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Edito : Alzheimer: où en est la recherche ?

La maladie d’Alzheimer touche à présent environ 23,5 millions de personnes dans le monde et représente environ les deux tiers de l’ensemble des démences (35,6 millions de personnes dans le monde selon l’OMS). En France, selon une étude publiée en septembre 2013 par l’Institut de veille sanitaire, cette pathologie neurodégénérative toucherait déjà entre 750 000 et 1 million de personnes et aurait entraîné le décès de 54 291 personnes en 2010 (36.383 femmes et 17.908 hommes). Selon la plupart des prévisions scientifiques, le nombre de malades d’Alzheimer pourrait doubler dans notre Pays d’ici 2030 et devrait se situer entre 1,29 et 1,4 million de personnes à cet horizon.

Une étude américaine publiée il y a quelques jours dans la revue Neurology a fait grand bruit et montre que la mortalité due à Alzheimer serait en fait largement sous-estimée car les médecins indiqueraient le plus souvent une autre cause sur le certificat de décès (Voir Neurology).

Comme le souligne le professeur Bryan James, du Centre médical de l'Université Rush qui a dirigé cette étude, « La maladie d'Alzheimer, comme les autres formes de démence, sont le plus souvent absentes des certificats de décès et dossiers médicaux car ces documents mentionnent essentiellement la cause directe et immédiate de la mort et non la cause sous-jacente ».

Cette étude, réalisée sur 2 566 personnes âgées démontre que le taux de mortalité était quatre fois plus élevé chez les personnes souffrant de la maladie d'Alzheimer chez les 75 à 84 ans et plus. Les chercheurs ont ensuite extrapolé ces chiffres à l’ensemble de la population américaine et ont ainsi estimé à 503 400 le nombre de décès attribuables à la maladie d’Alzheimer, soit une mortalité 6 fois plus élevée que les 84 000 décès officiellement attribués à cette maladie en 2010. Si ces résultats épidémiologiques sont confirmés, cela voudrait dire que la maladie d’Alzheimer deviendrait bel et bien la première cause de mortalité aux États-Unis alors qu’elle est aujourd’hui la sixième cause de décès dans ce pays.

En France, selon le Bulletin épidémiologique hebdomadaire de l'InVS publié en février 2013, plus de 54 000 personnes seraient décédées des suites de la maladie d'Alzheimer en France en 2010. Mais si ce chiffre doit être réévalué en appliquant les conclusions de l’étude américaine, la maladie d’Alzheimer pourrait également devenir la première cause de mortalité en France, devant le cancer et les maladies cardio-vasculaires…

Découverte et décrite il y a presque un siècle, en 1906, par le médecin allemand Aloïs Alzheimer, la maladie qui porte son nom est une pathologie neurodégénérative redoutable, irréversible et pour l’instant incurable qui se traduit par une destruction progressive des neurones et dont le principal symptôme se traduit par l’apparition et l’accumulation anormales dans le cerveau de plaques constituées du peptide bêta-amyloïde.

La très grande majorité de la communauté scientifique s’accorde aujourd’hui à considérer que la maladie d’Alzheimer est le résultat de plusieurs causes intriquées et que de nombreux facteurs génétiques, biochimiques, psychologiques et environnementaux sont impliqués dans son apparition et son développement.

Depuis 2009, grâce aux progrès considérables du séquençage de l’ADN à haut débit, les chercheurs ont pu identifier une vingtaine de gènes probablement impliqués dans cette pathologie. Comme le souligne le professeur Lambert « La création du consortium international de recherche Igap (International Genomics of Alzheimer’s Project) a permis d’étudier le génome de plus de 74.000 individus, d’analyser plus de 7 millions de variations génétiques et d’identifier au final 11 nouveaux facteurs de prédisposition à la pathologie qui confirment l’hypothèse d’un dérèglement de la production des protéines béta-amyloïde et Tau. »

Début 2010, les quatre plus grands consortiums de recherche internationaux sur la génétique de la maladie d’Alzheimer ont regroupé et coordonné leurs moyens pour accélérer la découverte de nouveaux gènes. En 3 ans, grâce au programme IGAP, les chercheurs ont réussi à identifier plus de gènes impliqués dans cette maladie qu’au cours des 20 dernières années.

Dans un premier temps, les chercheurs ont travaillé sur les données génétiques provenant de 17 000 malades d’Alzheimer et de 37 000 personnes indemnes de la maladie. Se livrant à un véritable travail de fourmi, ils ont réalisé une analyse comparative de plus de 7 millions de mutations réparties entre les génomes de ces malades et ceux de personnes saines.

