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Edito : Les astéroïdes seront-ils l'eldorado du XXIème siècle ?

Il y a bientôt 80 ans, le génial et visionnaire scientifique russe, Konstantin Tsiolkovsky, considéré comme le fondateur de l'astronautique, avait non seulement imaginé une station spatiale permanente mais avait également eu l'idée d'une exploitation industrielle des astéroïdes pour en tirer de fabuleuses ressources.

Dans un futur relativement proche, la réalité pourrait bien rejoindre la fiction.

Il y a quelques semaines, des scientifiques chinois ont publié, dans la revue chinoise Research in Astronomy and Astrophysics, un article qu'on pourrait croire tout droit sorti d'un roman de science-fiction "Comment capturer des astéroïdes proches de la Terre" (Voir Capturing Near Earth Objects). Pourtant il s'agit d'un projet tout à fait sérieux qui s'appuie sur un constat incontournable : la demande mondiale globale en matières premières explose, tirée par la croissance en Asie et la production de certaines matières premières stratégiques, notamment les "terres rares", indispensables aux secteurs de l'électronique et de l'informatique, ne parvient plus à répondre à la demande croissante.

Tous les spécialistes soulignent que l’ère des minerais abondants et peu onéreux est à présent définitivement révolue. Seuls une vingtaine de métaux sur 60 couramment utilisés par l'industrie sont recyclés à plus de 50 %, et la plupart des 17 "terres rares", indispensables aux secteurs high tech (Gallium, Indium, Tellure de sélénium, Lanthane, Néodyme), sont recyclées à moins de 1 % !

Auteur d'un rapport qui fait autorité sur la question, Thomas Graedel, professeur à l'université Yale souligne que « les pays développés ont fait l'impasse sur le recyclage de ces métaux stratégiques et payent à présent le prix de leur imprévoyance». En seulement deux ans, la consommation mondiale totale de terres rares est passée de 115 000 tonnes à 185 000 tonnes et tout laisse à penser que cette demande va continuer à augmenter au même rythme.

Or la Chine, qui impose déjà des quotas stricts d'exportation au reste du monde, pourrait très bien, si elle le décidait, stopper purement et simplement la vente de ces matières premières absolument indispensables à nos économies modernes. Mais la question centrale de l'accès aux matières premières dépasse largement la problématique des terres rares et métaux précieux et toutes les prévisions montrent qu'au rythme actuel de la demande, des minerais que l'on croyait pratiquement inépuisables, comme le cuivre, le cobalt ou le titane et même le plomb et le lithium, pourraient bien commencer à manquer d'ici la fin de ce siècle ! (Voir l'étude Metal stocks in society and recycling rates). Or, il n'existe pas ou peu d'alternatives à l'utilisation de ces substances et sans elles c'est tout simplement toute notre industrie qui cesserait de fonctionner.

Face à ce défi très sérieux, les scientifiques, les politiques et les industriels réfléchissent depuis plus de 20 ans à la possibilité d'aller chercher ces matières premières là où elles se trouvent en quantité gigantesque, dans l'Espace. Jusqu'à présent, la perspective d'une telle exploitation industrielle de l'espace se heurtait à un double obstacle, technologique d'abord et économique ensuite. Mais avec l'augmentation vertigineuse du prix de certaines matières premières, l'idée d'une conquête industrielle de l'Espace est en train de s'imposer.

Il est vrai que, selon l'étude chinoise publiée l'an dernier, un astéroïde de 2 kilomètres de diamètre contiendrait environ pour 20 000 milliards d'euros de matériaux et minerais, presque deux fois le PIB des Etats-Unis ! L’idée de ces chercheurs chinois n'est pas nouvelle : elle consiste à dévier légèrement la trajectoire d’un astéroïde jusqu'à ce qu'il devienne un satellite de la Terre et puisse alors faire l'objet d'une exploitation industrielle de ses immenses ressources minières.

