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Edito : Comment nourrir la planète en 2050 ?

Selon une récente étude réalisée par l’OCDE et la FAO, la production agricole mondiale devrait augmenter de 1,5 % par an d’ici 2024, soit un rythme moins soutenu (2,5 % par an) qu’au cours des 10 dernières années (Voir FAO).

Et pourtant la FAO rappelle qu’il va falloir augmenter d’au moins 70 % la production agricole mondiale d’ici à 2050 pour pouvoir nourrir correctement les 9,5 milliards de personnes qui peupleront la Terre à cet horizon. Dans les pays en développement, cette production devra même doubler d’ici le milieu du siècle, ce qui risque d’entraîner des tensions de plus en plus fortes sur les marchés alimentaires au cours des prochaines décennies.

Pour la FAO et l’OCDE, en Asie, en Europe et en Amérique du Nord, la croissance sera tirée par l’amélioration des rendements, tandis qu’en Amérique du Sud et en Afrique, le facteur déterminant sera l’accroissement de la surface agricole. Selon cette étude, dans 10 ans, la production mondiale de céréales devrait augmenter de 14 % et celle de viande de 17%, avec une demande en forte croissance dans les pays en développement. La production mondiale de biocarburants devrait, quant à elle, croître plus lentement, du moins tant que le prix moyen du pétrole restera au niveau très bas qu’il a atteint actuellement.

Fait remarquable, selon le dernier rapport du Congrès forestier mondial : en dépit de l’augmentation constante de la production et de la productivité agricole mondiale, le rythme moyen de la déforestation a été divisé par deux depuis 1990, avec environ 52 000 kilomètres carrés de forêt supprimés chaque année.

Cette étude rappelle opportunément que plus des trois quarts de la déforestation sont dus à l’agriculture. Au total, depuis vingt-cinq ans, la quantité de carbone stockée dans la biomasse forestière mondiale a diminué de près de 17,4 gigatonnes, contribuant ainsi à accélérer le réchauffement climatique mondial.

Mais, comme le souligne avec force le Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), il faut tordre le cou à une idée reçue tenace selon laquelle, sous l’effet de la pression démographique et de l’augmentation de la demande agricole mondiale, le monde va connaître inévitablement une pénurie de terres arables. À cet égard, le CGAAER rappelle que, « Depuis 50 ans, la production agricole a été multipliée par un facteur supérieur à 2,5. L'augmentation des rendements et l'intensité culturale y ont contribué pour 85 %, l'accroissement des surfaces agricoles pour 15 % ». Cette instance souligne également qu’il reste, en fonction des différents scénarii choisis, de 500 millions à 2,5 milliards d'hectares disponibles pour l'agriculture, alors que la surface actuellement cultivée est de 1,6 milliard d'hectares.

Le CGAAER rappelle également les travaux remarquables réalisés en 2009 par Laurence Roudart (Université Libre de Bruxelles), à partir d’informations sur les disponibilités actuelles et futures en terres cultivables. Dans cette étude, trois scénarii ont été imaginés en matière d’augmentation des surfaces cultivables. Le premier est le plus restrictif et considère que ne peuvent être mises en culture que les terres « très convenables », « convenables » et « modérément convenables ». Le second scénario autorise la mise en culture des terres « peu convenables ». Enfin, le troisième scénario, autorise la mise en culture de l’ensemble des terres des scénarii 1 et 2 et y ajoute toutes les terres cultivables sous forêt, ce qui correspond au tiers des forêts du monde.

Une fois exclues les forêts, les superficies nécessaires aux infrastructures et les surfaces agricoles dévolues aux agrocarburants, ces trois scénarios tablent sur une augmentation possible des terres cultivables de respectivement 527, 970 et 1875 millions d'hectares distribués très inégalement sur la planète. Il est intéressant de noter que, s’agissant du premier scénario, la FAO arrive à une estimation de 547 millions d'hectares, un chiffre très proche des résultats de cette étude. Selon ces travaux, « les superficies des terres du monde utilisables en culture pluviale sont largement supérieures aux superficies nécessaires pour assurer des conditions de sécurité alimentaire pour l’ensemble de l’humanité ».

