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Edito : Les biocarburants de deuxième génération issus de la biomasse et de la mer pourraient changer la donne énergétique

Après la Banque mondiale, c'est au tour de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) de s'inquiéter de la vogue des agrocarburants destinés à limiter les émissions de gaz à effet de serre dans le domaine des transports.

Faire passer de 1 % à 11 % la part d'agrocarburants dans la consommation totale de carburants d'ici à 2050 n'ira pas sans bouleversements majeurs. "En théorie, écrivent les auteurs, il y a assez de terres sur le globe pour nourrir une population en expansion tout en produisant suffisamment de biomasse." Mais "la transformation des terres pour la production d'énergie à partir de la biomasse poussera les prix alimentaires vers le haut". L'OCDE s'attend à une progression de 20 % à 50 % au cours de la prochaine décade. Le bilan n'est pas fameux non plus en termes environnementaux, souligne le rapport, car la tentation sera grande "de remplacer les écosystèmes comme les forêts, les zones humides et les pâturages par des cultures destinées aux agrocarburants".

A ceux qui font valoir que les réductions de gaz à effet de serre peuvent être réduites de 40 % par l'emploi d'agrocarburants à la place de l'essence classique, il est répondu que l'éthanol et le biodiesel peuvent se révéler plus dommageables, si l'on prend en compte l'acidification des sols qui en résultera, l'usage des engrais et des pesticides et les atteintes à la biodiversité. Le rapport conclut que "la capacité des agrocarburants à couvrir une part importante des besoins énergétiques des transports sans nuire aux prix alimentaires ou à l'environnement est très limitée".

L'avenir de l'éthanol au Québec serait dans les résidus forestiers et les matières résiduelles plutôt que dans le maïs. " Le secteur forestier est mal en point, c'est le bon moment pour reconfigurer et revitaliser cette industrie ", estime Esteban Chornet, qui travaille sur cette question depuis plus de vingt ans à l'Université de Sherbrooke. La production d'éthanol, à partir de matières ligneuses comme les copeaux de bois, les résidus de coupe ou de procédés industriels, permettrait de générer des revenus intéressants pour le secteur forestier tout en représentant un gain appréciable sur le plan environnemental. Les matières résiduelles pourraient également être transformées en éthanol, ce qui éviterait notamment la production de méthane lors de leur décomposition, ce gaz ayant un impact important sur l'effet de serre.

Le gouvernement provincial vient d'annoncer, en partenariat avec le secteur privé, le lancement d'une chaire de recherche sur l'éthanol cellulosique à l'Université de Sherbrooke. Deux usines pilotes seront également implantées dans les Cantons de l'Est. L'une des usines témoins utilisera les matières résiduelles pour fabriquer l'éthanol, tandis que l'autre se servira de résidus forestiers. La décision de bâtir une usine commerciale, qui produirait de 40 à 80 millions de litres d'éthanol par année, devrait être prise au premier trimestre de 2009, affirme le professeur Esteban, également actif au sein de l'entreprise Enerkem.

L'éthanol cellulosique, ou éthanol de seconde génération, offre des bénéfices environnementaux supérieurs à ceux du carburant fabriqué grâce au maïs. Les rejets de gaz à effet de serre pourraient s'avérer de 80 % moins importants que ceux générés par l'essence. Le pourcentage est proche de 15 % avec l'emploi d'éthanol de maïs, selon un article publié par le magazine scientifique Science. " L'éthanol cellulosique est plus énergétique que l'éthanol de maïs et il fait appel à des matières abondantes non utilisées dans la production alimentaire, précise un rapport de l'ONG américaine Union of Concerned Scientists. Malheureusement, la technologie n'en est pas encore à la phase commerciale.

"Cette étape approche toutefois à grands pas. L'entreprise Iogen est à l'origine depuis 2004 d'installations témoins à Ottawa - les seules au monde, soutient la porte-parole Mandy Chepeka. Ces installations ont une capacité de 2,5 millions de litres par année, et l'entreprise se prépare maintenant à passer à la production commerciale. Le Département américain de l'Énergie a d'ailleurs annoncé en mars dernier l'octroi de subventions de 385 M$ afin de construire six usines commerciales d'éthanol cellulosique. À plein régime, ces usines produiraient 500 millions de litres d'éthanol par année.