Les scientifiques chinois ont analysé les orbites de tous les astéroïdes dont l'orbite est située à moins d'1,5 million de kilomètres de notre planète. Ils ont alors identifié un "candidat" potentiel à l'exploration, l'objet 2008EA9. Cet astéroïde d'une dizaine de mètres de diamètre doit passer à un million de km de la Terre en février 2049 et il pourrait faire l'objet d'un vol habité qui pourrait partir en 2019 et durerait 6 mois. En modifiant légèrement la vitesse de l’astéroïde d’environ un kilomètre par seconde, il serait possible de l'amener jusqu'au fameux point de Lagrange, où les forces gravitationnelles s'équilibrent et de le placer sur une orbite stable autour de la Terre à environ une semaine de vol spatial de distance.

Dans un article publié la semaine dernière (Voir l'article) la revue d'informations du prestigieux MIT (Institut de Technologie du Massachusetts) a également confirmé l'intérêt de ces nouvelles perspectives d'exploration spatiale et d'exploitation industrielle des ressources et matières premières contenues dans les astéroïdes de notre système solaire.

On comprend mieux les enjeux économiques d'une telle exploitation quand on sait que la production mondiale annuelle de minerai de fer est de l'ordre du milliard de tonnes !  Or, un astéroïde d'un diamètre d'un km peut contenir plus de 2 milliards de tonnes de fer. A titre d'exemple, l'astéroïde Psyché (250 km de diamètre), orbitant entre Mars et Jupiter, contiendrait assez de fer et de nickel pour répondre aux besoins de l'humanité pendant plusieurs siècles !

Notre système solaire compte plus de 500 000 astéroïdes dont une grande quantité sont métalliques et se composent de fer et de nickel ainsi que d'autres métaux plus rares et plus précieux. Les diamètres de ces corps célestes sont très petits, de quelques dizaines de mètres à un kilomètre de diamètre. Seuls quelques centaines de ces astéroïdes ont un diamètre supérieur à 100 km.

Les scientifiques qui travaillent sur cette question font un calcul assez simple : un astéroïde "moyen" de 500 mètres de diamètre ayant une concentration en nickel de 15 % contiendrait 260 000 tonnes de nickel. Avec un prix moyen qui pourrait atteindre 25.000 euros (la tonne) vers 2030, cet astéroïde aurait une valeur marchande de plus de 6,5 milliards d'euros. Un astéroïde un peu plus gros, de l'ordre du kilomètre de diamètre, vaudrait plus de 25 milliards d'euros et assurerait à lui seul 70 % de la demande mondiale annuelle de nickel.

Même si on estime que seuls 25 000 de ces astéroïdes seraient exploitables de manière rentable, cela représente tout de même un chiffre d'affaires théorique gigantesque, de l'ordre de 150 000 milliards d'euros, c'est-à-dire presque quatre fois le produit brut mondial annuel ! 

Il reste à surmonter des difficultés considérables mais pas infranchissables selon les experts les plus reconnus. En fonction du type d'astéroïde, plusieurs méthodes d'exploitation sont possibles. Première option, extraire seulement le minerai et le transporter ensuite sur la lune ou sur la Terre pour y être transformé. Deuxième option, raffiner et transformer le minerai sur place et produire également le carburant nécessaire au retour sur Terre. Troisième possibilité, amener progressivement l'astéroïde sur une nouvelle orbite, plus proche de la Terre ou de la Lune. 

Chaque option présente des avantages et des inconvénients : transformer le minerai sur place permet de réaliser des économies décisives en matière d'énergie mais suppose d'acheminer l'ensemble du matériel de raffinage sur place. Quant à l'extraction proprement dite, plusieurs solutions sont également envisagées : extraction à ciel ouvert, récupération magnétique grâce à des aimants ou creusement de mines dans l'astéroïde.

Fondée notamment par Larry Page, le patron de Google, une société américaine "Planetary Resources" s'est récemment constituée dans le but avoué d'être la première à profiter de cette manne céleste quasi-inépuisable. L'objectif de cette exploitation spatiale des ressources minières est de tirer économiquement partie des concentrations de minéraux rares et de métaux précieux bien plus importantes sur les astéroïdes que sur Terre (jusqu'à 20 fois la teneur terrestre). A titre d'exemple, selon Planetary Resources, un astéroïde de 500 mètres de diamètre pourrait contenir une quantité de platine aussi importante que toute celle déjà extraite par l'homme ! Quant on sait que le platine vaut plus cher que l'or (environ 45 euros le gramme) et qu'il est indispensable dans de multiples secteurs industriels comme l'électronique ou l'automobile, on mesure mieux l'enjeu financier, économique et industriel de cette "industrialisation" de l'Espace.

