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Edito : Connaissance du code génétique : l'aventure ne fait que commencer

Au cours de ces dernières semaines, deux découvertes fondamentales sont venues enrichir et complexifier notre vision du code génétique et de ses mécanismes de fonctionnement. La première découverte concerne un des fondements de la biologie moderne : l'ADN est transcrit en un ARN qui lui-même permet la production d'une protéine. Pour être efficace, cette "photocopie" doit être le plus fidèle possible et comporter un minimum d'erreurs de "traduction".

En premier lieu, à une séquence d'ADN (constituée des quatre nucléotides désignés par les lettres A, T, C et G) correspond une unique séquence d'ARN grâce aux règles de complémentarité (G  et C, A et U, le U remplaçant le T). Par exemple, la séquence d'ADN aatcga est transcrite en UUAGCU. Ensuite, chaque triplet de l'ARN (trois lettres consécutives, tels UUA, GCU...) détermine un acide aminé de la protéine. Mais ce principe général vient d'être remis en question par une équipe de recherche américaine dirigée par Vivian Cheung, de l'Université de Pennsylvanie, à Philadelphie, aux États-Unis. Ces chercheurs ont montré que, dans de nombreux cas, la transcription de l'ADN en ARN est bien moins fidèle que prévu.

En comparant des séquences d'ADN et d'ARN correspondants dans des lymphocytes B (des globules blancs) de 27 individus, les chercheurs américains sont parvenus à repérer plus de 10 000 localisations où les deux molécules diffèrent; ils ont également pu constater, pour 40 % des gènes observés, l'existence d'au moins une erreur de transcription. Ces découvertes montrent donc que la nature des protéines produites n'est pas réductible à la seule séquence des gènes impliqués.

Procédant de manière rigoureuse, les chercheurs américains ont reproduit ces observations avec plusieurs types de cellules différents (os peau, cerveau...), provenant de sujets d'âge variable et les résultats ont dans tous les cas été semblables ce qui montre que ce mécanisme inconnu n'est pas spécifique aux lymphocytes B. L'équipe américaine a également souligné une autre découverte surprenante: à une modification de transcription en un site correspond toujours le même remplacement : par exemple, lorsqu'un C est observé dans l'ARN à la place d'un A, on retrouvera bien ce  C chez tous les autres sujets examinés.

Selon V. Cheung, une telle constance ne peut être le fruit du hasard et correspond à un code inconnu à ce jour. Ces résultats confortent fortement l'hypothèse d' un nouveau niveau de diversité génétique et montrent que le séquençage complet du génome humain est loin de nous apporter les clés de la connaissance de notre génome car, tel l'arbre qui cache la forêt, derrière l'ADN, les mécanismes de transcription des ARN semblent bien plus subtils et complexes que prévus.

Il semble donc, ce qui est confirmé par observation utilisant de nouvelles techniques d'imagerie, que notre génome fonctionne simultanément sur plusieurs niveaux d'organisation : les 23 paires de chromosomes sont enroulées autour de protéines (histones) et compactées pour tenir en totalité dans le noyau. Quant aux chromosomes, ils  occupent des localisations spatiales distinctes (à la périphérie ou au centre) qui ont une influence majeure sur leur fonctionnement.

La deuxième découverte, réalisée par des chercheurs québécois et américains dans le cadre du projet CARTaGENE, concerne le rythme de transmission des mutations génétiques d'une génération à l'autre. Selon ces recherches, une soixantaine de nouvelles mutations génétiques seulement sont transmises par les parents à leur enfant. C'est beaucoup moins que ce que les estimations avancées jusqu'à présent et cette avancée remet en question l'échelle de temps utilisée pour calculer le rythme d'évolution de notre espèce au fil des générations.

Le génome humain est constitué de près de six milliards d'éléments d'information appelés nucléotides. Chaque parent en transmet trois milliards à son enfant. Une seule erreur de copie d'un seul nucléotide peut se traduire par une mutation génétique. Les généticiens pensaient jusqu'à maintenant que les parents contribuaient à une moyenne de 100 à 200 erreurs dans les nucléotides transmis à leur enfant. Ces travaux montrent que c'est plutôt, en moyenne, une trentaine de nouvelles mutations génétiques qu'un parent transmet à son enfant. Ces mutations font émerger de nouvelles séquences génétiques et jouent un rôle clé dans le processus d'évolution des espèces, notent les auteurs de ces travaux.

Les généticiens vont donc devoir réviser le nombre de générations qui séparent des espèces qui sont génétiquement apparentées, comme les humains et les grands singes, car l'évolution pourrait être 30 % moins rapide qu'on le pensait. L'époque de la divergence entre homme et chimpanzé pourrait ainsi être repoussée de 7 millions d'années dans le passé, comme le suggèrent déjà de récentes découvertes fossiles. Ce "recalage" des échelles chronologiques des mutations génétique aura bien sur un impact important sur la théorie de l'évolution et ne va pas manquer de relancer le débat entre les différentes approches de la théorie de Darwin (gradualistes et ponctualistes).

Les chercheurs ont aussi constaté que le père transmet davantage de mutations à l'enfant que la mère, puisque les erreurs surviennent pendant la division cellulaire et la réplication de l'ADN et que les hommes produisent plus de gamètes (spermatozoïdes) que les femmes (ovules). Jusqu'à présent, il était admis qu'un plus grand nombre de mutations proviennent des hommes. Or, dans les deux familles étudiées, les résultats ont été tout à fait surprenants : 92 % des mutations ont été transmises par le père dans une des familles, mais seulement 36 % dans l'autre. Ces résultats suggèrent que dans certaines familles, la plupart des mutations viennent de la mère et que dans d'autres, au contraire, l' essentiel des mutations proviennent du père. En outre, le taux de mutations est extrêmement variable d'un individu à l'autre.

On le voit, ces deux découvertes passionnantes et inattendues, dont l'une concerne l'individu et l'autre l'espèce humaine, montrent que les lois de l'hérédité et les mécanismes raffinés qui régissent notre code génétique, tant au niveau de l'individu que de l'espèce humaine, sont loins d'avoir livré tous leurs secrets. En dépit de la prouesse technologique que représente le séquençage complet du génome humain, nous voyons que cette avancée, certes importante, ne constitue qu'une étape dans la compréhension d'un vaste continent scientifique dont l'exploration ne fait que commencer....

René TRÉGOUËT

Sénateur Honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

Nota : Pour la partie technique de la transcription de l’ADN , je me suis permis de reprendre dans cet édito des passages de l’excellent article  de la revue « Pour la Science » que nous vous avons communiqué dans le précédent numéro de RT Flash et que vous pouvez retrouver à l’adresse suivante :

Pour La Science

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