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Edito : Les erreurs médicales, troisième cause de décès dans les pays développés !

Cette semaine, je vais évoquer la grave question des erreurs médicales, dont les conséquences humaines, sociales et économiques sont dramatiquement sous estimées dans notre pays. Ce problème, qui fait rarement la une des médias, constitue cependant un véritable défi de société. En 1999, dans un rapport intitulé « To err is human, building a safer health system » (l’erreur est humaine, construire un système de santé plus sûr), l’Institut de Médecine américaine révélait au public les chiffres de la mortalité résultant d’une erreur médicale. S'appuyant sur les données médicales de l’époque, cette étude estimait que 44 000 à 90 000 personnes mourraient chaque année aux États-Unis en raison d’une erreur médicale, que ce soit à l’hôpital ou dans le cadre de la médecine de ville.

A l’époque, la publication de cette évaluation morbide créa un véritable choc au sein du monde médical américain et auprès du grand public. Mais il semble pourtant que ce triste bilan était encore largement sous-estimé, si l’on en croit une étude plus récente publiée en avril 2016. Dans ce vaste travail, des chercheurs américains ont utilisé et analysé des données et études médicales réalisées entre 1999 et 2013. Martin Makary et Michael Daniel, de la Johns Hopkins University School of Medecine de Baltimore, sont ainsi parvenus à une estimation de 251.454 décès par an liés à des erreurs médicales. Encore faut-il préciser qu'ils jugent ce chiffe sous-estimé car celui-ci ne tient pas compte des décès survenus hors cadre hospitalier (Voir Eurekalert).

Selon cette étude très sérieuse, il s'agit de la troisième cause de décès aux Etats-Unis. M. Makary précise que le problème n'est pas limité aux Etats-Unis et existe partout dans le monde. "Les gens meurent d'erreurs de diagnostic, de surdoses de médicaments, de soins fragmentés, de problèmes de communications ou de complications évitables", ajoute-t-il. Face à ce constat, les auteurs de l'étude préconisent la mise en œuvre de toute une série de mesures visant à réduire à la fois la fréquence et les conséquences des erreurs médicales. Ils proposent notamment de modifier et de compléter le contenu du certificat de décès, afin d’y inclure les informations précisant si des complications liées aux soins ont pu entraîner le décès du patient. Autre proposition : le déclenchement systématique d’enquêtes médicales immédiates, dans tous les cas de décès pour lesquels il existe une suspicion d’erreur médicale. Comme le souligne le Professeur Makary, « Pour s’attaquer sérieusement au défi que représentent pour la société les erreurs médicales, il faut commencer par reconnaître la nature et l’ampleur de ce problème à l’aide d’outils scientifiques appropriés ».

Or cette étude balaye plusieurs idées reçues, à commencer par celle selon laquelle les erreurs médicales sont principalement dues à des insuffisances de compétences et de connaissances, et sont plutôt le fait d’équipes et de médecins insuffisamment formés ou préparés. Ce travail constate justement l’inverse : les erreurs médicales surviennent essentiellement chez des médecins et infirmiers expérimentés et compétents, et ne sont que peu liées à des erreurs conscientes mais plutôt provoquées par des actes associés aux automatismes de chaque instant, bien plus nombreux et fréquents que les actions conscientes, nécessitant une véritable réflexion.

Cette étude rappelle également qu’une erreur médicale peut être liée à un événement unique ou résulter d’un enchaînement « en cascade » d’actions malheureuses qui, prises séparément, n’auraient pas entraîné d’erreur en soi. Parmi ces événements pouvant conduire à l’erreur médicale, on trouve, entre autre, les diagnostics erronés, les problèmes liés aux prescriptions (mauvaise écriture, ou mauvaise lecture de l’ordonnance), le manque de communication au sein d’une équipe, ou encore une insuffisance de personnel médical et infirmier dans le service considéré. 

S’agissant par exemple des erreurs liées au diagnostic, une étude américaine menée par un expert reconnu, le Docteur Mark Graber du VA Hospital de New York Long Island, a été publiée en 2008 et analyse les différents éléments pouvant conduire à une erreur de diagnostic médical. Selon le Docteur Graber, l’excès de confiance dont font preuve dans leur démarche diagnostique certains praticiens pourrait expliquer nombre d’erreurs médicales. C’est ainsi que le Docteur Graber explique que beaucoup de médecins, dès lors qu’ils ont posé un diagnostic qui semble heuristique face à une pathologie, ne se pose plus la question essentielle : quel autre diagnostic pourrait expliquer les mêmes symptômes ?

