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Edito : La consommation musicale bascule dans l'économie des flux

Dans le cadre de son partenariat avec Intel, France Télécom vient d'annoncer le lancement d'une plate-forme de loisirs numériques basée sur la technologie Viiv. Parmi les nouveaux services proposés par cette plate-forme, un service de musique à la demande "Wanadoo Jukebox", qui propose un catalogue de 1,1 million de titres disponibles à partir de 0,99 euro. De son côté, l'opérateur SFR a annoncé au Midem (Marché International du Disque et de l'Edition Musicale) à Cannes le lancement d'un forfait à 14,90 euros par mois qui donnera un accès illimité à 80.000 titres du catalogue Universal Music, ce qui constitue la première offre du genre en Europe. Sous réserve d'être équipés d'un Nokia 6630, 6680 ou N70, les 30.000 premiers clients SFR qui le souhaitent pourront ajouter 14,90 euros à leur abonnement téléphonique et profiter du "Pass Musique illimitée", qui vient compléter le kiosque musical de 500.000 titres proposé depuis plus d'un an par l'opérateur. Cette offre permet de télécharger sur son mobile un nombre illimité de chansons parmi un catalogue pour le moment réservé à 80.000 titres Universal Music. L'opérateur entend bien sûr étendre l'offre aux trois autres majors (Warner, EMI et Sony BMG), dès qu'un accord aura été obtenu avec ces maisons de disques. Des offres similaires sont déjà disponibles, notamment aux Etats-Unis où des entreprises comme Yahoo! ou Virgin proposent la location illimitée de musique avec un abonnement mensuel.

Confirmant sa volonté d'installer sa marque dans la musique numérique, SFR a également annoncé officiellement le lancement, en collaboration avec Sony NetServices, d'un "service d'écoute interactive de musiques sur mobiles 3G et sur PC". SFR Radio DJ "permet à l'utilisateur de créer ses propres stations en fonction de différents genres, ambiances et époques musicales au choix", et surtout en fonction de ses préférences musicales. En indiquant à chaque écoute s'il aime ou non un morceau, l'auditeur influe sur les titres qui lui seront ensuite proposés.

Alors que SFR annonçait son forfait musique, la plate-forme musicale britannique Wippit signait un accord avec DEM, un distributeur qui gère actuellement les inventaires de CD, DVD et jeux vidéo de nombreux supermarchés français dont Casino, E. Leclerc, Champion et Monoprix. L'accord permettra à DEM d'investir prochainement les rayons de nos supermarchés avec des cartes prépayées de chansons que les clients pourront télécharger sur un site créé et géré par Wippit.

Enfin, de son côté, le britannique Vodafone va lancer un nouveau service de téléphonie mobile de troisième génération (3G) en collaboration avec le japonais Sony NetServices pour son service Vodafone Radio DJ qui proposera des canaux musicaux personnalisés aux détenteurs de téléphones portables 3G et d'ordinateurs. Les clients ont accès à des centaines de chansons, des tubes actuels comme du fond de catalogue, des plus grandes maisons de disques au monde comme de labels indépendants. L'opérateur britannique, comme nombre de ses pairs du secteur, cherche à augmenter ses revenus pour amortir les milliards de dollars investis dans les services de téléphonie 3G alors que la concurrence tire les prix à la baisse.

Le nouveau service sera personnalisé, les utilisateurs pouvant définir leurs goûts musicaux grâce à deux boutons "aime" et "n'aime pas" lorsqu'ils écouteront une chanson. Si le bouton "n'aime pas" est pressé, le système passe à la chansons suivante et le système de classification de Sony s'assurera d'éviter la chanson en question et celles qui lui ressemblent.Vodafone, qui prévoit de lancer le service en Grande-Bretagne, France, Allemagne, Espagne, Italie et au Portugal dans les prochains mois a ajouté que le service serait accessible sur la base d'un abonnement mensuel pour une écoute illimitée sur téléphone ou ordinateur portable.

C'est dans ce contexte de bouleversement techno-économique et alors que le débat sur la gestion des droits numériques (DRM) et la légalisation des échanges "Peer to Peer" fait rage, dans le cadre de la discussion du projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, dite "Loi DADVSI" qu'est intervenu un jugement très attendu : à la suite d'une assignation des sociétés Warner Music France et Fnac par UFC Que Choisir et un consommateur le 28 mai 2003, concernant l'utilisation d'un verrou anti-copie sur un CD de Phil Collins (Testify), le tribunal de grande instance de Paris a jugé le 10 janvier 2006 que le CD était affecté d'un vice caché le rendant impropre à l'usage auquel il était destiné, à savoir sa lecture sur tous les lecteurs. En effet, l'utilisation d'un système anti-copie de ce type rend la lecture impossible sur certains disques durs d'ordinateurs mais ne correspond pas du tout au code de la propriété intellectuelle.

