RTFlash

Edito : DAVOS : Il faut cesser de nier que les inégalités augmentent

“ Il faut cesser de nier que les inégalités augmentent. Pourquoi augmentent-elles ? Chaque fois que l'économie a connu des bouleversements, ceux qui sont bien placés ont fait des profits immenses et les inégalités se sont accrues. Ce fut le cas quand on est passé d'une société agraire à une économie industrielle. [...] Nous passons maintenant d'une économie industrielle à une économie numérique. Depuis 25 ans les inégalités ont augmenté... ” Avec cette intervention lucide, le Président Clinton qui n'a plus de compte à rendre qu'à l'Histoire a dressé, ces jours derniers, au Forum de Davos, un juste constat de la situation qui va être au coeur du débat mondial pendant ces prochaines années. Les Américains qui sont venus à Davos forts des 107 mois successifs de croissance ininterrompue (la plus longue phase de croissance de leur Histoire) étaient arrivés, comme à Seattle, dans un état d'esprit qu'un homme illustre aurait défini comme étant celui d'“ un peuple d'élite, sûr de lui-même et dominateur ”. Les diverses interventions entendues dans la bouche des autorités officielles américaines, (mais n'était-ce pas qu'une prise de position tactique à quelques mois d'élections qui vont dorénavant envahir l'ensemble du paysage politique américain jusqu'en novembre ?) peuvent être interprétées comme une mise en garde contre la “ complaisance ” avec laquelle les Américains jugent actuellement leurs performances. Ainsi, Lawrence H. Summers, pétillant Secrétaire d'Etat au Trésor, a souligné que “ l'excès d'endettement des entreprises et des ménages et le taux d'épargne négatif sont autant de fragilités de l'économie américaine ”. Pour leur part, les Européens devraient relire avec attention les interventions faites à Davos par des économistes reconnus pour leur compétence et en particulier par le Prix Nobel de l'économie 1999, Robert Mundell. De manière cohérente, ils nous ont conseillé, si nous voulons voir se confirmer durablement la croissance que nous connaissons depuis quelques mois, d'engager, sans tarder, des réformes importantes : baisser les impôts et les charges sociales, s'attaquer aux trop nombreuses réglementations et à leurs monopoles, réformer la sécurité sociale et les systèmes de retraite et surtout faire diminuer les déficits publics pour les faire tendre vers leur disparition comme viennent de le décider les Etats-Unis. Pour les observateurs participant au Symposium de Davos, les conditions ne sont pas réunies pour que l'Europe connaisse une croissance forte pendant une période aussi longue qu'aux Etats-Unis si nos pays ne savent pas profiter de cette croissance pour accumuler du capital en investissant. Or, les deux principaux pays d'Europe, l'Allemagne avec les dures négociations salariales actuelles (IG Metall demande une augmentation de 5,5 % des salaires) et la France avec ses 35 heures donnent, pour le moment, la préférence aux dépenses de fonctionnement. L'Europe a tendance à faire confiance au redémarrage de la demande et à oublier l'offre ont affirmé ces observateurs. Mais les suggestions les plus pertinentes faites à Davos viennent très souvent des représentants des pays qui sont encore exclus de cette nouvelle société de l'information. Ils ont dit avec des voix, fort peu relayées parce qu'insuffisamment spectaculaires, s'exprimant souvent avec beaucoup de bon sens, toute l'attention que nous devons porter aux pays en voie de développement si nous voulons que la paix s'installe durablement sur notre Terre. Parmi toutes les propositions qui ont été faites, je voudrais en souligner une car elle rejoint une suggestion que j'avais faite ici-même (Editorial de la lettre n°75 du 11 décembre 1999 http://www.tregouet.org/lettre/index.html) dans mon éditorial “ Halte là, nous ne pouvons plus continuer ainsi. ” Le Président de l'Afrique du Sud, Thabo Mbeki a dit, avec conviction, que seule une “ intervention forte et consciente ” de l'Union Internationale des Télécommunications (UIT) permettrait à l'Afrique de rattraper son énorme retard dans les technologies de l'information. Il a ajouté : “ Si certains disent que le marché corrigera cette inégalité, je dois vous dire que je pense qu'il ne le fera pas ”. Quand on prend conscience que dans toute l'Afrique noire, il n'y a que 100.000 utilisateurs d'Internet (si nous ne comptabilisons pas les 1,6 millions d'Afrique du Sud) alors qu'il y a déjà quelque 200 millions d'internautes dans le Monde, on voit toute l'urgence, pour tous les pays les plus nantis, dont des représentants les plus éminents étaient réunis à Davos, de tout entreprendre pour que la fracture entre les “ inforiches ” et les “ infopauvres ” ne se creuse plus. Cela est d'autant plus important, comme vient de le dire Alvin Toffler dans US Today du 28 janvier 2000, qu'Internet constitue un moyen puissant de lutte contre la pauvreté au niveau mondial, notamment parce qu'il favorise l'accès au savoir. C'est bien de la paix sur notre Terre dont nous parlons quand nous disons toute l'urgence d'une telle prise de conscience.

René Trégouët

Sénateur du Rhône

Noter cet article :

 

Recommander cet article :

back-to-top