Aux États-Unis, pour tenter de réduire la problématique des erreurs médicales, un institut a été créé, le AHRQ pour Agency for Healthcare Research and Quality (Agence pour la qualité et la recherche médicale). Cet organisme recense les cas cliniques typiques d’erreurs médicales et formule, à partir de l’analyse de ces situations, des conseils et directives pour les éviter.

Et ceux qui pensent que la situation est meilleure en France, du fait de la différence de nature de notre système de santé, sont malheureusement dans l’erreur, comme le montrent plusieurs études convergentes. D’après l’étude ENEIS (Etude Nationale sur les Evénements Indésirables liés aux Soins), sur un total de plus de 400 millions d’actes médicaux réalisés en France, il survient entre 350 000 à 450 000 événements indésirables graves chez les personnes hospitalisées, dont plus d’un tiers serait évitable. De plus, les problèmes causés par les événements indésirables graves liés à la pratique médicale de ville (non hospitalière) entraîneraient une hospitalisation supplémentaire de 175 000 à 200 000 patients par an.

Ce travail, malgré ses lacunes, a le mérite d’éclairer un très grave problème de santé publique, dont le coût humain et économique est considérable. Avec environ 13 millions d’hospitalisations en France, le nombre de décès pourrait ainsi, selon cette étude, avoisiner les 50 000, ce qui en ferait la troisième cause de mortalité du pays après les cancers et les maladies cardiovasculaires, mais devant les AVC et les maladies respiratoires…

Mais selon le LIEN, une association de défense des patients et des usagers de la santé qui fait depuis des années un remarquable travail de recherche et de recoupement des données sur cette question, ces chiffres seraient encore sous-estimés. Cette association souligne que, selon une étude de l’OMS réalisée dans sept pays développés, dont les Etats-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, un patient hospitalisé sur 300 décède d'un accident médical.

Or, le LIEN souligne qu’en France, 13 millions de personnes ont été hospitalisées en 2016, ce qui conduit cette association à estimer le nombre de décès par erreurs médicales à 43 000 morts par an. A ce chiffre, déjà considérable, il faut encore rajouter un autre chiffre, souvent oublié, celui des 18 000 décès annuels issu de la médecine de ville, et victimes d'une erreur médicamenteuse (traitements inappropriés, non observés ou mal suivis par les médecins), selon un rapport du Sénat. Il y aurait donc, au total, plus de 60 000 morts provoquées par des erreurs médicales chaque année.

Soulignons qu’à ce drame humain, s’ajoute un coût économique pharamineux pour la collectivité, coût qui peut être estimé à environ 150 milliards d’euros par an, un chiffre supérieur à celui du coût estimé des dommages de l’alcool ou du tabac (120 milliards par an pour chacun de ces deux produits selon la Direction générale de la santé) et qui représente les trois-quarts de nos dépenses totales de santé (198,5 milliards en 2016) ou encore plus de 6 % de notre PIB…

En France, l’un des meilleurs spécialistes de cette question des erreurs médicales, le Professeur Philippe Juvin, professeur d'anesthésie-réanimation, chef des urgences de l'hôpital Beaujon, souligne que la principale cause d’incidents médicaux serait liée à des erreurs dans l’organisation des services concernés, qu’il s’agisse de problèmes d'étiquetage sur le médicament, de l’omission de bracelet sur le patient, ou encore de la confusion dans les noms ou les dates de naissance. Rejoignant l’analyse du Professeur Graber, le Professeur Juvin souligne également qu’une erreur médicale est presque toujours l’aboutissement d’une cascade de plusieurs faits générateurs dont les effets vont se cumuler. D’où la nécessité de concevoir et de mettre en place des procédures strictes de contrôle qui vont permettre, soit de prévenir, soit de réparer immédiatement les conséquences d’un incident, avant que celui-ci, additionné à d’autres carences ou manquements, n’entraîne l’irrémédiable pour le patient.

Pourtant, depuis 2002, la loi en France fait obligation au médecin de déclarer toute complication à la famille et transmettre à celle-ci, si elle en fait la demande, la totalité du dossier médical du patient décédé. Mais, dans les faits, la réalité est plus complexe et les déclarations, pour des raisons tenant à la culture médicale et à l’organisation des soins, sont loin d’être systématiques.

