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Edito : Le cerveau : prochaine télécommande universelle ?

Contrôler et commander un dispositif électronique ou informatique par la pensée relevait il y a encore cinq ans de la science-fiction mais plusieurs avancées technologiques récentes ont montré que cette perspective était non seulement faisable mais sans doute réalisable dans un futur proche.

Il y a quatre ans, en juillet 2009, un singe arrivait pour la première fois à contrôler uniquement par son cerveau un bras mécanique lui permettant de se nourrir. Cette prouesse était obtenue grâce à l’implantation d’une puce électronique directement implantée dans le cerveau de l'animal. Baptisé BrainGate, ce composant a été mis au point à l'Université Brown, aux États-Unis et il est capable de transmettre à un bras robotisé les différents signaux électriques provenant des neurones et correspondant à des ordres de mouvements.

En mai 2012, une nouvelle étape a été franchie puisque ce système d’interface cerveau-machine a été expérimenté pour la première fois sur un être humain. Dans cette expérience, une femme paralysée depuis plus de 15 ans est parvenue, grâce à ce type de dispositif regroupant 96 électrodes implantées dans le cortex (entre-temps amélioré grâce aux nouveaux algorithmes du neuroscientifique John Donoghue), à se saisir d’un thermos de café et à le boire à  l’aide d’une paille.

Si la tâche effectuée peut sembler simple pour une personne normale, il en va tout autrement pour une personne paralysée. C’est pourquoi cette expérience a eu un grand retentissement au sein de la communauté scientifique en montrant qu’il était bel et bien possible pour un être humain de commander uniquement par la pensée un enchaînement de gestes (Voir article Brown University et Nature).

Bien sûr, un long chemin reste à accomplir avant qu’un tel système puisse se banaliser et être proposé à l’ensemble des personnes souffrant de différents types de handicap. Il faudra notamment mettre au point un système non invasif, ne nécessitant pas l’implantation d’électrodes à l’intérieur du crâne et pouvant en outre communiquer sans fil de manière très fiable.

Bien que les mouvements permis par ce dispositif soient encore assez lents et maladroits, on mesure mieux le chemin parcouru quand on sait qu’en 2006, ce système permettait péniblement de faire bouger un curseur sur un écran d’ordinateur !

Parallèlement à ces recherches, une autre équipe de recherche américaine travaillant au sein de l'Université technique de Caroline du Nord, aux Etats-Unis, a testé pour la première fois avec succès, en octobre 2011, un implant, fixé dans le cerveau de plusieurs singes, qui permet à ces animaux de mouvoir un bras virtuel et de sentir des objets virtuels également (Voir article Nature).

Les singes ont progressivement appris à maîtriser l’utilisation de cet implant, fixé dans la partie contrôlant le mouvement de leur cortex, pour contrôler leur bras virtuel exclusivement par la pensée, et sentir ainsi la texture des objets qu'ils touchent, à travers des signaux électriques envoyés dans leur cerveau. Cette expérience vise notamment à concevoir un exosquelette qui pourrait permettre à des personnes totalement ou partiellement paralysées, de recouvrir l’usage de leurs membres en commandant ceux-ci directement par la pensée.

Comme le précise Miguel Nicolelis, qui dirige ces recherches à l’Université Duke, "Avec ce type de système, les patients pourront utiliser leur cerveau pour contrôler leurs mouvements, mais ils pourront aussi récupérer les sensations de leurs jambes, de leurs bras, de leurs mains. Pour montrer au grand public la faisabilité de ce genre de dispositif, nous essayons d’ailleurs de mettre au point une démonstration de notre prochain prototype qui serait présentée à l’occasion de la Coupe du monde de football 2014. Quand l'équipe brésilienne s'avancera sur le terrain, nous espérons que les joueurs seront accompagnés par deux adolescents tétraplégiques équipés de notre exosquelette".

En janvier 2012, le constructeur électronique chinois Haier avait pour sa part créé l’événement en présentant à l’occasion du célèbre « Consumer Electronics Show » de Las Vegas un prototype de télécommande permettant de changer de chaîne de télévision par la pensée ! (Voir You Tube). Bien qu’encore un peu lent et imparfait, ce système qui repose sur un casque sensoriel baptisé « Brain Wave », avait déjà fait forte impression et Haier s’est donné moins de cinq ans pour commercialiser les premières télécommandes cérébrales fiables pour téléviseur.

