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Edito : Un danger rode autour de la nouvelle économie

La nouvelle économie est en train d'entrer dans une phase plus réaliste. Mais ce n'est pas pour autant que les gestionnaires des fonds de pension et des autres circuits financiers qui, hier encore, s'emballaient sans mesure pour l'économie du « net » doivent soudainement chausser de nouvelles lunettes et lui appliquer les ratios de l'économie réelle. Certes, les entrepreneurs du virtuel vont devoir dorénavant appuyer leurs projets d'entreprises sur des modèles économiques crédibles et on ne les applaudira plus si les déficits s'inscrivent durablement dans les comptes, surtout si leurs exigences de valorisation de leurs « jeunes pousses » semblent être directement proportionnelles à la profondeur abyssale des trous creusés. Mais en face de cette obligation de réalisme des nouveaux acteurs, ceux qui il y a quelques semaines encore ne juraient que par la nouvelle économie et décidaient d'y injecter des centaines de millions doivent agir avec modération et sagesse. Tout coup de frein brutal et, pire encore, toute velléité de passer en marche arrière pourrait engager un processus de doute dont les conséquences pourraient être graves. Chacun avait bien conscience que les arbres ne pouvaient pas grimper jusqu'au ciel et qu'il était aberrant de voir la valeur d'une entreprise doubler, décupler en quelques semaines ou parfois même en quelques jours...Mais, maintenant, alors que des corrections annoncées se réalisent, certains semblent être prêts, déjà, à jeter le bébé avec l'eau du bain. Hier, ils avaient tort d'idolâtrer le veau d'or. Aujourd'hui, ils ont encore tort de croire que cette économie du virtuel n'est que du vent. Il n'est certes pas aisé de quitter une époque, de quitter un siècle pour entrer dans un monde nouveau, dans un nouveau millénaire. Il nous faut laisser sur le seuil nos règles antiques, nos anciennes habitudes et même nos vieilles hardes. Aussi, rien de surprenant qu'à la moindre bourrasque et à la première secousse certains prennent peur et soient tentés de faire demi-tour. Ils auraient bien tort car ils se priveraient d'entrer dans un monde dans lequel ils pourraient accéder à des biens dont leurs parents n'avaient même pas rêvé. L'ancienne économie ne permettait qu'aux riches d'acheter des biens rares donc chers pour finalement n'en user que peu. La nouvelle économie permet au plus grand nombre d'utiliser, selon ses réels besoins, ces biens rares en ne réglant qu'un coût marginal. Ce qui fait la puissance potentielle de cette nouvelle économie, si elle est bien comprise, c'est que chaque partie est gagnante. Le propriétaire d'un produit exceptionnel préfère avoir un million d'utilisateurs, qui ne lui verseront chacun qu'un franc, qu'un seul et versatile acheteur qui lui versera un million de francs. Mais l'heureux utilisateur qui peut bénéficier pour un franc d'un produit qu'hier il aurait dû payer un million de francs ouvre une porte qu'il ne pensait jamais pouvoir franchir. Dans un monde qui est encore trop étroit avec ses trois cents millions de pratiquants, l'avenir va prendre une autre dimension quand, dans quelques années, nous serons un milliard d'êtres humains, connectés les uns aux autres, à pouvoir accéder à des biens qui, aujourd'hui encore, nous sont totalement inaccessibles. Le danger qui rôde autour de cette nouvelle économie est porté par l'histoire encore bien jeune de la planète Internet. Hier (il y a moins de deux ans), nous n'étions encore que des internautes de l'ère primitive et nous avions pris l'habitude de chasser, de pêcher, de ramasser nos champignons dans notre immense forêt vierge sans que quiconque nous demande la moindre rémunération. Nous avons ainsi été quelques centaines de milliers à éprouver des plaisirs simples mais vrais que seuls, certainement, les hommes contemporains à Cro-Magnon avaient pu éprouver avant nous ! Très vite, nous avons commencé, bénévolement, la construction d'un temple dont la plus haute colonne portait l'un des maîtres-mots de notre devise : gratuité. Maintenant, alors que l'internaute a parcouru en quelques mois plusieurs dizaines de milliers d'années de l'histoire de l'Homme, il ne se satisfait plus du gibier de nos forêts, des poissons de nos lacs et autres babioles trop primitives mais exige au contraire d'accéder à ce qui est le plus « top » mais en rappelant sans cesse que le maître-mot ne peut rester que la gratuité. Réfléchissons bien : ne serait-il pas préférable que nous soyons un million à être d'accord pour payer un franc l'usage d'un bien pour lequel nous devrions débourser un million pour l'acquérir pour nous seul ? A trop vouloir la gratuité et à ne pas accepter le règlement d'un coût marginal, l'économie virtuelle risquerait de devenir irréelle et le propriétaire d'un bien réel pourrait préférer n'avoir qu'un seul acheteur au lieu d'un million d'heureux bénéficiaires... trop irréalistes.

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

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