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Edito : Bioéthique : Attention, c'est là que se joue l'avenir de l'Humanité...}

Depuis quelques semaines, une série d'annonces scientifiques concernant les sciences de la vie est venue nous rappeler que les extraordinaires progrès de la médecine et de la biologie vont nous confronter de manière permanente à des questions éthiques majeures. Ces annonces, qui auraient relevé de la science-fiction il y a à peine 10 ans, nous montrent à quel point notre société doit organiser une réflexion approfondie sur la finalité de la science, notamment dans ce domaine en pleine effervescence des sciences du vivant. La première annonce émane de la prestigieuse université de Stanford, en Californie. Elle a annoncé le 10 décembre qu'elle allait cloner des embryons dans le cadre de recherches sur les cellules souches, une démarche annoncée comme une première aux Etats-Unis (

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www.latimes.com/news/nationworld/nation/la-na-stem11dec11.story ). Jusqu'ici, les cellules souches embryonnaires étaient cultivées à partir d'embryons existants, issus notamment d'instituts pratiquant la fécondation in vitro. Aucun laboratoire de recherche ne clonait des embryons dans le but d'en extraire ces cellules. Ce clonage servira à produire des cellules souches dans le cadre de recherches pour mettre au point des traitements innovants contre le cancer, mais aussi contre le diabète, les maladies cardio-vasculaires et la maladie de Parkinson. La seconde annonce a été faite il y a quelques jours par l'américain Craig Venter, devenu célèbre pour avoir été le premier à décrypter le génome humain. Il a décidé de se lancer dans une nouvelle aventure : créer une nouvelle forme de vie synthétique. Ce projet de recherches, qui soulève d'importantes questions éthiques, vient de recevoir une subvention de trois millions de dollars du département américain de l'Energie, a annoncé Craig Venter, président de l'Institut pour des alternatives à l'énergie biologique (IBEA), basé à Rockville dans le Maryland (voir article

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wp-dyn/articles/A21860-2002Nov21.html ). L'idée consiste à mettre au point un génome synthétique qui serait le premier pas vers la mise au point à long terme de "sources d'énergie biologique efficaces et rentables", a expliqué l'ancien patron de Celera Genomics. "Nous pensons que la construction d'un chromosome synthétique est un pas important" vers la mise au point de sources d'énergies alternatives, "car nous pourrions alors concevoir par ingénierie un organisme doté des qualités idéales pour faire face aux problèmes énergétiques", a expliqué M. Venter, associé pour ce projet au prix Nobel de médecine 1978, Hamilton Smith. Pour y parvenir, ils envisagent de créer, à partir d'une bactérie simple, un organisme unicellulaire, dont le génome aurait été conçu partiellement de la main de l'homme. Cette "cellule" inédite disposera d'un génome modifié, dans lequel n'auront été conservés que le strict minimum de gènes requis pour rester en vie, se nourrir, se diviser et donner ainsi naissance à une colonie d'organismes identiques. Pour des raisons de sûreté, cette bactérie synthétique serait modifiée de façon à ne pas pouvoir infecter l'homme. Elle restera confinée en culture, dans un laboratoire, et sera conçue pour mourir, au cas où elle arriverait à échapper à un tel environnement. Une fois cet organisme "minimaliste" fabriqué, les chercheurs envisagent une foule d'applications pratiques. Il suffit alors d'ajouter, un à un, les gènes correspondants aux fonctions désirées : par exemple, la production d'hydrogène ou la décomposition du gaz carbonique issu des rejets toxiques industriels. Cette bactérie a la particularité d'avoir le plus petit génome de tous les organismes connus capables de se répliquer de façon autonome. Elle constitue donc un candidat idéal au génome minimal. Le M. genitalium contient le nombre de gènes le plus faible connu, seulement 517 contre environ 34.000 pour un être humain. Les chercheurs pensent qu'elle pourrait survivre avec seulement 265 à 350 d'entre eux. L'expérience consisterait à extraire le matériel génétique de la cellule, à fabriquer un chromosome artificiel avec le minimum de gènes requis, et à réintroduire celui-ci à l'intérieur de la cellule vide, dont la viabilité sera ensuite testée. Parmi les gènes "effacés" figureraient ceux conférant à la bactérie la faculté d'adhérer aux cellules humaines, ainsi que ceux lui permettant de survivre dans un environnement hostile. Ce n'est pas la première fois que Venter caresse l'idée de recréer la vie «in vitro» avec un minimum de gènes. Cette fois, peut-il réussir ? «L'équipe va rencontrer des problèmes scientifiques à chaque étape de ses travaux, avertit Philippe Glaser. La connaissance de tous les gènes est une chose, mais être capable de les exprimer pour produire la bonne quantité de protéines au bon moment est une toute autre affaire.» Un succès serait néanmoins une remarquable première pour la biologie fondamentale. «Nous nous demandons s'il est possible d'établir une définition moléculaire de la vie», a expliqué Craig Venter au Washington Post. «Ce serait un point très important pour le débat théorique qui consiste à savoir si le principe de l'ADN codant suffit ou non à définir la vie», confirme Stéphane Aymerich. Reste que ce projet de recherche, pour fascinant qu'il soit, pose de redoutables questions éthiques. Craig Venter a préféré devancer les critiques. Il souligne dans son communiqué qu'un comité de bioéthique américain avait donné, en 1999, le feu vert aux recherches sur les bactéries synthétiques. Il affirme qu'elles seront conçues de façon à être incapables de survivre hors de leur milieu de culture. Mais sur une voie de recherche aussi nouvelle, comment être certain, en dépit des précautions prises, que tous les risques liés à la fabrication d'une forme de vie artificielle pourront être maîtrisés ? Hasard du calendrier, alors que Venter annonçait son audacieux projet, la société Clonaid, une société de clonage humain liée à la secte des Raëliens, annonçait que cinq grossesses obtenues par implantation d'un embryon humain cloné étaient en cours et que la première naissance par clonage d'une petite fille d'un couple américain, était attendue d'ici la fin de l'année. Le professeur et gynécologue italien Severino Antinori annonce, pour sa part, la naissance du premier bébé créé par clonage pour le début janvier 2003 (voir article

