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Edito : Cellules-souches : nous devons poursuivre les recherches

Il y a presque 20 ans, les équipes de recherche de James Alexander Thomson, Joseph Istkovitz-Eldor et Benjamin Reubinoff, parvenaient à produire les premières lignées de cellules-souches embryonnaires chez l’homme, faisant entrer la médecine dans une nouvelle ère, celle de la médecine régénérative, capable potentiellement de réparer au niveau cellulaire des lésions jusqu’alors irréversibles, causées par l’âge ou la maladie.

Pluripotentes, les cellules-souches embryonnaires ont en effet l’extraordinaire propriété de pouvoir se différencier en n’importe quel tissu de n’importe quel organe. Mais ce ne sont pas les seules cellules pluripotentes : depuis 2006, grâce aux remarquables travaux de l’équipe japonaise de Shinya Yamanaka - Prix Nobel de Médecine 2012 - on sait également produire, par modification génétique, des cellules-souches pluripotentes induites (IPS). Les cellules IPS sont obtenues à partir de cellules adultes différenciées dans lesquelles quatre gènes de pluripotence sont introduits. Grâce à cette reprogrammation génétique, ces cellules-souches pluripotentes induites peuvent se différencier en n’importe quel type de cellules et se multiplier indéfiniment.

Au cours de ces dernières années, sans que le grand public en ait toujours conscience, les thérapies cellulaires ont accompli des pas de géant et les promesses de la médecine régénérative, si longtemps annoncées, commencent enfin à se concrétiser.

Dans le traitement du diabète de type 1, une société de biotechnologie américaine, ViaCyte, va débuter  un essai clinique se fondant sur l’utilisation de cellules de pancréas productrices d’insuline obtenues à partir de cellules-souches embryonnaires. Les cellules à greffer sont encapsulées dans un disque sophistiqué, ce qui permet la diffusion contrôlée de l’insuline et du glucose, tout en protégeant le greffon d’une réaction immunitaire intempestive.

De son côté, des chercheurs de la société Defymed ont développé un pancréas bio-artificiel destiné à soigner le diabète insulino-dépendant. Ce pancréas synthétique utilise des cellules sécrétrices d’insuline dérivées de cellules-souches humaines embryonnaires. Il devrait faire l’objet d’un essai clinique sur l’homme d’ici deux ans.

Une autre société de biotechnologie américaine, Ocata Therapeutics, utilise des cellules-souches embryonnaires humaines différenciées en cellules de la rétine pour traiter une pathologie oculaire jusqu’à aujourd’hui incurable, la DMLA. Les chercheurs de cette société ont en effet réussi à développer des cellules de la rétine à partir de cellules-souches embryonnaires pour les injecter à des patients de plus de 50 ans souffrant de cette baisse irréversible d’acuité visuelle.

Dans le domaine de la cardiologie, une équipe Inserm de l’hôpital européen Georges Pompidou a pratiqué en octobre 2014 une greffe de cellules cardiaques dérivées de cellules-souches embryonnaires humaines, en s’appuyant sur les travaux des chercheurs de l’hôpital Saint-Louis. Deux mois et demi après cette intervention, la fonction cardiaque de la patiente, une femme âgée de 68 ans atteinte d’insuffisance cardiaque sévère, s’était nettement améliorée.

Dans le domaine neurocérébral, les cellules-souches sont également devenues des outils irremplaçables, tant comme instrument de recherche fondamentale que comme option thérapeutique nouvelle. C’est notamment le cas en ce qui concerne la compréhension des processus biologiques complexes qui régissent le fonctionnement d’une région clé de notre cerveau : l’hypothalamus. On sait depuis quelques années que certains processus inflammatoires touchant l’hypothalamus sont fortement impliqués dans le phénomène du vieillissement. Mais récemment, des chercheurs du collège de médecine Albert Einstein de New York ont pu établir qu’il était possible, en luttant contre l’inflammation de l’hypothalamus, d’augmenter sensiblement la durée de vie des souris. Ces mêmes chercheurs ont également pu établir un lien entre le déclin physique et mental des animaux et la disparition de cellules-souches dans leur hypothalamus.

