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Edito : Les connexions directes sur le cerveau font des progrès vertigineux

Les amateurs de science-fiction se souviennent certainement du film "Firefox", sorti en 1982. Le héros, un agent américain incarné par Clint Eastwood, avait pour mission de s'emparer d'un avion de chasse soviétique révolutionnaire qui pouvait être piloté directement par la pensée ! Si cette idée de commande télépathique relevait de la pure science-fiction il y a 20 ans, elle est aujourd'hui en train de sortir des laboratoires et appartient désormais au domaine du possible. Cyberkinetics Neurotechnology Systems Inc. (Foxborough, Massachusetts) a démontré l'utilisation d'un réseau de micro-électrode implantable qui, combinée avec un système de traitement du signal numérique, forme une interface appelée « BrainGate », qui a été utilisée pour permettre à la pensée de contrôler la télévision.

La société indique également avoir reçu l'approbation de l'organisme de régulation américain sur les produits alimentaires et les médicaments (Food and Drug Administration ou FDA) pour l'utilisation limitée d'une interface similaire appelée NeuroPort. NeuroPort n'est pas destinée à permettre aux patients de contrôler un ordinateur avec leurs pensées mais à permettre un contrôle temporaire et une analyse de l'activité électrique du cerveau, affirme la société. Cyberkinetics précise que la diffusion étendue du système NeuroPort est prévue dès la fin 2006. Dans le même temps, un homme paralysé, d'origine américaine, est devenu la première personne à bénéficier de BrainGate, qui lui permet effectivement d'utiliser ses pensées pour contrôler une télévision, selon un reportage récent de la BBC.

Matthew Nagle, 25 ans, s'est retrouvé paraplégique après une attaque au couteau en 2001, indique la BBC, ajoutant que M. Nagle est entré dans le programme BrainGate à l'hôpital Sinai de Nouvelle Angleterre (Massachusetts) l'été dernier. Ces essais sont menés dans le cadre d'une exemption d'appareil d'investigation de la FDA, qui prévoit l'implantation, sur une période de 12 mois, du système BrainGate sur cinq patients atteints de quadriplégie due à des blessures de la colonne vertébrale, d'une attaque cardiaque ou d'une dystrophie musculaire. La période de 12 mois pour le premier patient de l'étude devrait se terminer au mois de juin 2005.

Le développement n'est pas entièrement nouveau. Des chercheurs d'autres pays ont montré qu'il est possible de former des personnes pour bouger le curseur d'un ordinateur tout en portant un casque doté de 64 électrodes qui captent les ondes du cerveau, ce qui a pour avantage de ne pas être envahissant.

Le capteur BrainGate est constitué d'une matrice en silicium qui contient 100 électrodes, chacune plus mince qu'un cheveu humain. Après une intervention chirurgicale lourde, la matrice est implantée sur la surface du cerveau, où elle capte les signaux électriques provenant du cerveau. Un connecteur en émerge et transfert les signaux reçus à un système robotisé. Un logiciel de traitement du signal distinct analyse alors l'activité électrique des neurones et la traduit en signaux de commande destinés à être utilisés dans un grand nombre d'applications informatiques. M. Nagle a utilisé le système pour allumer et éteindre un téléviseur, pour contrôler le volume et pour manipuler une main de robot. ( Voir articles de la BBC et du Register).

Toujours dans ce domaine de la télécommande télépathique, le clou du CeBit de Hanovre 2005 a été l'innovation présentée par g.tec Guger Technologies, une société autrichienne, qui propose un ordinateur de poche contrôlé par la pensée. Grâce à deux électrodes placées sur l'ordinateur et sur les tempes de l'utilisateur, Christopher Guger a montré comment il pouvait déplacer le curseur par sa seule volonté. "Chaque pensée produit des changement dans les ondes transmises au cerveau", a expliqué le Dr Guger, ajoutant : "certaines pensées déclenchent des changements spécifiques qui peuvent être identifiés par l'ordinateur et utilisés pour produire certains effets". L'appareil, conçu par un industriel autrichien, est livré avec des électrodes, des capteurs de contacts crâniens, un écran et des logiciels d'application. Le patient s'entraîne, par l'exercice de la maîtrise de la pensée, à mettre le curseur de l'écran à droite, puis à gauche. Une fois acquise la maîtrise de l'appareil, les entrées sorties du BCI Pocket peuvent être branchées pour effectuer d'autres télécommandes. Outre Atlantique, à L'Université de Pittsburgh, des chercheurs en collaboration avec des roboticiens ont mis au point un bras robotisé contrôlé par la pensée. Constitué d'une épaule, d'un coude mobile et d'une pince en guise de main, ce bras agirait comme celui d'un humain (reproduction de gestes d'ordre primaires). Grâce à un système de sondes et de capteurs directement insérés dans le cerveau (expérience menée sur des singes), le bras robotisé suit les directives imposées par la pensée ou la volonté du singe !

Enfin, il y a quelques jours (Voir article), et notre article "Un bras robotisé contrôlé par la pensée », dans notre rubrique "Neurosciences"), une autre équipe de scientifiques du CHU de Duke, Caroline du Nord) qui a entraîné des singes à manoeuvrer un bras mécanique par la pensée a annoncé que les premiers tests sur 11 personnes atteintes de la maladie de Parkinson prouvaient la viabilité de cette approche par Interface Cerveau-Machine (BMI en anglais) sur les humains. Des électrodes, correctement implantées dans le cerveau (l'opération est réalisée sous la direction du patient resté conscient) transforment les impulsions en signaux capables de télécommander les mouvements d'une prothèse robotisée ou d'un fauteuil électrique. Les espoirs sont très grands, notamment chez les amputés et les tétraplégiques. Ces différentes recherches montrent donc que notre cerveau peut directement agir, via une interface adéquate, sur le monde physique. Mais ce qui est envisageable dans un sens l'est également dans l'autre : Sony, le fabricant de la PlayStation, a ainsi déposé début 2005 un brevet pour une technologie permettant de transmettre directement des informations sensorielles au cerveau. Cette technologie, qui fait l'objet d'un brevet américain, pourrait être un jour utilisée pour la création de jeux vidéo dans lesquels il serait possible de sentir ou de goûter. Ce brevet développe une technique permettant d'envoyer des pulsations ultrasoniques à des zones spécifiques du cerveau pour induire des "expériences sensorielles", comme les odeurs, les sons et les images. Cette double possibilité d'agir directement sur le réel par la pensée et de transférer directement dans notre cerveau sensations et émotions va démultiplier de manière prodigieuse nos champs et possibilités d'action et de réflexion dans tous les domaines et va nous contraindre à repenser nos conceptions du réel et nos formes de relations humaines, sociales et culturelles. Confronté à un e réalité infiniment plus vaste, plus riche mais aussi plus déstabilisante et fondamentalement fluctuante, l'homme va devoir s'adapter, injecter du sens à ce déluge technologique et définir une neuréthique qui donne une finalité à cette nouvelle étape de l'aventure humaine. A une vitesse foudroyante, les mondes virtuels se préparent à envahir notre monde réel. L'humanité est-elle prête ?

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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