Mais pour parvenir à nourrir la planète en 2050, il ne suffira pas de disposer de suffisamment de terres agricoles ni d’augmenter la productivité agricole moyenne mondiale. Il faudra également prendre à bras-le-corps le problème du gaspillage considérable des productions agricoles et réorganiser en profondeur, au niveau mondial, les circuits économiques et commerciaux de stockage, de transport et de distribution des denrées agricoles. Il faut en effet rappeler qu’aujourd’hui, 1,3 milliard de tonnes de nourriture sont jetées chaque année, ce qui représente plus du tiers de la production totale de denrées alimentaires destinées à la consommation humaine. Une étude publiée en 2010 (SMIL) indique que 43 % seulement des produits cultivés mondialement dans un but alimentaire sont directement consommés par les humains.

Ce gaspillage absolument gigantesque a bien entendu des conséquences économiques, écologiques et environnementales considérables. Il est très néfaste, notamment en matière de consommation d’énergie, d’utilisation excessive d’intrants agricoles et, en bout de chaîne, de prix trop élevés des produits agricoles pour les consommateurs, notamment dans les pays en voie de développement.

On distingue trois grandes sources de pertes dans les pays européens : l’industrie, les foyers et la restauration. Les deux premiers sont à l’origine de près de 80 % des déchets provenant des pertes ou du gaspillage (selon une étude préparatoire de la Commission européenne).

La situation est différente dans les pays du Sud où les pertes agricoles entre la sortie du champ et la transformation sont beaucoup plus importantes, en raison de l'insuffisance et de la vétusté des infrastructures de stockage et de transport.

Notre Pays, conscient de ce problème majeur, a signé en juin 2013 son Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire et s’est fixé l’objectif de diviser par deux les volumes gaspillés d’ici à 2025. Il y a quelques semaines, la grande distribution et le gouvernement sont parvenus à un accord sur une série "d'engagements volontaires", visant à renforcer les actions de lutte contre le gaspillage alimentaire. Ces mesures comprennent notamment l'obligation pour la grande distribution de favoriser au mieux les dons aux associations ou la valorisation des déchets et un engagement de l'État à soutenir financièrement les associations.

Les distributeurs se sont également engagés à favoriser "l'utilisation des invendus propres à la consommation humaine, à travers le don ou la transformation". Celle-ci devra se faire soit en transformant les produits en alimentation animale, en compost pour l'agriculture ou en ressources énergétiques, comme la méthanisation. Par ailleurs, les distributeurs s’engagent à ne pas rendre délibérément les invendus alimentaires encore consommables, impropres à la consommation ou à toute forme de valorisation.

Mais construire une agriculture mondiale à la fois plus performante, plus respectueuse de l’environnement et moins gourmande en énergie passera également par une intégration raisonnée des progrès de la science, de l’agronomie et des technologies numériques et robotiques, qui ne peuvent être globalement écartés d’un revers de main, souvent pour des raisons purement idéologiques, et doivent être évalués au cas par cas.

A cet égard, il faut rappeler qu’en Europe, le MON810, seul OGM autorisé pour le moment dans l’Union européenne, n’est cultivé que dans trois pays : Espagne, Portugal et République tchèque. Le Parlement français vient par ailleurs d’adopter la transposition des dernières règles européennes concernant notamment la culture d’organismes génétiquement modifiés : la nouvelle Directive concernant les OGM permet notamment aux États membres d'interdire cette mise en culture, même en cas de feu vert de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa).

Au niveau mondial, selon le dernier rapport de l’Isaaa (Service international pour l’acquisition d’applications agrobiotechnologiques), le nombre de plantations d'organismes génétiquement modifiés (OGM) a atteint 181,5 millions d'hectares exploités dans le monde, soit environ 4 % des surfaces agricoles mondiales (11 % si l’on intègre les plantes génétiquement modifiées ou PGM). Ce rapport révèle également qu’environ 18 millions d’agriculteurs (sur plus d’un milliard et demi au total) ont semé des semences transgéniques. C’est donc moins de 1,5 % des agriculteurs qui utilisent de telles variétés brevetées.

En matière de culture OGM, le soja domine et représente plus de 80 % de la production d’OGM. S’agissant de la répartition géographique, les Etats-Unis restent largement en tête, avec 73,1 millions d'hectares plantés d'OGM, devançant le Brésil, qui comptait 42,2 millions d'hectares et l'Argentine, troisième avec 24,3 millions d'hectares.

