RTFlash

Edito : Avec la Télévision Numérique Terrestre, nous allons vers une nouvelle catastrophe

Le débat qui secoue actuellement le monde de l'audiovisuel au sujet de la TNT (Télévision Numérique Terrestre) ne peut et ne doit pas être dissocié du débat fondamental que doit mener maintenant sans retard la France pour accélérer son entrée dans la Société de l'Information. La convergence entre notre téléphone, notre téléviseur et notre ordinateur qui était annoncée depuis de nombreuses années est en train de se dérouler sous nos yeux, souvent avec de profondes et authentiques convulsions. Dans de courtes années, la mue qui se sera effectuée dans la douleur donnera naissance à un nouveau système hybride qui changera la vie de chacun d'entre nous. Pendant cette phase de mutation, les responsables des trois mondes que nous sommes en train de quitter voudraient que le nouveau monde qui va émerger reprenne le plus grand nombre possible de « gènes » de leur monde actuel. De voir ainsi les responsables de la télévision analogique se battre avec l'énergie du désespoir pour entrer dans le monde du numérique a quelque chose de pathétique... Mais ceux qui ont en charge l'avenir de la France, que ce soit au niveau politique, culturel, économique et social, ont le devoir de tenir un discours clair qui ne devra pas être démenti par le Futur. Malgré la proximité d'échéances électorales et la puissance bien connue du lobbying du monde de l'audiovisuel, il est nécessaire d'éclairer, sans ombre, la voie qu'il nous faudra suivre. En effet, comme cela se vérifie de façon constante depuis plusieurs décennies maintenant, même dans notre Pays fortement imprégné par le colbertisme, il n'y a qu'un sujet déterminant qui décide du sort de toutes les grandes opérations de masse : c'est le client. Or, chaque Français est un client potentiel du téléphone, du téléviseur et même dans quelques années de l'ordinateur. Il va très vite découvrir les potentialités décuplées de son nouvel outil hybride et multiforme qui, très vite maintenant, remplacera le téléphone, le téléviseur et même l'ordinateur qui déjà peuplent son environnement. Depuis quelques années, nous entendons alternativement les responsables du monde du téléphone, puis ceux du monde de l'ordinateur, puis ceux enfin du monde du téléviseur, affirmer avec force et conviction que la meilleure fenêtre pour entrer dans l'avenir passe par l'écran qui ouvre sur leur propre monde. Cela est légitime et compréhensible. Avec le monde du téléviseur, le débat change de dimension et surtout de nature. En effet, le téléviseur, même si demain il utilise les technologies numériques, n'est rien en lui-même si nous ne prenons pas en considération tout le monde des contenus audiovisuels qui se pressent derrière l'écran. Retirer un peu de pouvoir à ce monde audiovisuel qui maîtrise depuis bientôt un demi-siècle la télévision provoque, par manque d'explication sinon de considération, le même émoi que si nous annoncions à tous les « saltimbanques » qu'ils n'ont plus librement accès à la scène. Or, le client - téléspectateur ira toujours avec bon sens là où les spectacles sont les meilleurs, là où sa recherche de distraction mais aussi, espérons-le, d'intelligence, sera la mieux assouvie. Mais ce client téléspectateur sera aussi à d'autres moments client du téléphone et client de l'ordinateur, surtout pour naviguer dans ce nouveau monde Internet qui, actuellement, émerge. Ce client de la Société de l'Information, avec discernement, choisira, après quelques tâtonnements, le système le plus naturel, le plus simple d'usage mais aussi le plus fiable qui lui permettra de voir dans de bonnes conditions sur un grand écran tout ce qu'il voit déjà sur son téléviseur. Notre ordinateur mono-poste et mono-écran auquel nous sommes habitués va s'effacer pour se louer avec des écrans divers et nombreux dans tous nos lieux de vie, à domicile ou au travail et souvent dans des objets usuels qui peuplent déjà notre environnement quotidien. Le téléphone qui, dans ces dernières années, a montré ses ouvertures sur l'avenir en autorisant une grande liberté grâce à la mobilité a bien d'autres ambitions, lui aussi, en s'unissant étroitement à l'écran. En définitive, quels que soient les grands plans internationaux, nationaux ou le lobbying qui pourra être conduit par les grands groupes mondiaux, c'est notre client de base de cette Société de l'Information qui décidera du sort définitif de telle ou telle technologie. Ce client dépense aujourd'hui chaque mois une certaine somme pour accéder au téléphone, à la télévision, à Internet. Ce serait une erreur de croire, parce que ces trois mondes vont se fondre en un seul, que ce client serait prêt à casser sa tirelire et accepter une augmentation délirante pour qu'il entre dans ce monde numérique. Aussi, il est important que les initiateurs des grands projets qui exigent des financements publics massifs, comme l'est la Télévision Numérique Terrestre, réfléchissent bien sur la pertinence de la voie qu'ils préconisent en essayant d'imaginer, avec pragmatisme, si c'est bien celle qui sera en définitive choisie par le client de base. Je pense que nous disposons maintenant de suffisamment d'éléments pour pouvoir affirmer que la TNT (Télévision Numérique Terrestre) n'est pas la meilleure voie pour entrer dans la Société de l'Information et même pour donner son véritable avenir au monde de la télévision. Pourquoi ?

