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Edito : Alzheimer : le combat ne pourra pas être gagné sans une prévention active

Alors que la maladie d'Alzheimer a été déclarée grande cause nationale en 2007 et à quelques semaines de l'annonce du plan national de lutte contre cette affection, il est important de faire le point sur ce fléau médical, social et humain qui est en train de devenir l'un des principaux problèmes de société dans nos pays vieillissants. La maladie d'Alzheimer se caractérise par une détérioration durable et progressive des fonctions cognitives. Elle touche aujourd'hui plus de 850.000 personnes en France et est devenue la première cause de dépendance des personnes âgées. Chaque année, 225.000 nouveaux cas et 12 000 décès sont enregistrés, engendrant beaucoup de souffrance et de détresse tant pour la personne qui est atteinte que pour son entourage. Le nombre de personnes concernées pourrait atteindre 1,3 million de personnes en 2020, une personne de plus de 65 ans sur quatre, et 2,1 millions en 2040, soit une personne de plus de 65 ans sur trois !

L'Alzheimer est une maladie neurodégénérative complexe, caractérisée par la détérioration progressive de la pensée et de la mémoire. Elle s'accompagne souvent d'une modification du comportement : les personnes qui en souffrent ont tendance à être agitées, irritables, parfois agressives et à faire des fugues. La maladie est fatale : la mort survient habituellement sept à 10 ans après le diagnostic.

On note chez les personnes atteintes d'Alzheimer un dépôt de plaques d'amyloïdes dans le cerveau, une protéine qui est toxique pour les cellules du cerveau (neurones) lorsqu'elle se trouve en trop grande quantité. La maladie se manifeste aussi par la formation d'agrégats à l'intérieur des neurones (des écheveaux) qui, en quelque sorte, les étouffent et provoquent leur mort.

L'Alzheimer existe sous deux formes. La majorité des gens sont touchés par la forme «tardive», qui survient surtout à partir de 65 ans. La forme «précoce», très rare, apparaît entre 30 et 50 ans. Les causes de la maladie sont multiples et ne sont pas encore très bien connues. Mais on connaît de mieux en mieux les facteurs de risque. En tête : le vieillissement, bien entendu. Des recherches ont démontré que le diabète de type 2 (celui associé à l'obésité), les antécédents familiaux, les niveaux élevés de cholestérol, le stress, le manque d'exercice physique, l'obésité, les blessures à la tête, le faible niveau de scolarisation, la solitude sociale et l'hypertension constituent également des facteurs qui favorisent l'apparition de la maladie d' Alzheimer.

Disons le : la médecine reste pour l'instant très démunie contre cette maladie. Il n'existe en 2007 que 6 molécules disponibles qui permettent, au mieux, de retarder l'avancée d'Alzheimer dans la moitié des cas mais aucun traitement qui s'attaque aux causes de cette affection. Quant au vaccin thérapeutique, des essais prometteurs ont dû être stoppés en 2003 car le type de vaccin expérimenté provoquait de graves inflammations de l'encéphale. Heureusement, cet échec n'a pas découragé les chercheurs et il y a quelques mois, une équipe de Yale (USA) a montré la pertinence et la faisabilité d'une nouvelle approche immunologique. Celle-ci permet d'induire une réponse immunitaire efficace contre le peptide responsable dans la maladie sans provoquer d'effets secondaires. Mais il faudra encore de nombreuses années de recherche avant que ce type de vaccin ne soit disponible pour les malades.

En matière de détection, des outils permettent à présent de déceler la présence de la maladie environ 3 ans avant la perte d'autonomie qui caractérise la démence. Ils reposent sur une définition précise des troubles de la mémoire particuliers à cette maladie et sur l'utilisation de l'imagerie par résonance magnétique et des marqueurs biologiques très spécifiques. Grâce à cette détection précoce, il va devenir possible de mettre en oeuvre les traitements de plus en plus tôt, ce qui améliorera sensiblement leur efficacité.

S'agissant de la compréhension des causes biologiques de l'Alzheimer, une nouvelle étude de l'Université Northwestern vient de montrer pourquoi les signaux de l'insuline dans le cerveau, cruciaux pour la formation de souvenirs, cesseraient de fonctionner dans la maladie d'Alzheimer. Cette étude a montré que les niveaux d'insuline et de ses récepteurs dans le cerveau des gens souffrant de la maladie d'Alzheimer sont plus bas, ce qui renforce l'hypothèse selon laquelle la maladie d'Alzheimer pourrait être un diabète de type 3.