Quant à l’agriculture biologique, sa part reste encore modeste au niveau mondial, avec 37,2 millions d'hectares (chiffres 2011), soit environ 1 % de la surface agricole totale. Mais son emprise territoriale a été multipliée par 2,5 au cours des quinze dernières années et elle ne cesse de progresser. La France, avec 4 % de ses surfaces agricoles et 1,1 million d'hectares de cultures biologiques, vient de dépasser l’Allemagne et arrive à présent en troisième place au niveau européen, pour les cultures bio, derrière l’Espagne et l’Italie. Fait remarquable, en dépit des prix plus élevés (mais cet écart ne cesse de se réduire) des produits issus de l'agriculture biologique, les consommateurs français se tournent de plus en plus vers les produits alimentaires issus du bio qui représentent à présent un marché de 5 milliards d'euros, en croissance de plus de 10 % par an… 

Mais les progrès et mutations en cours en matière d’agriculture et d’agronomie ne se résument ni aux OGM, ni à l’essor du bio, comme le souligne Hervé Guyomard, directeur scientifique Agriculture à l'INRA (l’Institut national de recherche agronomique). Celui-ci rappelle, qu’à l’avenir,  il va falloir sélectionner les semences, non plus seulement sur des critères de rendement mais de plus en plus sur des critères d’adaptation aux nouvelles conditions de l’environnement liées au changement climatique : sécheresse et températures extrêmes notamment, sans oublier deux autres facteurs-clés : l’utilisation de l’azote et la résistances aux maladies qui devront privilégier les cultures et plantes consommant moins d’engrais azotés et de pesticides.

Il est vrai que jusqu’à, présent, l’agriculture et l’agronomie ont d’abord cherché à transformer le milieu (en apportant engrais, eau, pesticides) de façon que le génome de la plante puisse exprimer tout son potentiel productif. Mais de récentes recherches ont montré que le gène n’était pas tout puissant ni immuable, qu’il était sensible à l’environnement et qu’en fonction de son milieu d’expression, il commande la synthèse de protéines différentes de celles initialement prévues….

Dans ce nouveau cadre scientifique, les OGM ne sont plus considérés comme une panacée et ne deviennent qu’un outil, parmi beaucoup d’autres (prise en compte de l’environnement, nouvelles pratiques agricoles), pour améliorer les performances des cultures. Cette nouvelle approche, qui vise à dépasser l’opposition stérile et simpliste entre une agriculture « naturelle » et une agriculture « productiviste », vient de se trouver confortée par une « méta-étude » américaine qui a montré, d’une part, que le déficit de productivité des méthodes biologiques par rapport à l'agriculture intensive, ou industrielle, est moins important que prévu et, d’autre part, qu'il est possible de réduire cet écart.

Ce travail très complet, dirigé par Claire Kremen, professeur de sciences de l'environnement et codirectrice du Berkeley Food Institute de l'Université de Californie, a dépouillé 115 études de 38 pays, portant sur 52 espèces végétales et couvrant trente-cinq années. Ces recherches ont ainsi montré que la différence réelle de productivité entre bio et traditionnel serait en fait de l’ordre de 19 %. En outre, contrairement aux travaux antérieurs, les auteurs ne trouvent pas de différence entre pays développés et pays en développement, pour ce qui est des performances respectives des deux modes de culture.

Mais l'enseignement principal de ces recherches est que le différentiel est beaucoup plus faible lorsque les exploitations biologiques ont recours soit aux cultures associées (plusieurs plantes cultivées sur la même parcelle), soit aux rotations : il tombe alors à respectivement 9 % et 8 %. L’étude conclut que « Ces résultats prometteurs suggèrent qu'un investissement approprié dans la recherche agronomique pour améliorer la gestion des cultures biologiques pourrait fortement réduire ou même éliminer l'écart avec l'agriculture traditionnelle pour certaines cultures ou régions. »

Une autre étude publiée il y a deux ans est également venue remettre en cause cette opposition entre une agriculture « naturelle », qui n’utiliserait que des méthodes ancestrales immuables et une agriculture « industrielle » qui serait forcément destructrice pour l’environnement et utilisatrice d’OGM. Ce travail, publié dans la revue Nature, est l’aboutissement d’une dizaine d’années de recherches sur le gène qui permet à certains plants de riz d’extraire le phosphore du sol dès le début de leur croissance (Voir Nature).

Enfin identifié, ce gène, baptisé PSTOL-1, a été transféré à d’autres variétés de riz par la technique classique de l’hybridation, sans aucune manipulation OGM, insiste Sigrid Heuer, de l’Institut international de recherches sur le riz (IRRI) basé aux Philippines. Cette chercheuse souligne que cette avancée pourrait enfin permettre au riz d’atteindre son rendement optimal une fois parvenu à maturité et devrait bénéficier surtout aux agriculteurs modestes, particulièrement ceux d’Asie du sud-est et du Bangladesh.