En avril 2013 (Voir Phys.org), des chercheurs de l'Université du Minnesota dirigés par le professeur He Bin, sont allés encore plus loin et ont mis au point un dispositif permettant de télécommander par la pensée de petits hélicoptères virtuels.

Ce système est d’autant plus remarquable qu'il ne nécessite plus l’implantation d’électrodes à l’intérieur du crâne et peut être intégré dans un simple casque porté par l’utilisateur. Dans sa configuration actuelle, il permet déjà d’atteindre un taux de réussite de 85 % dans l'épreuve qui consiste à faire évoluer l'hélicoptère virtuel à travers une succession d'anneaux.

Selon le professeur He Bin, « C'est en effet la première fois qu'une interface non-invasive de ce type permet la commande et la simulation d'un mouvement complexe dans un espace à trois dimensions et ce type de commande mentale va dans un futur proche changer la vie de nombreux malades souffrant de différents types de handicaps ».

Une autre avancée remarquable a été accomplie en août 2013 quand des chercheurs de l’Université d’Harvard ont présenté une nouvelle interface qui permet de contrôler les animaux par la pensée (Voir Extreme Tech).

Dans cette expérience fascinante, les scientifiques ont montré pour la première fois qu’il était possible de maîtriser la communication cerveau-machine dans les deux sens. L’expérimentateur humain a en effet réussi à transmettre ses instructions par la pensée à une machine et celle-ci est parvenue à son tour à interpréter la commande formulée par le cerveau humain et à la transmettre jusqu’au cerveau d’un rat, grâce à un faisceau d’ultrasons focalisés de haute intensité. C’est ainsi que l’expérimentateur a réussi, dans 94 % des cas, à déclencher par sa seule pensée les mouvements de la queue d’un rat ! S’appuyant sur ce premier succès, les chercheurs travaillent à présent sur l’interprétation et la transmission de pensées beaucoup plus complexes entre l’homme et l’animal.

Enfin, il y a quelques semaines, ces chercheurs ont franchi une nouvelle étape et sont parvenus à apprendre à des singes à contrôler le mouvement des deux bras sur un avatar en utilisant simplement leur activité cérébrale (Voir les articles Science Mag et Duke Health et nicolelis lab).

Pour permettre aux singes de contrôler ces deux bras virtuels, les chercheurs ont mobilisé près de 500 neurones – un record à ce jour - provenant de plusieurs régions des deux hémisphères cérébraux.

Après avoir analysé l’activité électrique produite par ce groupe de neurones, les chercheurs ont réussi à programmer l’interface informatique de manière à permettre aux bras virtuels d'être actionnés de la manière la plus précise possible.

Ensuite, il a suffi, si l’on peut dire, d’apprendre aux singes à diriger de plus en plus finement les bras de l’avatar, ce qui s’est fait en deux temps : d’abord en se servant de classiques manettes de jeu, ensuite en recourant uniquement à la pensée.

Comme cela était prévisible, au fil des années, les singes n’ont cessé d’améliorer leurs performances, ce qui s’est notamment traduit par une réorganisation structurelle et fonctionnelle de leur cerveau et par l’activation de nouveaux réseaux de neurones, ce qui confirme l’extraordinaire plasticité de cet organe. Mais le plus étonnant est que ces singes ont fini par considérer leurs bras virtuels comme leurs véritables membres et qu’ils les ont complètement intégrés dans la représentation mentale qu’ils se faisaient de leur corps. Au terme de cette extraordinaire expérimentation, on peut donc véritablement dire qu’il y a eu, selon la formule célèbre du grand neurobiologiste Antonio Damasio, « Une inscription corporelle de l’esprit ». 

L’ensemble de ces recherches et de ces avancées scientifiques montre que la « télécommande cérébrale » est à présent devenue un enjeu technologique et industriel majeur et sera sans doute une réalité avant la fin de cette décennie.

Plus largement, les interfaces et systèmes homme-machine directement pilotés par la pensée ont également profité des progrès récents de la neuronique. Il y a deux mois, des chercheurs de l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich ont par exemple annoncé qu’ils avaient mis au point une puce informatique capable d’imiter le cerveau humain et de reproduire certaines de ses capacités cognitives.

Cette "puce neuromorphique" a été développée dans le cadre du grand projet européen "Human Brain", qui vise à s'approcher du fonctionnement réel du cerveau humain de manière à franchir une nouvelle étape vers l’intelligence artificielle.

Comme le souligne Giacomo Indiveri, l'un des chercheurs dirigeant ces recherches, "Nous savions déjà comment configurer un système électronique pour le faire réagir en fonction de son environnement, mais nous ne savions pas comment ce même mécanisme fonctionnait dans un cerveau humain".