D'autres études, menées notamment par le CNRS et l'Inserm ont montré de manière remarquable des liens entre l'hypertension artérielle persistante et les risques d'apparition de la maladie d' Alzheimer. Il semble également que la dimension inflammatoire soit présente dans cette maladie. Des études épidémiologiques ont notamment montré un effet protecteur des anti-inflammatoires contre la survenue de la maladie d'Alzheimer chez les patients souffrant de polyarthrite rhumatoïde.

Il existe également un lien puissant entre alimentation et Alzheimer. Un régime alimentaire riche en graisses semble augmenter les risques de développer la maladie d'Alzheimer, alors que manger des légumes diminuerait les risques de souffrir de démence. Une équipe de l'université Case Western Reserve de Cleveland a en effet montré que parmi les personnes disposant dans leur sang de la protéine ApoE-e 4 (apolipoprotéine 4), celles qui avaient suivi un régime riche en graisses à l'âge adulte avaient sept fois plus de risques d'être atteintes de la maladie d'Alzheimer que celles qui avaient mangé peu de graisses.

Le principal auteur de l'étude, le Professeur Grace Petot, a précisé que, avec un régime dans lequel plus de 40 % des calories provenaient de graisses, les personnes de 40 à 59 ans disposant de la protéine ApoE-e 4 avaient 29 fois plus de risques de développer Alzheimer que celles qui ne disposaient pas de cette protéine. Par contre, ces risques n'étaient que de 4 fois plus élevés dans le cas d'un régime où les graisses comptaient pour moins de 35 % des calories consommées, indique cette étude, réalisée sur 304 personnes de plus de 70 ans (72 avec Alzheimer et 232 non malades).

Une autre équipe du Centre médical Erasmus de Rotterdam, aux Pays-Bas, a montré que légumes et vitamines E et C diminueraient nettement les risques de développer la maladie. Pour ces chercheurs, la consommation de vitamine E faisait baisser de 17 % les risques de démence en général et de 19 % ceux de maladie d'Alzheimer. Il semble aussi qu'une consommation régulière d'acides gras oméga-3, présents notamment dans les poissons "gras" (thon, saumon, sardine), protège le cerveau contre l'apparition de la maladie d'Alzheimer.

A côté de l'alimentation, il est à présent avéré que l'exercice physique régulier diminue également de manière sensible le risque d'Alzheimer. Une grande étude canadienne qui a porté sur 4615 sujets de plus de 65 ans, suivis pendant 5 ans, a en effet montré qu'un haut niveau d'activité physique diminuait de moitié le risque de maladie d'Alzheimer.

Enfin, il est à présent certain que la désocialisation, la solitude et le repliement sur soi, si fréquents chez les personnes âgées dans notre société, augmentent considérablement les risques de souffrir de la maladie d'Alzheimer. Selon une vaste étude américaine à laquelle 800 personnes âgées ont participé pendant plusieurs années, les personnes seules courent deux fois plus de risques de développer la maladie d'Alzheimer que celles dont la vie sociale est bien remplie.

On peut donc affirmer aujourd'hui, en s'appuyant sur des études scientifiques sérieuses et convergentes, que le mode de vie joue un rôle déterminant dans l'apparition ou la prévention de la maladie d'Alzheimer. Pourtant, cette terrible maladie continue trop souvent à être présentée comme une fatalité liée à l'âge dont la médecine finira par venir à bout grâce à des nouveaux médicaments et traitements. Il faut certes développer la recherche médicale sur cette maladie complexe et plus généralement sur le fonctionnement du cerveau qui demeure un continent bien mal connu mais il faut également insister avec force sur l'importance essentielle d'une prévention globale dans la lutte contre cette affection.

Nous ne viendrons pas à bout de cette maladie grâce aux seules armes de la médecine mais en modifiant profondément nos modes de vie (alimentation, exercice physique) et notre organisation sociale, de manière à permettre à nos anciens de sortir de leur solitude et de maintenir des liens cognitifs, affectifs et sociaux avec leur environnement, ce qui constitue sans doute la meilleure protection contre l'apparition de cette maladie effroyable.

Cent ans après sa découverte, même si nous ne sommes pas encore capables de guérir cette maladie, nous avons une grande partie des clés qui nous permettent de la prévenir et, comme pour le cancer, c'est notre société toute entière qui doit se mobiliser et se transformer pour s'attaquer aux racines de ce mal et le vaincre définitivement.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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