En injectant des cellules-souches dans l’hypothalamus de souris jeunes et en pleine forme, ces scientifiques ont constaté que celles-ci voyaient leur durée de vie allongée de plus de 10 %... « Ce résultat démontre que les effets d'une perte de cellules-souches dans l'hypothalamus ne sont pas irréversibles et qu’il est en théorie possible de ralentir le vieillissement chez l’homme grâce à des injections contrôlées de cellules-souches dans le cerveau  », souligne Dongsheng Cai, l'un des scientifiques qui a dirigé ces travaux.

Autre avancée remarquable présentée il y a quelques semaines par deux laboratoires, RenovaCare et Avita Medical : le « pistolet à peau ». Cette innovation majeure vise à mieux prendre en charge les grands brûlés, qui gardent souvent des cicatrices indélébiles, douloureuses et parfois invalidantes en dépit des progrès considérables accomplis par les greffes de peau.

Cette technique consiste à prélever des cellules sur une partie de peau non atteinte. Ces cellules sont ensuite incorporées à une solution aqueuse, ce qui permet de pouvoir les pulvériser sur la blessure. La nature fait ensuite son extraordinaire travail de régénération et les premiers résultats cliniques obtenus sur quelques dizaines de patients sont extrêmement encourageants.

Une autre avancée concerne la production à la demande d’organes de substitution. En début d’année, des chercheurs du réputé Institut Salk, à La Jolla en Californie, ont pour la première fois réussi à produire des embryons-chimères contenant des cellules-souches humaines et porcines. Concrètement, ces scientifiques ont implanté des cellules-souches humaines, capables de se transformer en n'importe quel tissu, dans des embryons de cochon ensuite transférés dans l'utérus de truies porteuses. Les chercheurs ont laissé ces embryons se développer pendant quatre semaines, conformément à la loi américaine. Ils ont pu constater que les cellules humaines avaient commencé à former du tissu musculaire et se disent persuadés qu’à terme, sans doute d’ici une quinzaine d’années, il sera possible de cultiver des tissus ou des organes humains chez des animaux comme des truies.

En France, une équipe de recherche de l’Inserm a réussi pour la première fois, en octobre 2016, à créer un mini-intestin humain fonctionnel, qui possède ses propres cellules nerveuses, à partir de cellules-souches embryonnaires (Voir Nature Medicine). Pour créer cet organe en 3D, les scientifiques ont commencé par cultiver des cellules-souches pluripotentes humaines, pour les faire évoluer en tissu intestinal, y compris des cellules nerveuses intestinales, les crêtes neurales. Cet « organoïde » devrait constituer un nouvel outil de recherche précieux pour mieux comprendre de nombreuses pathologies digestives ou intestinales. « Cette technique à base de cellules-souches pourrait également permettre de cultiver des sections d’intestin sain pour le greffer à un patient » souligne le Docteur Michael Helmrath, l’un des chercheurs qui a dirigé ces travaux.

Il y a quelques semaines, une équipe américaine dirigée par Shahin Rafii est parvenue à utiliser directement des cellules endothéliales de souris adultes pour obtenir des cellules-souches sanguines. Ces dernières, injectées à des souris, se  sont mises à produire les différents types de cellules du sang. Cette technique révolutionnaire, lorsqu’elle aura fait la preuve de sa complète innocuité, pourrait enfin permettre d’accomplir un vieux rêve de la médecine : produire du véritable sang en quantité illimitée à partir des cellules de donneurs universels.

L’utilisation des cellules-souches est également en train de bouleverser les perspectives thérapeutiques dans le traitement de la maladie de Parkinson qui touche plus de 100 000 personnes en France. L’équipe de Jun Takahashi, de l’Université de Kyoto au Japon, vient en effet de réussir à traiter des singes atteints de cette pathologie à l’aide d’une thérapie cellulaire. Ces chercheurs ont transplanté des cellules dopaminergiques dérivées de cellules-souches induites animales chez des singes parkinsoniens.