Alors, comment parvenir à réduire sensiblement les erreurs médicales et leur cortège de conséquences dramatiques ? En actionnant simultanément trois leviers, selon les spécialistes : d’abord, rendre les erreurs mieux traçables, y compris via les certificats de décès, de sorte à pouvoir prévenir au plus tôt leurs effets, ensuite, prévoir les prises en charges médicales d’urgence, permettant de répondre rapidement aux erreurs, et enfin travailler, notamment au sein des hôpitaux, sur l’analyse des retours d’expériences, de manière à ne pas reproduire les mêmes erreurs et pouvoir mettre en place les garde-fous nécessaires.

A l’hôpital, 40 % des incidents sont d’origine humaine et 7 fois sur 10 l’erreur est due à la mauvaise application de protocoles connus. Il faut donc non seulement reconnaitre et identifier l’existence de ces nombreux dysfonctionnements, mais bien sûr mettre en place les mesures correctrices appropriées pour les prévenir, ou en atténuer la gravité. Parmi elles, l’apprentissage par la simulation qui vise à obliger tous les professionnels de santé à réviser les procédures complexes, ce qui peut limiter sensiblement les risques d’erreurs.

Telle est la mission de la trentaine de centres de simulation médicale qui existent en France. Mais ces centres sont encore loin de couvrir toutes les disciplines médicales. Reste qu’une nouvelle étape novatrice a été franchie fin 2016, avec l’ouverture du premier Medical Training Center (MTC) multidisciplinaire à Rouen. Ce centre de simulation d’acte médical est fondé sur le principe qu’aucun acte médical ne doit être réalisé la première fois sur le patient. «Nous avons voulu couvrir l'ensemble des disciplines et apporter une formation à la fois initiale et permanente aux médecins et personnels paramédicaux » précise le ProfesseurAlain Cribier, mondialement connu pour avoir créé les valves aortiques qui portent son nom et qu'il met en place par cathétérisation, c'est-à-dire implantées simplement à travers la peau.

Ce centre unique en son genre propose une cinquantaine de formations médicales différentes. Grâce à l’exploitation des images vidéo de haute qualité récupérées dans les blocs opératoires, les professionnels et équipes en formation peuvent simuler les mêmes gestes sur des mannequins robotisés, de plus en plus sophistiqués, capables de restituer avec un grand réalisme les réponses d’un véritable patient. Après chaque exercice pratique, ces formations, qui intègrent la dimension essentielle du travail en équipe, font l’objet d’un débriefing très complet. Cette démarche particulièrement rigoureuse s’inspire directement des formations dispensées dans l’aéronautique ou le nucléaire, domaines dans lesquels l’exigence de prévention et de sécurité a été poussée le plus loin, notamment avec le principe du contrôle par check list et la priorisation des actes à entreprendre.

Mais la lutte et la prévention des erreurs médicales passent également par le recours massif aux nouveaux outils numériques, comme les plates-formes communautaires d’assistance au diagnostic. Aux États-Unis, le « Human Diagnosis Project » est une plate-forme d’IA agrégeant et modélisant à l’aide d'une IA "machine learning" les diagnostics d’une communauté de spécialistes (Voir Scientific American). Concrètement, le médecin spécialiste se connecte à l’application ou à la plate-forme en ligne, répond à une série de questions sur le cas de son patient et, si nécessaire, envoie des radiographies à la communauté d’experts. En moins de 24 heures, Human Dx agrège l’ensemble des réponses et produit un rapport de données grâce à l’IA.

La communauté médicale mondiale est également invitée à soumettre des contributions et connaissances cliniques à cette plate-forme qui utilise l'IA pour contextualiser automatiquement les décisions et diagnostics cliniques individuels. L’idée est que ce recours généralisé à l’intelligence collective pourrait permettre d’éviter ou de réduire considérablement le risque d’erreurs de diagnostics, qui constitue lui-même un puissant facteur d’erreurs médicales.

On le voit, cette question majeure des erreurs médicales est complexe et doit être envisagée dans toutes ses dimensions, scientifiques mais également sociales, culturelles et institutionnelles. Nous disposons cependant à présent, avec l’arrivée des nouveaux outils numériques, qu’il s’agisse de la réalité virtuelle, de l’IA, des robots d’assistance ou des capteurs et objets connectés, d’une nouvelle panoplie de moyens particulièrement performants dans les domaines de la simulation, de la traçabilité, du contrôle et du retour d’informations concernant le patient.

En utilisant de manière intelligente et cohérente l’ensemble de ces nouvelles technologies, dans le cadre d’une réorganisation humaine profonde et concertée des structures et du fonctionnement de notre système de santé, nous pouvons, j’en suis convaincu, si nous en avons la volonté collective, réduire de manière drastique le nombre bien trop élevé de ces erreurs médicales et des souffrances humaines insupportables qui en résultent.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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