'ouragan Katrina, enregistrent des pointes à 45°C dans le Nevada et 49°C en Californie. L'Australie connaît son été austral le plus chaud, avec des pics à 45°C...

Ces vagues de chaleur sont à la fois de plus en plus fréquentes et de plus en plus longues. Mais si les populations s'étonnent de ces catastrophes à répétition, les responsables politiques, eux, sont alertés depuis plusieurs années grâce aux rapports du GIEC, élaborés par plus de 5000 scientifiques du monde entier. Le GIEC prévoit une augmentation moyenne de la température comprise entre 1,4 et 5,8°C d'ici à la fin du siècle, un chiffre qui dépend des quantités de gaz à effet de serre émises dans l'atmosphère.

L'augmentation serait plus prononcée aux pôles qu'à l'équateur : «L'évolution du climat dans la région polaire devrait être une des plus accentuées du globe», indique le rapport 2001. Un réchauffement moyen de 5°C, par exemple, se traduit par une augmentation de 10°C au pôle et de 4°C à l'équateur. Tout cela est en train de se vérifier. Quant à la montée du niveau des mers, elle pourrait être d'ici la fin de ce siècle beaucoup plus rapide que prévue, atteignant non pas de 50 à 90 cm mais plusieurs mètres, ce qui aurait des conséquences catastrophiques pour des centaines de millions de personnes vivant dans des régions côtières.

Face à cette situation et à ce défi planétaire auquel est confrontée l'humanité, on peut regretter que cette question du réchauffement climatique et du changement de nos modes de vie pour réduire notre consommation d'énergie n'occupe pas une place plus importante dans le débat politique qui s'est engagé à l'occasion de la future élection présidentielle. Il est en effet temps de comprendre, comme le dit avec force et justesse Al Gore", que "Nous ne devons plus considérer le réchauffement climatique comme un "problème politique", mais comme le plus grand défi moral de notre civilisation".

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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