Ce nouveau type de composant électronique pourrait donc faire d’une pierre deux coups : d’une part, il devrait permettre de concevoir des androïdes beaucoup plus autonomes et capables de prendre des décisions pertinentes lorsqu’ils doivent faire face à des situations nouvelles.

Mais d’autre part, ces neuropuces devraient également accélérer la mise au point d’interfaces et de commandes cerveau-machine et permettre aux ordinateurs de devenir beaucoup plus intelligents en reproduisant et en utilisant certains processus cognitifs spécifiquement humains (Voir article University of Zurich).

Ces avancées théoriques et technologiques vont évidemment avoir des conséquences considérables sur le plan médical et social en permettant à des centaines de millions de personnes dans le monde, dont l’autonomie a été très altérée par la maladie, l’âge ou un accident, de retrouver un confort et une qualité de vie sinon normaux, du moins bien supérieurs à tout ce qu’on aurait pu imaginer il y a encore quelques années. Cette « autonomie augmentée » passera par de multiples outils et combinaisons technologiques : exosquelettes, neuroprothèses, membres robotisés, pilotage cérébral de robots autonomes…

Mais les conséquences éthiques et philosophiques de ces vertigineuses avancées scientifiques ne seront pas moins importantes. En effet, avec le développement et la généralisation, dans un futur pas si lointain, de ces dispositifs de commande cérébrale et de ces systèmes bioniques et neuroniques, des frontières ontologiques et conceptuelles longtemps considérées comme intangibles vont s’estomper : la séparation entre le naturel et l’artificiel, l’esprit et la matière, l’animé et l’inanimé va devoir être repensée !

Quant à notre intelligence, notre perception du monde et notre capacité d’action sur notre environnement, elles vont profondément se transformer et devenir intrinsèquement collectives, collaboratives et interactives. À côté des individus apparaîtront des milliards d’entités intelligentes et cognitives protéiformes, associant de manière irréversible hommes et machines, pour le meilleur et pour le pire…

Il nous appartiendra, face à cette prodigieuse évolution technologique, de veiller à ce que nous ne perdions pas notre âme, ni notre humanité en entrant dans cette nouvelle ère, porteuse d’immenses promesses mais aussi d’immenses interrogations.

René TRÉGOUËT

Sénateur Honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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  • zelectron

    22/11/2013

    La télépathie et le recueil des signaux électriques du cerveau n'ont pas à être confondus y compris dans le choix des mots, c'est dommage, à ceci près votre texte cher sénateur est excellent, comme toujours.

  • zelectron

    22/11/2013

    La télépathie et le recueil des signaux électriques du cerveau n'ont pas à être confondus y compris dans le choix des mots, c'est dommage, à ceci près votre texte cher sénateur est excellent, comme toujours.

  • zitoun06

    26/11/2013

    La question qui se pose de plus en plus est la maîtrise personnelle que nous pouvons exercer sur des "influenceurs" technologiques qui ne sont pas ( et seront de moins en moins) perceptibles ou décelables. Ceci est également vrai pour tous les traceurs que nous transportons. C'est toute la société et les principes démocratiques qui sont remis tres profondément en question. Pour l'instant, nous n'avons pas de leviers d'action en face de ces nouveaux pouvoirs. Quand on sait que Google va devenir le plus gros laboratoire de recherche médical du monde grâce au traitement du BigData qu'il héberge, je ne suis pas tranquille, ni comme citoyen ni comme individu. Mon métier? étudier la charnière entre monde virtuel et monde physique....

  • Nathalie13

    27/11/2013

    C'est navrant on croit progresser mais on délègue de plus en plus à la machine.
    La mémoire la pensée etc....
    La bêtise sera de la partie et on va même se reproduire via la machine.
    La philosophie et les pensées des civilisations sont complètement accessoires.
    Et le désir aussi il est désormais télécommandable et prévisible quelle avancée!
    Nous ne sommes pas des Dieux ni des êtres parfaits il faut l'accepter aussi.
    Le pouvoir sur .... une exaltation de l'humanité?

  • The_dalek

    30/11/2013

    C'est un nouvel outil qui est en train de naitre, c'est l'usage qui en est fait qui est bon ou mauvais, pas l'outil en lui même.

    Tous les usages sont possibles en bien comme en mal, c'est a chacun de nous de s'interroger sur la limite entre les deux

  • Johnk547

    30/04/2014

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  • Johnk615

    2/05/2014

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