Un an après cette greffe, les singes ayant reçu ces cellules dopaminergiques ont vu leurs troubles moteurs sensiblement diminués. Ces bénéfices, qui étaient toujours observables plus de deux ans après la transplantation, étaient comparables à ceux obtenus par un traitement avec de fortes doses de L-DOPA, le traitement de référence pour cette pathologie neurodégénérative. Le recours aux outils d’imagerie cérébrale a pu confirmer que ces nouveaux neurones greffés avaient non seulement survécu, sans entraîner d’inflammation ou des effets secondaires mais qu’ils avaient également développé des prolongements et sécrété de la dopamine. Fort de ces résultats encourageants, l’équipe du professeur Takahashi devrait débuter un essai clinique chez l’homme à la fin de l’année prochaine.

Toujours au Japon, des chercheurs, dirigés par le célèbre professeur Michinori Saito de l'Université de Kyoto du Japon, ont réussi à créer des ovules de souris à partir de cellules-souches en ajoutant de la vitamine A et des protéines (Voir The Japan Times). Ces chercheurs ont réussi à créer ces souches en utilisant un milieu de culture, qui ne contenait pas de cellules somatiques. « Si nous parvenons à appliquer cette découverte aux êtres humains, nous pourrons alors révolutionner le traitement de la fertilité », a déclaré le Professeur Saito.

Les thérapies à base de cellules-souches sont également en train de révolutionner la médecine dans la prise en charge d’une pathologie très répandue et invalidante : l’arthrose. Cette maladie, qui touche plus de dix millions de Français, résulte de phénomènes inflammatoires complexes qui entraînent à la longue une dégradation progressive, irréversible et douloureuse du cartilage qui recouvre les articulations osseuses.

Michel Assor, chirurgien orthopédiste à l'Institut du genou et des pathologies articulaires Arthrosport de Marseille, a montré que l'injection de cellules-souches mésenchymateuses prélevées dans la moelle osseuse du patient puis injectées dans l'articulation sous arthroscopie permettait la production de cellules cartilagineuses ou en cellules osseuses selon les besoins. « Le cartilage va recouvrir l'articulation en 4 mois, puis va s'épaissir du 12ème au 18ème mois », indique le chirurgien. Après plusieurs années d’expérimentation sur l’homme, cette nouvelle thérapie cellulaire révolutionnaire a déjà permis de traiter plus de 160 patients, avec un taux de réussite supérieur à 95 %.

Enfin, ces temps derniers, des chercheurs du CNRS et de l’Inserm ont annoncé qu’ils avaient réussi à  agréger des cellules-souches embryonnaires humaines sans matrice de soutien externe, uniquement avec l’aide d’aimants. Ces scientifiques sont parvenus à magnétiser les cellules-souches embryonnaires humaines en y intégrant des nanoparticules magnétiques. Ainsi magnétisées, ces cellules-souches peuvent être très facilement déplacées et empilées à volonté grâce à des aimants externes. Fait remarquable, l’incorporation des nanoparticules n’a pas eu d’impact sur le fonctionnement des cellules-souches, ni sur leur capacité de différenciation.

Rappelons qu’en France, depuis la révision de la loi de bioéthique de 2013, les recherches sur les cellules-souches embryonnaires sont autorisées mais ont été strictement encadrées. Pour obtenir le feu vert de l’agence de biomédecine, tout projet de recherche à base de cellules-souches doit satisfaire à des critères éthiques précis. Il faut notamment que les chercheurs apportent la preuve que leurs recherches peuvent déboucher sur des progrès médicaux majeurs et ne peuvent être menées à bien sans le recours à ces cellules-souches embryonnaires. En outre, les autorisations accordées le sont toujours pour une durée limitée et chaque projet de recherche dans ce domaine fait l’objet d’une réévaluation régulière qui en apprécie la pertinence. La loi prévoit également que les cellules-souches embryonnaires utilisées par ces recherches proviennent d’embryons surnuméraires conçus dans le cadre d’une procréation médicalement assistée ne faisant plus l’objet d’un projet parental, après information et consentement écrit et révocable du couple concerné.