Mais ce qu'on sait moins c'est que certains types d'astéroïdes ne recèlent pas seulement minerais et métaux en grande quantité mais contiennent également en abondance une autre substance très précieuse et indispensable à la conquête et à l'exploration spatiale : l'eau. Contenue en grande quantité sous forme de glace, cette eau de l'espace a sans doute joué un rôle déterminant, selon certaines études scientifiques récentes, dans l'apparition de la vie sur Terre, il y a près de quatre milliards d'années.

Mais à présent, l'eau emprisonnée dans les 1 500 astéroïdes proches de la Terre et d'un accès facile pourrait fournir, après décomposition en oxygène et hydrogène, les ressources permettant de rendre autosuffisants en énergie et en carburant les astéroïdes qui seraient retenus pour l'exploitation minière.

La firme "Planetary Resources " va déployer en 2014 des télescopes spatiaux sur orbite basse pour identifier les astéroïdes les plus rentables et les plus aptes à cette exploitation. Elle enverra ensuite sur ces objets spatiaux de petits robots qui pourront les explorer et évaluer plus précisément les ressources disponibles.

Parallèlement à cette nouvelle "ruée vers l'or" spatiale, l'exploration purement scientifique des astéroïdes va s'accélérer avec la mission OSIRIS-REx (Origins-Spectral Interpretation-Resource Identification-Security-Regolith Explorer) de la NASA qui prévoit le lancement d'un engin spatial en 2016 qui devrait se poser sur l'astéroïde 1999 RQ36 en 2020 et ramener sur Terre plusieurs échantillons de ce corps spatial.

On voit donc, à la lumière de ces récents projets, que la conquête de l'Espace est en train de changer de nature : au pilier originel, purement scientifique et axé sur la progression de la connaissance fondamentale de l'Univers et de ses lois va venir s'ajouter un pilier clairement industriel et commercial, axé sur recherche du profit et la rentabilité.

Mais ces deux piliers, loin de s'opposer ou de s'ignorer, vont mutuellement s'enrichir et se renforcer. En effet, l'exploitation industrielle de l'Espace et des corps célestes, qu'il s'agisse d'autres planètes ou d'astéroïdes, va nécessairement devoir s'appuyer sur les connaissances scientifiques que nous avons accumulées depuis plus d'un demi-siècle sur notre système solaire. Mais en retour, l'exploration scientifique du Cosmos va trouver dans l'exploitation industrielle de l'Espace un extraordinaire moteur d'accélération.

Cette synergie entre la dimension scientifique et la dimension économique de la conquête spatiale apparaît donc comme particulièrement prometteuse et notre Pays qui a la chance d'être à la pointe mondiale en matière de technologies spatiales, doit absolument participer dès à présent à cette nouvelle aventure humaine que constitue l'exploitation économique des fantastiques richesses que recèle notre système solaire. Comme nous l'avons affirmé à plusieurs reprises dans notre Lettre, au risque parfois de susciter le scepticisme, nous sommes convaincus que le destin de l'humanité se jouera un jour moins lointain qu'on ne l'imagine en dehors de son berceau d'origine et que l'espèce humaine partira à la conquête de son Univers, à commencer par notre système solaire, parce que sa curiosité et sa soif de connaissance sont infinies et que rien ne peut les arrêter.

Alors que les grands pays développés, à commencer par les Etats-Unis et la Chine, sont déjà entrés de plain-pied dans cette compétition économique décisive pour l'exploitation de l'Espace, nous devons très rapidement prendre la mesure de ce nouveau défi mondial et nous y préparer en confortant notre excellence et notre avance dans le domaine spatial.

René TRÉGOUËT

Sénateur Honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat 

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