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Edito : Le Concile de Trente et le nouveau cycle de l'OMC

Il faut une convergence entre trois ruptures : une rupture dans la technique, une rupture culturelle et une rupture dans le commerce entre les hommes, pour qu'une innovation technologique ayant comme finalité d'amplifier les oeuvres de l'esprit puisse, avec efficacité, remplir son rôle. Dès le XIe siècle, le principe de l'imprimerie à caractères mobiles avait été découvert en Chine. Or, contrairement à ce qui s'est passé en Occident, quatre siècles plus tard, l'imprimerie s'est révélée être en Chine un puissant facteur de continuité et d'immobilisme politique. En effet, elle a non seulement renforcé la diffusion des grands textes de la tradition classique, mais elle a également permis d'élargir le cercle de recrutement des mandarins. Il y avait bien eu en Chine une rupture technologique avec l'invention de la xylographie mais celle-ci n'étant pas accompagnée par une rupture culturelle , elle n'eut que peu d'effets sur la Société chinoise. Pourquoi donc l'imprimerie fut-elle en Occident au XVe et XVIe siècle le vecteur essentiel d'une révolution sans précédent qui fit passer notre civilisation du Moyen-Âge à l'Ere Moderne ? Dans un premier temps, comme en Chine, les conservatismes voulurent s'emparer de cette innovation majeure. Pendant cinquante ans, la production essentielle de l'imprimerie fut réservée à la reproduction de textes religieux : le premier livre imprimé fut une bible. C'est bien parce qu'il fut, à partir du début du XVIe siècle, au point de convergence des nouvelles techniques, de la mise en mouvement des idées avancées par les humanistes et du développement de l'esprit mercantile, que le livre joua un rôle si fondamental dans la transformation de la société occidentale. Ainsi, les idées de la Réforme furent-elles portées et amplifiées par l'imprimerie. Le livre a été conjointement porteur d'idées nouvelles et porté par elles. Par ailleurs, le livre fut un outil extraordinaire pour développer la banque et le commerce. Nous qui sommes stupéfaits en cette fin du XXe siècle par le développement rapide d'Internet, avons-nous bien conscience de la vitesse sidérante avec laquelle se diffusa le livre ? Febvre et Martin affirment que plus de 200 millions de livres furent imprimés dès le XVIe siècle. Ce qui a donné toute sa force au livre, c'est qu'il sut très rapidement, en Occident, être à la fois un outil intellectuel, un moyen de communication et une marchandise commerciale. Cette convergence entre une évolution technologique majeure, une rupture culturelle et l'émergence d'un nouveau commerce entre les hommes est en train de prendre forme, à nouveau, sous nos yeux et ce pour la première fois depuis 5 siècles. Comme le livre, le protocole Internet permet à chacun d'accéder de plus en plus facilement à de nouveaux savoirs. Ceux qui pensent, comme les Mandarins l'avaient fait au XIe siècle, que ce sont les idées du Passé qui vont être amplifiées par Internet font une terrible erreur. C'est bien parce que tous les éléments d'une rupture culturelle, que certains appellent mondialisation, sont en train de se mettre en place et qu'un nouveau type de commerce, le commerce électronique, représentera dans moins de dix ans la majeure partie des échanges réalisés dans le monde, que la révolution que nous allons connaître va avoir une telle ampleur. Il sera fort instructif de voir dans ces prochains mois comment les responsables du cycle de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) qui a tenté, en vain de s'ouvrir dernièrement à Seattle et qui pourrait, non sans malice, être comparé au Concile de Trente, vont savoir tirer les leçons du passé. " Renforcement du contrôle hiérarchique, méfiance envers les interprétations nouvelles, prolifération de décrets disciplinaires, de canons frappant d'anathème toute expression d'un dissentiment avec la hiérarchie... ", tels sont les traits essentiels que les contemporains avaient retenus des textes adoptés par le Concile de Trente. Tous ces termes utilisés par Alain Peyrefitte dans la Société de confiance pour résumer les décisions prises par les cardinaux du Concile de Trente semblent être terriblement modernes si nous les appliquons à la controverse qui s'est développée il y a quelques semaines à Seattle. Il n'est nullement dans mon intention de comparer José Bové avec Luther mais les responsables des pays les plus avancés de notre planète feraient certainement une erreur fatale s'ils pensaient que le monde nouveau qui s'annonce ne sera qu'un simple prolongement de celui que nous quittons. Que ce soit au niveau de nos démocraties, comme à celui du droit et de l'ensemble des règles qui régissent le fonctionnement de notre société, il nous faudra avoir le courage et la volonté de tout poser à plat pour reconstruire un nouvel édifice. Nous entendons actuellement trop de hauts responsables, qu'ils soient politiques, administratifs, judiciaires, économiques, qui, comme les Pères conciliaires il y a 440 ans, nous disent au travers de nombreux "colloques " que les outils actuels nous permettront de maîtriser l'avenir. Ce n'est pas la technologie ni même le développement d'un nouveau type de commerce qui, actuellement, doivent éveiller nos craintes. C'est beaucoup plus le fossé culturel qui se creuse entre ceux qui, à la base, sont en train de se mettre en réseaux sur l'ensemble de notre planète et les responsables qui, en haut de leur pyramide, restent trop isolés de la réalité, qui pourrait être le sillon qui nous mènerait à une révolution que personne ne contrôlerait.

René Trégouët

Sénateur du Rhône

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