Cette avancée scientifique et agronomique est l’occasion de rappeler que la mutagénèse expérimentale, utilisée depuis plus de 80 ans dans le monde, permet, sans avoir recours à des transferts de gènes comme pour les OGM, d’accélérer le processus de création de nouvelles variétés en augmentant fortement la fréquence de mutation par rapport à la mutagénèse spontanée, donc la variation génétique disponible pour la sélection. Il faut d'ailleurs rappeler que la majorité des variétés cultivées actuellement, en agriculture conventionnelle ou biologique, ont été, à un moment ou un autre de leur histoire, soumises à cette technique. C’est par exemple le cas du tournesol oléique, cultivé depuis plus de vingt ans en agriculture conventionnelle et biologique, qui permet d’obtenir une huile de meilleure qualité pour la consommation.

A ce stade de notre réflexion, il est important de rappeler que, depuis les débuts de l’agriculture, il y a environ 10 000 ans, les cultivateurs n’ont cessé de pratiquer de manière de plus en plus efficace l’hybridation, de manière à obtenir des plantes et cultures toujours plus résistantes et productives. Cette utilisation, d'abord très longtemps empirique, puis scientifique du phénomène de mutagénèse spontanée a permis à l’agriculture mondiale de créer une multitude de variétés et d’espèces nouvelles de plantes et d’animaux d’élevage, ce qui explique qu’en dépit de l’accroissement démographique mondial, la part de la population mondiale touchée par la malnutrition n’a cessé de reculer depuis 50 ans, passant de 32 % en 1960 à 11 % aujourd’hui…

Rappelons qu’aujourd’hui, 61 % de la population mondiale a accès à une ration de plus de 2 700 calories journalières, selon la FAO, alors qu’en 1960, 57 % de cette population mondiale vivait encore avec une ration alimentaire inférieure à 2 200 calories par jour. Une telle amélioration de la situation alimentaire mondiale n’aurait bien entendu jamais été possible sans l’augmentation considérable de la production et de la productivité agricoles mondiales et sans cette « Révolution verte », aujourd’hui tant décriée par certains. Un seul exemple suffit pour illustrer cette extraordinaire mutation : l’Inde, qui est devenue exportatrice de blé depuis 2012, alors que sa population a dépassé le milliard d’habitants…

Il faut enfin évoquer l’extraordinaire révolution qu’est en train de connaitre l’agriculture, avec l’arrivée massive de la robotique intelligente qui, associée aux drones, aux satellites et à la puissance de calcul des Big Data, va entraîner de nouveaux progrès considérables, non seulement en matière de productivité et de gestion prévisionnelle des sols mais également dans la diversification des cultures et la réduction du coût énergétique, environnemental et climatique de l’agriculture. Rappelons en effet que l’agriculture mondiale représente, hors déforestation, plus du quart des émissions humaines de CO2 soit environ 10 gigatonnes par an (l’équivalent des émissions annuelles de La Chine). L’activité agricole mondiale consomme en outre environ 5 % de l’énergie finale au niveau mondial, soit environ 450 Mtep (Millions de Tonnes d’Equivalent Pétrole)

On le voit, la question n’est finalement peut-être pas de savoir s’il est possible de nourrir les 9,5 milliards d’hommes qui vivront sur la Terre en 2050 car nous possédons les ressources naturelles, humaines et scientifiques qui nous permettent d’atteindre cet objectif pourtant ambitieux. Parviendrons-nous, en revanche, à organiser l’agriculture mondiale sur le plan politique, économique, social et commercial de manière à permettre à chacun d’accéder dans de bonnes conditions à une production alimentaire largement suffisante ? Voilà le vrai défi de civilisation que l’Humanité va devoir relever au cours de la prochaine génération.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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  • Gérard Lesage

    26/09/2015

    Le constat est élémentaire. Tous les ennuis de la planète sont causés par la surpopulation. Pourtant, personne ne semble vouloir affronter ce problème directement.
    La solution est pourtant simple : diminuer la population. Mais est-ce que vous imaginez un politique dire à ses électeurs : "faites moins d'enfants" ?
    Il ne reste plus à la planète qu'à régler elle-même ce problème avec une grosse catastrophe...

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