En Allemagne, le centre de recherche de Karlsruhe a présenté son procédé "bioliq" : il permet de transformer des résidus forestiers et agricoles en carburants synthétiques. Sa qualité serait supérieure à celle des autres biocarburants et même des hydrocarbures. Afin de produire des carburants de synthèse de haute qualité et des matières premières chimiques, la biomasse est l'unique source renouvelable. Ces carburants de synthèse (baptisés aussi BtL, "Biomass to Liquid") évitent une hausse de la teneur en CO2 de l'atmosphère, diminuent la quantité de résidus de combustion nuisant à la santé et au climat et réduisent la dépendance en matières premières fossiles. Les carburants BtL satisferaient aux exigences actuelles et futures des techniques de moteurs et des normes d'émissions polluantes.

Au sein du centre de recherches de Karlsruhe, ce procédé développé en 2 étapes, permet d'utiliser différents constituants de la biomasse, à teneur énergétique le plus souvent faible. Il répond de même aux exigences de la production à grande échelle et à sa viabilité économique. La biomasse est transformée en un produit intermédiaire fluide, facilement transportable et à haute valeur énergétique via une rapide pyrolyse : elle satisfait aux exigences économiques pour être amenée sur de longues distances jusqu'à des installations importantes pour la production de gaz de synthèse ou de carburant.

Les principaux résidus utilisables dans ce procédé sont la biomasse sèche (pailles, foin, diverses chutes de bois, découpe d'arbre, écorce), le papier et le carton. Le procédé "bioliq" constitue un grand potentiel dépassant de loin les biocarburants de la première génération (le biodiesel et le bioéthanol) grâce à cette vaste palette de résidus agricoles et forestiers. L'autre atout : la totalité d'un végétal peut être utilisé. Selon les indications de l'agence des matières premières renouvelables (FNR), les résidus de la biomasse pourraient couvrir 15 % des besoins en carburant en Allemagne en 2015 : point important, la production alimentaire ne serait pas menacée.

Mais, à côté de nos forêts, la mer pourrait devenir une source importante de biomasse et de biocarburant. Le programme Rotterdam Climate Initiative, dont font partie la municipalité et le port de Rotterdam notamment, a réuni récemment des spécialistes de l'énergie et de l'industrie des algues à Rotterdam, pour discuter du rôle des algues dans la production d'énergie durable.

Les algues n'ont besoin que de lumière du soleil, de CO2 et d'eau avec des oligo-éléments, du phosphate et de l'azote, pour se développer. Les variétés d'algues les plus adaptées pour la production de biocarburant sont les algues vertes unicellulaires, micro-organismes primitifs situés en dessous des plantes. On peut utiliser 99 % de leur masse pour fabriquer des médicaments, des matières colorantes, des plastiques biologiques ou des biocarburants. Environ 40.000 litres de biocarburant par hectare peuvent être produits chaque année, ce qui représente un rendement important.

Les algues sont surtout cultivées dans des systèmes d'étangs ouverts. Un photobioréacteur qui permettra de contrôler précisément certains paramètres est actuellement expérimenté pour une culture en système fermé. Mais la grande quantité de verre nécessaire pour une culture en batch empêche la production à l'échelle industrielle. La culture des algues à l'avantage de produire de l'énergie durable sans concurrencer l'agriculture. En effet, les bassins ou les réacteurs sont placés en mer ou dans les villes.

En France, les chercheurs du Laboratoire océanographique de Villefranche-sur-Mer (LOV) travaillent sur un produit énergétique étonnant. Capable de faire tourner un moteur, il est fabriqué à partir d'organismes microscopiques poussant dans l'eau douce ou l'eau de mer : des microalgues. Produites par photosynthèse, elles peuvent contenir jusqu'à 60 % de leur masse en lipides. Avec cent grammes d'huile extraits d'un litre de microalgues, la promotion de ces cellules permet donc d'espérer un rendement à l'hectare trente fois supérieur à celui du colza ou du tournesol !