Pourtant, en dépit de ce cadre légal très encadré et très strict, les recherches utilisant des cellules-souches embryonnaires continuent de susciter des interrogations et des oppositions de la part d’une partie de l’opinion publique qui en conteste le principe même, pour des raisons religieuses et éthiques et demande l’interdiction totale de l’utilisation des cellules-souches embryonnaires et leur remplacement par un recours exclusif à des cellules-souches pluripotentes induites qui ne proviennent pas d’embryons humains.

En 2016, des chercheurs de l'Université de Nouvelle-Galles du Sud, en Australie ont présenté une étude (Voir PNAS) qui va peut-être faire sauter l’obstacle majeur à la généralisation de l’utilisation des cellules-souches, en contournant la question éthique liée à l’utilisation des cellules-souches embryonnaires. Cette équipe est en effet parvenue, à l’aide d’un traitement chimique relativement simple, à transformer des cellules adultes humaines provenant des tissus osseux et graisseux en cellules-souches multipotentes, appelées cellules multipotentes induites (iMC), qui possède la capacité de se transformer  en tous types de cellules de l’organisme.

Mais avant de pouvoir substituer ce nouveau type de cellules-souches multiples tant induites aux cellules-souches embryonnaires pour poursuivre leurs recherches dans le domaine des thérapies cellulaires, les scientifiques vont devoir poursuivre pendant encore de longues années des recherches destinées à évaluer et à vérifier l’innocuité réelle par rapport aux cellules-souches embryonnaires, de ces cellules IPS et iMC chez l’homme. Il s’agit notamment de vérifier si l’utilisation de ces nouveaux types de cellules-souches chez l’homme, du fait de leur reprogrammation chimique et génétique, ne risque pas d’entraîner à terme des effets délétères.

Dans l’état actuel des connaissances scientifiques et médicales, la très grande majorité des chercheurs considère que ces différents types de cellules-souches constituent des outils de recherche complémentaires et qu’il n’y a pas lieu d’opposer cellules-souches embryonnaires et cellules-souches pluripotentes ou multipotentes induites.

En outre, les grands pays développés de la planète ont pris conscience des enjeux scientifiques, technologiques, industriels et économiques considérables qui caractérisaient ces recherches sur les cellules-souches, dont la finalité est de faire entrer la médecine d’ici une génération dans l’ère de la reconstruction et de la régénération cellulaire. Il existe donc dans ce domaine hautement stratégique de recherche une compétition économique et scientifique acharnée qui ne cesse de s’exacerber alors que les découvertes et avancées en matière de cellules-souches s’accélèrent.

Dans un tel contexte il est plus que jamais indispensable que les chercheurs de notre pays, qui occupent - et l’on doit s’en féliciter - une place de tout premier rang dans ce domaine de recherche scientifique, puissent continuer à poursuivre leurs travaux sans être entravés, voire paralysés par un cadre législatif excessivement contraignant.

Il me semble plus que souhaitable que la prochaine révision des lois bioéthiques, qui devrait intervenir en 2018, tout en garantissant des garde-fous éthiques nombreux et stricts, comme cela est déjà le cas actuellement, tienne également compte des demandes réitérées avec force par plusieurs de nos plus brillants chercheurs en biologie et permette la poursuite de l’utilisation des cellules-souches embryonnaires, dans la mesure où cette voie de recherche reste et restera pendant des années indispensables à la progression de la connaissance scientifique et au développement de nouvelles solutions thérapeutiques pour de nombreuses maladies graves et parfois incurables.

Bien que la voie soit étroite dans ce domaine, où l’emportent souvent les passions et les considérations idéologiques, philosophiques ou religieuses, je crois qu’il est particulièrement important d’éclairer les questions éthiques réelles et justifiées que posent ces avancées scientifiques par un débat démocratique de qualité, honnête et approfondi, qui sache bien entendu écouter les craintes et les réserves exprimées par une partie de l’opinion publique mais entende également les attentes de la communauté scientifique et les espoirs des nombreux malades qui attendent un horizon thérapeutique nouveau.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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