uk/1/hi/sci/tech/2517351.stm">http://news.bbc.co.

uk/1/hi/sci/tech/2517351.stm). Ces annonces de clonages humains imminents ont provoqué une vive désapprobation de la communauté scientifique qui souligne à nouveau les risques très grands de graves malformations pour ces bébés issus d'un clonage humain. Il n'empêche qu'une minorité de scientifiques, par inconscience, cupidité ou désir de célébrité, semble prêt à transgresser ce tabou du clonage humain et à franchir une limite éthique fondamentale. Au même moment, aux Etats Unis, un autre débat éthique agite la communauté scientifique à la suite de l'annonce, par une équipe de recherche américano-canadienne, d'un projet de création d'un hybride homme-souris. "L'objectif serait de tester différents types de cellules souches d'embryon humain pour leur qualité et leur utilité potentielle dans le traitement de maladies spécifiques" a expliqué l'un des participants". Un tel hybride serait une souris qui n'aurait que quelques cellules humaines. Mais déjà certains scientifiques ont mis en garde contre les inquiétantes conséquences qui pourraient découler de telles expériences alors que d'autres experts ont assuré que des garde-fous pouvaient empêcher tout résultat non désiré. La plupart des chercheurs semble être d'accord sur l'importance et la valeur de la recherche sur les cellules souches homme-animal, car une telle expérimentation pourrait aider à comprendre comment des cellules humaines se développent avec des maladies génétiques. Mais ces scientifiques soulignent qu'avant tout feu vert, il est indispensable d'en débattre scientifiquement et de porter ce débat devant l'opinion. Enfin, en Grande Bretagne, un chirurgien britannique, le Professeur Peter Butler, vient d'affirmer qu'il avait les moyens techniques d'effectuer une greffe complète de visage, incluant non seulement la peau, mais aussi les muscles, le cartilage et les veines. (voir article

2516181.stm">http://news.bbc.co.uk/1/hi/health/

2516181.stm). Il vient de déposer dans ce sens une demande auprès du Ministère de la Santé. Selon lui un quinzaine de personnes en Grand Bretagne seraient susceptibles de bénéficier d'une telle opération qui durerait 9 heures mais serait finalement plus simple et plus efficace, dans les cas les plus graves (personnes défigurées par un accident ou un cancer) que de multiples greffes de peau. Mais une telle opération suscite également un sérieux débat éthique en Grand Bretagne car le nouveau visage greffé ne pourrait être prélevé que sur un cadavre et le bénéficiaire de la greffe devrait non seulement s'habituer à un visage étranger mais accepter également l'idée d'avoir le visage d'une personne décédée. Bien que ces différentes annonces scientifiques aient été faites presque simultanément, à quelques jours d'intervalle, elles ne sont bien sûr pas comparables et on ne peut pas les mettre sur le même plan car elles ont évidemment des implications et des conséquences sociales et éthiques très différentes. Néanmoins toutes ces annonces récentes ne peuvent pas nous laisser indifférents et nous posent une question commune essentielle : celle du nécessaire contrôle démocratique et éthique des progrès de la science. Alors qu'en cette fin d'année 2002, la biologie connaît cette extraordinaire effervescence, dont nous venons de donner quelques exemples, nous ne pouvons que nous féliciter de la décision du gouvernement français qui a décidé de représenter devant le Parlement le projet de loi sur la bioéthique après l'avoir complété. Nous devons également soutenir la prise de position éthique très forte du Président de la République qui vient à nouveau de demander l'interdiction solennelle du clonage humain par l'ONU. Face aux avancées vertigineuses de la biologie, notre société doit se donner les moyens et les outils d'une réflexion et d'un contrôle qui puissent, sans y faire obstacle, orienter et encadrer ce progrès scientifique afin de lui donner un sens et une dimension d'humanité.

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

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