Ces recherches et ces avancées viennent à point nommé car les biocarburants actuels suscitent de plus en plus d'interrogations et de scepticisme quant à leur impact réel sur l'environnement. Au-delà de la déforestation et de la consommation d'énergie que leur culture implique, ils peuvent mener dans certains pays une rude concurrence aux produits destinés à l'alimentation. Selon des experts, il faudrait en effet planter l'équivalent de la surface de la France en oléagineux pour faire rouler toutes les voitures du pays. D'où la nécessité d'inventer un nouveau carburant à bas prix, non polluant, économe en énergie et qui ne prenne pas la place des cultures terrestres.

Les microalgues pourraient satisfaire à tous ces critères. Le Programme National pour la Recherche en Biotechnologies (PNRB), via l'Agence Nationale de la Recherche (ANR), a donc décidé de financer sur trois ans ce projet qui s'élève à 2,8 millions d'euros. Le nom de code du programme : Shamash. La mission des chercheurs, venus de sept équipes universitaires françaises est désormais de trouver la microalgue capable de produire le plus de biocarburant et de rendre cette production rentable.

Les chercheurs ont déjà institué un processus de fabrication non polluant. L'élaboration d'algues en bassin permet la récupération et le recyclage de substances minérales néfastes pour l'environnement. Qui plus est, les stations de production d'algues seront couplées avec des stations de production de carbone afin de recycler les émissions de CO2 grâce à l'énergie solaire.

À l'heure actuelle, le litre de carburant d'algue coûte plus cher que le pétrole. Mais plusieurs éléments permettent d'espérer, à terme, une bien meilleure rentabilité. Certaines microalgues contiennent des molécules à haute valeur ajoutée, comme les oméga 3 et les antioxydants, très recherchées dans le domaine de l'agroalimentaire ou de la cosmétique. « En améliorant les procédés de séparation des différentes molécules et en stimulant les microalgues selon certains procédés, on pourrait faire de la coproduction et diviser les coûts », estime Antoine Sciandra, directeur de recherche au CNRS.

Au Danemark, la laitue de mer (Ulva lactuca), une belle et grande algue d'un vert cru, pousse vite et bien, nettement mieux que le blé, qui sert justement à fabriquer du bioéthanol. Pour les Danois, l'intérêt est évident. Les surfaces agricoles manquent un peu d'espace (le pays produit environ 5 millions de tonnes de blé contre, bon an mal an, 35 millions pour la France). Si on la compare au blé, la laitue de mer gagne sur la plupart des terrains.

Non seulement sa croissance est plus rapide (l'algue double son poids tous les trois à quatre jours) mais, à surface égale, la production de biomasse (sans eau, donc) est considérable. Alors que, poussée au maximum, la production de céréales ne dépasse pas dix tonnes à l'hectare, il serait possible, d'après les chercheurs, d'atteindre entre 200 à 500 tonnes avec la laitue de mer ! Pour le Danemark, la potentialité serait de 80 à 100 tonnes. En outre, cette algue est plus riche que le blé en sucres, la matière première pour la synthèse de l'éthanol.

Facile à cultiver, la laitue de mer a même tendance à proliférer naturellement sur les milieux côtiers pollués par des rejets organiques (elle adore les composés soufrés et nitrés résultant de leur décomposition). Sa simple récolte pourrait donc servir à atténuer ses mauvaises odeurs, relancer l'oxygénation des zones polluées et fournir du biocarburant.

Au rythme d'augmentation du prix des carburants fossiles, et compte tenu de l'impact environnemental de plus en plus contesté des biocarburants de première génération et de leur effet négatifs sur la hausse des prix des céréales, ces biocarburants de deuxième génération, issus de nos forêts et de nos océans pourraient s'avérer rentables d'ici 5 ans à condition de poursuivre au niveau européen notre effort de recherche dans ce domaine. Sans constituer une panacée, ces biocarburants véritablement écologiques, et n'entrant pas en concurrence avec les cultures vivrières, pourraient permettre d'accélérer sensiblement la mutation des transports vers l'ère de l'après-pétrole et contribuer ainsi à lutter encore plus efficacement contre le réchauffement du climat dont la réalité et l'ampleur viennent encore d'être confirmées par le dernier sommet du GIEC à Valence.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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