Au cours d’une seconde étape, ces scientifiques ont vérifié leurs résultats à partir de données provenant de 11 pays différents et totalisant 8 572 patients et 11 312 témoins. Ce travail pharaonique a permis de confirmer l’implication de 11 nouveaux gènes dans la maladie et d’en découvrir 13 autres, eux aussi possiblement impliqués dans cette pathologie.

Ces recherches ont confirmé de manière très intéressante l’implication majeure du système immunitaire dans la maladie d’Alzheimer en mettant notamment en lumière le rôle clé de la région HLA-DRB5/DRB1, l'une des plus complexes du génome, fortement impliquée dans les réponses immunitaires et inflammatoires. Or, cette région, et cela n’est pas un hasard, se trouve également être celle impliquée dans deux autres graves pathologies neurodégénératives, la maladie de Parkinson et la sclérose en plaques.

Parmi les nouveaux gènes identifiés, plusieurs confirment le rôle de la voie amyloïde (SORL1, CASS4) et de la protéine Tau (CASS4, FERMT2) dans la maladie d’Alzheimer. Cette vaste analyse génétique comparative confirme donc le rôle du processus inflammatoire et l’implication du système immunitaire dans cette maladie multiforme.

Il faut également souligner que, fin 2013, des chercheurs américains de l'Université Washington à St Louis ont notamment découvert , grâce à une vaste une étude comparative portant sur 11 000 personnes, qu'une mutation particulière sur le gène PLD3 pouvait doubler le risque d'Alzheimer (Voir Nature).

Enfin, il y a quelques jours, une étude réalisée sur 52 personnes âgées de 32 à 72 ans, exemptes de démence, par des chercheurs américains et dirigée par Lisa Mosconi, Professeure à l'Ecole de Médecine de l'Université de New-York, a montré que des personnes exemptes de démence, mais dont les deux parents sont atteints de la maladie d'Alzheimer peuvent présenter des signes cérébraux visibles de la maladie de nombreuses années avant l’apparition des premiers symptômes (Voir Neurology).

Ces travaux montrent que les patients dont la mère a été touchée par la maladie d’Alzheimer présentent des niveaux plus élevés de certains biomarqueurs de la maladie que les personnes dont le père souffre de cette pathologie, ce qui confirme une susceptibilité plus élevée, via la mère. L’étude montre également que les participants dont les deux parents ont la maladie d'Alzheimer présentent des anomalies cérébrales plus importantes.

L’ensemble de ces découvertes récentes confirme non seulement, l’existence de gènes de prédisposition à la maladie d’Alzheimer mais montre également l’existence d’une prédisposition génétique dont le niveau est plus ou moins grand en fonction de la présence de la maladie chez l’un ou chez les deux parents. Cette étude montre enfin qu'il semble souhaitable d'envisager une détection précoce lorsque les 2 parents sont touchés par la maladie, même si, heureusement, le fait que les 2 parents soient atteints par un Alzheimer n'entraîne pas systématiquement l'apparition de cette pathologie chez leurs enfants.

Soulignons également que le Professeur Amouyel, spécialiste internationalement reconnu de cette pathologie, a déclaré le 18 novembre 2013 :"L'implication de facteurs génétiques dans les maladies neurologiques dégénératives, dans les protéinopathies, et donc dans la maladie d'Alzheimer, est un fait qui n'est plus discutable mais dire «implication de facteurs génétiques» ne veut pas dire maladie héréditaire ».

Mais même si les facteurs génétiques très nombreux et complexes qui interviennent dans cette maladie commencent à être mieux connus, l’environnement joue également un rôle très important dans l’apparition de cette pathologie et il semble par exemple que l’alimentation puisse constituer un facteur de risque ou au contraire de protection contre la maladie d’Alzheimer.

À cet égard, une récente étude réalisée par des chercheurs de l’Icahn School of Medicine at Mount Sinai (New York), montre que les produits de glycation avancée (AGEs), en abondance dans la viande cuite pourraient augmenter le risque de maladie d’Alzheimer (Voir PNAS).

La formation des AGEs résultent d’une réaction entre les protéines et les sucres, appelée «glycation», survenant durant la cuisson d’aliments, en particulier la viande. Ces composés semblent impliqués dans plusieurs maladies métaboliques, dont l’obésité et le diabète. Dans ce travail réalisé sur des souris, les chercheurs ont montré que la présence de ces composés augmentait le risque de troubles cognitifs et l’accumulation de protéine bêta-amyloïde dans le cerveau. Ces recherches ont par ailleurs permis de montrer sur 93 personnes âgées que celles présentant un taux sanguin élevé de dérivés du méthylglyoxal connaissaient un déclin cognitif plus important mais également un plus grand risque de diabète.