Les juges ont indiqué que Warner et Fnac avaient failli à leur obligation d'information en n'informant pas les consommateurs sur les restrictions de lecture sur les lecteurs de CD d'ordinateurs. Cette décision confirme deux autres jugements rendus en avril 2005. Ce jugement est très important car il met un coup d'arrêt aux restrictions d'utilisation de plus en plus grandes des supports numériques musicaux. Jusqu'à présent, quand le consommateur achetait un CD, il pouvait, d'une part, écouter sans restriction son CD sur sa chaîne Hi Fi, son ordinateur, son lecteur portatif ou son lecteur de voiture et il avait la possibilité, d'autre part de faire des copies de son CD sous différents supports, sans limitation de nombre, à condition bien sûr que ces copies soient utilisées pour son seul usage personnel et ne fassent pas l'objet d'une revente ou d'un commerce.

Mais récemment les maisons de disque et les géants informatiques comme Microsoft ou Apple ont multiplié des dispositifs "anti-piratage" et formats propriétaires visant à rendre impossible ou à restreindre le nombre et la forme des copies numériques de CD ou fichiers musicaux. Mais derrière le motif louable de combattre le piratage et les copies illégales se cache à l'évidence la volonté d'imposer des normes et formats et de contrôler étroitement toute la chaîne d'acquisition et de consommation numérique. Mais à l'évidence il s'agit d'un combat d'arrière-garde car le consommateur qui acquiert légalement une oeuvre musicale n'acceptera pas que son droit d'utilisation ou de copie à usage privée soit limité et les verrous technologiques mis en place seront de tout façon contournés d'une manière ou d'une autre.

En outre, l'explosion des "Podcasts" et de services et plate-forme d'achat de musique en ligne, téléchargeable sur son ordinateur et, de plus en plus, sur son mobile, montre à quel point la consommation musicale est passée d'une logique de "stockage" physique, qui passait par l'achat et la détention d'un support (CD, cassette, mini disque) à une logique de flux dans laquelle le consommateur ne souhaite plus posséder chez lui en permanence un support physique mais veut avoir un droit d'accès, quel que soit l'endroit où il se trouve, à partir de l'ensemble de ses terminaux numériques, y compris son téléphone portable, à une immense discothèque virtuelle constituée par toutes les oeuvres musicales disponibles sous forme numérique.

Il faut, au lieu de multiplier les entraves techniques inutiles, imaginer de nouveaux modèles économiques qui répondent à ces attentes du consommateur, tout en permettant une juste rémunération des compositeurs et éditeurs de musique. Ces modèles économiques combineront la logique du forfait, permettant pour une somme donnée, un accès illimité à tel ou tel catalogue thématique (en fonction des goûts de l'auditeur) et la logique du paiement à l'acte par "microflux" qui permettra, pour les nouveautés, un droit d'écoute valable pour un morceau, pendant une durée donnée.

Si un jeune a 15 ou 20? par mois à dépenser pour son budget "musique" il préférera prendre un abonnement mensuel qui lui permettra de télécharger de la musique sur un vaste catalogue de titres, à partir de son mobile, de son PC ou de son lecteur MP3, plutôt que dépenser cette somme en une fois pour l'achat d'une seul CD. A cet égard, l'incroyable succès de l'écoute en avant-première du dernier album de Madonna sur les mobiles Orange est révélateur des nouvelles attentes des consommateurs ! Cela ne signifie par pour autant que le CD, ou les autres supports physiques de la musique, sont appelés à une disparition rapide car des études ont montré qu'un consommateur qui découvrait un artiste et s'y attachait finissait par avoir envie de posséder les CD de cet artiste, surtout lorsqu'il s'agit de CD "collector".

Mais la dématérialisation et la numérisation intégrale de la musique font que nous sommes passés d'une logique de détention physique et de propriété à une logique d'accés instantané et ubiquitaire à un service qui doit pouvoir fournir au consommateur le morceau qu'il souhaite, quand et où il le souhaite et sous la forme numérique qu'il veut. En contrepartie de ce service numérique, le consommateur doit s'habituer à payer des droits d'accès et d'écoute, sous forme de "microflux" permanents et indolores.

Parmi les nombreuses idées qui circulent pour construire ce nouveau modèle économique, on peut noter celle, novatrice, d'un système de paiement sur les plates-formes P2P (Peer-to-Peer). Ce modèle permettrait aux fichiers autorisés par les maisons de disques de circuler sur les réseaux P2P, tandis que les autres resteraient inaccessibles au téléchargement. Cette circulation s'accompagnerait bien sûr d'un mécanisme de paiement : l'idée est que si quelqu'un met à disposition un fichier identifié, il obtient un crédit pour avoir fait diffuser un titre à tel nombre de personnes ; ou il gagne un crédit pour télécharger. En parallèle, bien sûr, tous ceux qui téléchargeraient le fichier mis à disposition en P2P paieraient les morceaux qu'ils auraient choisis. Le but du système est que tous les échanges puissent donner lieu à une remontée d'informations et permettre la rémunération des ayants droit.

Quel que soit le nouveau modèle économique qui émergera, il faudra qu'il concilie les principes d'équité de rétribution et de liberté d'échanges et d'utilisation des fichiers musicaux, afin que tout le monde puisse y trouver son compte : le consommateur qui pourra, pour une somme modique, satisfaire son besoin de nouveauté et d'écoute en mobilité, l'éditeur qui pourra rentabiliser ses frais de production et de distribution et l'artiste qui pourra tirer une juste rétribution de ses créations. L'éditeur devra aussi être rémunéré dans la juste proportion des frais qu'il aura engagé et éventuellement des risques qu'il aura su prendre.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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