Pour diverses raisons que je vais succinctement énumérer :

1°) En obligeant tous les téléspectateurs à acquérir un nouveau téléviseur ou à louer un convertisseur (dénumérisateur ou numérisateur), ce marché de la TNT exige des Français de faire dorénavant un choix entre un ordinateur et un téléviseur. Là où il était vrai il y a quelques années encore qu'ils auraient été quasi unanimes à choisir le téléviseur, une majorité, qui se renforce de jour en jour, choisirait dorénavant l'ordinateur. La TNT arrive trop tard.

2°) Au niveau des coûts pour le téléspectateur de base, malgré les forts investissements publics, le coût d'accès global à la TNT sera de même niveau que l'accès au satellite ou au câble.

3°) Pour la voie de retour, permettant une réelle interactivité large bande, la TNT souffrira du même handicap que le satellite. Là, le câble creusera vite l'écart car chacun va rapidement prendre conscience que ce vecteur est le seul qui peut permettre à chacun d'accéder à une télévision numérique de grande qualité, au téléphone mais aussi à l'Internet haut débit.

Il va donc falloir que, dans ces prochains mois, la France fasse enfin des choix.

Si nous nous engageons massivement dans la Télévision Numérique Terrestre en y engouffrant les 20 milliards de francs qui sont actuellement demandés pour ne couvrir qu'une partie de la population française, c'est autant d'argent qui manquera et c'est surtout autant de temps qui s'ajoutera au retard que nous avons déjà pris pour la nécessaire numérisation de l'ensemble de la France. Avons-nous bien conscience que la politique aberrante qu'a menée la France depuis 20 ans dans le domaine majeur de l'audiovisuel avec le D2 MAC, les satellites TDF1 et TDF2, les réseaux câblés arborescents dont la construction fut confiée à l'opérateur national des télécoms, l'autorisation « hors des normes » délivrée à un opérateur pour développer la télévision payante, etc... a fait prendre un cruel retard à notre Pays pour entrer dans la Société de l'Information ?

Allons-nous continuer ?

Tous les grands pays qui sont nos concurrents de l'avenir ont déjà fortement numérisé avec des réseaux câblés une grande partie de leur territoire. Ainsi, 91 % de nos voisins, les Allemands, reçoivent la télévision sur le câble et non par faisceau hertzien. Le pourcentage est encore plus élevé dans les pays du Nord de l'Europe. Quand on sait que ce câble qui irrigue déjà les pays les plus avancés du monde pourra, au-delà de la télévision, également apporter le téléphone et surtout Internet à haut débit, nous prenons conscience de tout le retard pris par notre Pays. Seulement 3 millions de foyers français accèdent aujourd'hui à la télévision grâce au câble alors que les Allemands sont dix fois plus nombreux. Imaginons-nous que dans les rues de Berlin il y ait dix fois plus de voitures que dans les rues de Paris ? A priori, la comparaison pourrait sembler saugrenue. Mais à y réfléchir, elle nous semble pertinente. Demain, le nombre de citoyens pouvant accéder à l'ensemble des services numériques à haut débit de la télévision, du téléphone et d'Internet sera aussi important pour le classement d'un pays dans la compétition mondiale que ne l'est aujourd'hui le nombre de voitures. Parce que nos responsables n'ont pas une vision assez claire du Futur, avons-nous le droit de rater cet avenir ?

Pour nos enfants, nous devons répondre massivement : NON.

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

Noter cet article :

 

Recommander cet article :

back-to-top