Compte tenu de ces résultats, les chercheurs évoquent la possibilité de mettre en place des régimes alimentaires à teneur réduite en AGEs chez les personnes âgées, dans le but de prévenir ou de retarder l’apparition de troubles métaboliques et cardio-vasculaires mais également de maladies neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer.

Une autre étude effectuée sur des souris et publiée fin 2009 par des chercheurs de la Temple University avait déjà montré que les aliments carnés contenant des quantités importantes de méthionine pouvaient augmenter le risque d’Alzheimer. Ces travaux montrent en effet que la méthionine se transforme en un autre acide aminé, l’homocystéine dont la concentration semble constituer un marqueur sanguin du risque d’Alzheimer (Voir Temple University).

Mais si certaines habitudes alimentaires pourraient favoriser le développement de la maladie d’Alzheimer, il semble également que d’autres choix alimentaires puissent au contraire avoir un effet protecteur contre cette pathologie. Une étude publiée en juin 2006 (Voir NCBI) et réalisée par des chercheurs américains auprès de 2 258 personnes suivies en moyenne sur une période de quatre ans a montré que les sujets qui adoptaient un régime méditerranéen dit régime crétois pouvaient réduire jusqu’à 40 % leur risque d’être touchés par la maladie d’Alzheimer et connaissaient un déclin cognitif moins important au cours de leur vieillesse.

En juillet 2013, une nouvelle méta-analyse (reprenant une douzaine d'études) a également démontré que ce type d'alimentation avait un effet protecteur contre les démences séniles et notamment la maladie d'Alzheimer (Voir Epidemiology). "Notre analyse confirme qu’une l'alimentation de type méditerranéenne, composée de fruits, de légumes, de graisses polyinsaturés et d'un peu de vin, exerce réellement un effet protecteur sur le cerveau et protège du risque de démence de type Alzheimer", souligne Iliana Lourida, qui a dirigé ce travail.

Bien que son rôle soit loin d’être entièrement éclairci dans cette pathologie, on voit donc que l’alimentation joue probablement un rôle non négligeable en tant que facteur de risque de la maladie d’Alzheimer. A cet égard, il faut également évoquer une étude réalisée par des chercheurs de l’Université de Californie, sous la direction du professeur Fiala et publiée début 2013 (Voir IOS Press). Cette étude montre de quelle manière un équilibre subtil entre la vitamine D3 et les acides gras oméga-3 permet de renforcer les capacités du système immunitaire à effacer les plaques amyloïdes du cerveau. Ces recherches ont également permis de montrer que les macrophages des malades souffrant de la maladie d’Alzheimer exprimaient différemment certains gènes liés au processus inflammatoire.

Le rôle protecteur spécifique des oméga-3 dans la maladie d’Alzheimer vient par ailleurs d’être confirmé par des chercheurs de l’Institut Karolinska de Stockholm sous la direction de Marianne Schultzberg (Voir Alzheimer's Association). Dans ce travail, les chercheurs ont analysé le liquide céphalo-rachidien de sujets répartis dans trois groupes, un groupe de 15 personnes atteints par la maladie d’Alzheimer, un groupe de 20 personnes atteints de déficience cognitive légère, et un groupe de 21 personnes indemnes de toute pathologie neurodégénérative. Ces scientifiques ont ainsi pu montrer que certains composants chimiques présents dans les oméga-3 pouvaient bloquer certaines voies moléculaires impliquées dans les processus inflammatoires conduisant à la production de plaques de protéines bêta-amyloïde.

Il faut enfin évoquer une étude intéressante, réalisée sur 65 femmes et publiée il y a quelques jours dans Plos et qui montre qu’une hormonothérapie substitutive par estradiol, débutée peu après la ménopause chez des femmes à risque de démence, semble diminuer le risque d’Alzheimer (Voir PLOS One).

Mais la recherche sur la maladie d’Alzheimer ne progresse pas seulement sur le terrain génétique, épidémiologique et environnemental, elle avance également dans le domaine du diagnostic et de la détection précoce (Voir Nature). Il y a quelques jours, des chercheurs américains de l’Université de Georgetown (Washington), dirigés par Howard J. Federoff, ont publié une étude réalisée pendant cinq ans sur 525 personnes âgées de 70 ans et plus.

