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Edito : Les fossés se creusent dangereusement

Décidément, les peuples de nos nations riches trop sclérosés dans leurs égoïsmes n'ont plus la capacité de recevoir les signaux portant des informations qui pourraient changer leur destin. Et pourtant, les chiffres publiés il y a quelques jours par l'OMS (Organisation Mondiale de la Santé) devraient nous faire froid dans le dos. Ainsi, alors qu'un japonais, un australien ou un français ont une espérance de vie qui dépasse les 73 ans, avons-nous bien conscience, alors que nous allons entrer dans le 3e millénaire, qu'un habitant du Niger, du Malawi ou de la Sierra Leone n'a, lui, qu'une «espérance» de vie inférieure à 30 ans. Ceci veut dire, alors que nos pays industrialisés ont développé de façon stupéfiante leurs connaissances, que nous avons des robots qui se substituent à nos muscles et que des machines de plus en plus expertes sont bientôt prêtes à nous remplacer dans des actes de plus en plus complexes, qu'il y a encore des centaines de millions d'êtres humains sur cette terre qui, de nos jours, ont une espérance de vie inférieure à celle que pouvaient avoir nos aïeux, il y a douze siècles, à l'époque de Charlemagne. En l'instant, nous pourrions penser que cette photo prise par l'OMS est trop pessimiste et qu'avec les nouvelles technologies, les nouveaux médicaments, les nouveaux savoirs, très vite cet écart va se réduire entre les pays nantis et les pays laissés pour compte. Malheureusement, il n'en est rien. Tout au contraire. Les heureux habitants des pays développés voient leur espérance de vie augmenter d'un trimestre chaque année (un an de vie gagné tous les 4 ans) alors que les habitants maudits des pays de l'Afrique sub-saharienne ont vu leur espérance de vie baisser de 5 ans dans ces dix dernières années à cause du Sida. Ainsi, l'infection portée par le VIH a tué quelque 2,2 millions d'africains pour la seule année 1999. A l'époque de Marco Polo, il fallait un voyage de quelque 20ans pour qu'un européen puisse apprendre ce qui se passait en Chine, à la Cour du Grand Khan et il nous a même fallu attendre 1492 pour que nous découvrions que l'Amérique existait. L'horizon de chacun s'arrêtait à une distance qui dépassait alors rarement une journée de marche à pied et la communauté de vie où naissaient nos aïeux, où ils travaillaient, où ils aimaient, où ils mourraient, se limitait souvent à leur «village». Or, avec Internet, les satellites, les téléphones portables, comme l'avait si bien anticipé MacLuhan, notre Terre est devenue un unique village... planétaire. Ne pas prendre conscience de ce fossé abyssal qui, sous nos yeux, se creuse entre les divers «quartiers» de notre village alors qu'il ne faut maintenant que quelques millisecondes pour qu'une information fasse le tour de notre planète, met en évidence la terrible cécité dont souffrent nos démocraties. Comme les monarchies absolues du 18e siècle, elles ne prennent pas conscience que ces fractures entre les nantis et les exclus sont porteuses de révolutions. Il n'a fallu que quelques heures pour que les mal-aimés des faubourgs s'emparent de la Bastille et pourtant, en ce soir du 14 juillet, à quelques kilomètres de là, le Roi de France écrivait «Rien à signaler» dans son journal... Alors qu'en cette semaine de l'an 2000, les deux hommes «militairement» les plus puissants de notre Planète, Mrs Clinton et Poutine, se sont rencontrés et ont longuement parlé d'ogives et de missiles, les responsables de nos Démocraties ont-ils bien pris conscience que ce n'est pas avec des boucliers antimissiles que nous préserverons durablement la Paix sur cette Terre mais que pour regarder l'avenir avec sérénité il faut que les «privilégiés» de cette planète réalisent, sans prendre de retard, un effort sans précédent pour qu'ils permettent à tous les pauvres d'acquérir des savoirs, pour qu'ils «apprennent à pêcher». En effet, ce n'est qu'à cette condition que ces exclus découvriront enfin comment ils peuvent mieux manger, mieux se préserver, mieux se soigner et ainsi mieux armés face à la vie, mieux savoir vivre en communauté avec les autres habitants du «village». Pendant des siècles dans nos villages, les nobles résidant dans les châteaux ont pensé faire le «bien» en donnant de temps au temps des aumônes aux plus pauvres : c'était leur façon à eux de faire de bonnes oeuvres. N'avons-nous pas l'impression, alors que les pauvres de notre village planétaire sont de plus en plus pauvres, que nos Démocraties, sans tirer la leçon du sort qui fut réservé aux membres de la noblesse, font la même erreur en annonçant régulièrement à grands renforts de trompettes et de médias qu'ils exonèrent du remboursement de leurs dettes les pays les plus pauvres. N'oublions pas que la République est devenue forte dans notre Pays (depuis un siècle plus personne n'a parlé d'un retour à la monarchie) quand un grand républicain, Jules Ferry, proposa et mis en place les moyens pour que chaque français sache lire, écrire et compter. Pourquoi diable toutes les Démocraties du Monde ne se saisissent-elles pas de cette idée de génie qui a si bien réussi à notre République pour enfin changer durablement le Destin de notre village planétaire en permettant aux exclus d'acquérir des savoirs qui ajouteraient du temps de bonheur à leur vie ?

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

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