En effectuant une multitude d’analyses sanguines et d’examens médicaux, les scientifiques ont réussi à mettre en évidence chez 28 des personnes suivies l’apparition de signes de développement de la maladie d’Alzheimer ou de déficiences cognitives légères pouvant être annonciatrices de cette pathologie. Ces chercheurs ont notamment montré que les niveaux de concentration d’une dizaine de lipides présents dans le sang n’évoluaient pas de la même façon chez les personnes touchées par la maladie d’Alzheimer et chez les sujets sains.

Si ces résultats sont confirmés par d’autres études, cette découverte pourrait déboucher sur la mise au point d’un test sanguin fiable et rapide qui permettrait de prévoir l’apparition de la maladie deux ou trois ans avant cette apparition. Il deviendrait alors possible de proposer au patient une stratégie thérapeutique personnalisée qui serait bien plus efficace car elle pourrait être mise en œuvre avant même l’apparition des premiers symptômes de sa maladie.

A la lumière de ces avancées scientifiques et médicales récentes, on voit donc que la maladie d’Alzheimer commence enfin à être mieux comprise et se dévoile progressivement dans toutes ses dimensions biologiques, génétiques et environnementales. On sait à présent que cette maladie possède une base génétique extrêmement variée et complexe qui est loin d’être totalement connue et répertoriée mais qui éclaire déjà d’une lumière nouvelle cette pathologie en la reliant notamment avec d’autres maladies neurodégénératives sévères et en confirmant le rôle central du système immunitaire dans son déclenchement.

On sait également qu’à l’exception d’un petit nombre de cas particuliers, ces facteurs génétiques ne suffisent pas à eux seuls à provoquer cette maladie redoutable et que d’autres causes liées à l’environnement mais également au parcours psychologique singulier du sujet et à sa capacité de nouer des liens sociaux, jouent probablement un rôle déterminant dans l’apparition de cette pathologie dévastatrice.

En s’appuyant sur l’ensemble de ces découvertes et avancées scientifiques, nous pouvons esquisser ce que pourrait être une stratégie globale de lutte et de prévention contre la maladie d’Alzheimer dans les années à venir. Celle-ci devra s’appuyer sur quatre grandes composantes. En premier lieu, il faut évidemment poursuivre le travail ardu mais nécessaire de recherche fondamentale, en explorant et en identifiant notamment l’ensemble des multiples variations et mutations génétiques impliquées dans cette pathologie.

Il convient également de développer le plus rapidement possible des outils de détection précoce fiables et rapides, associant marqueurs sanguins et imagerie médicale afin d’être en mesure d’évaluer le risque de survenue de cette maladie plusieurs années avant l’apparition des premiers symptômes, ce qui permettra d’atteindre une efficacité thérapeutique bien plus grande grâce à une prise en charge médicale immédiate et personnalisée.

Le troisième axe d’action très important concerne la prévention active contre cette maladie. Nous savons à présent de manière scientifiquement étayée que la prise en charge correcte et précoce de l’hypertension artérielle et de l’obésité, certains types de régimes alimentaires et la pratique d’un exercice physique régulier constituent des facteurs de prévention intrinsèques pour cette maladie. Il faut donc utiliser d’une manière beaucoup plus vigoureuse et volontaire ce levier préventif lié aux choix de vie.

Le dernier axe d’action concerne le champ psychosocial. On sait en effet à présent qu’il existe un lien réel bien que complexe entre la fréquence et l’intensité de certains troubles psychologiques, comme l’anxiété et la dépression, et le risque de maladie d’Alzheimer. Il est donc très important de poursuivre les recherches pour mieux cerner l’ensemble de ces liens de causalité et les utiliser à des fins thérapeutiques. Sur le plan social, il est également très important d’intégrer la dimension affective et relationnelle dans la prévention contre cette terrible maladie et de mieux prévenir les situations d’isolement et de solitude que connaissent malheureusement beaucoup de personnes âgées.

Si nous parvenons à faire évoluer notre vision sur la maladie d’Alzheimer et à considérer cette pathologie dans toutes ses dimensions et si nous actionnons simultanément et de manière cohérente les quatre leviers que je viens d’indiquer, je suis persuadé que nous parviendrons, en dépit du vieillissement inéluctable de notre population, à faire reculer de manière significative ce fléau redouté par beaucoup de nos concitoyens et à ajouter de la vie aux années, ce qui est au moins aussi important que d’ajouter des années à la vie…

René TRÉGOUËT

Sénateur Honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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