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Edito : Albert Einstein, un génie dans le siècle

A l'occasion du passage à l'an 2000, le magazine américain "Times" a décerné au grand physicien Albert Einstein le titre "d'homme du siècle" devant deux autres personnages d'une exceptionnelle envergure, Théodore Roosevelt et le Mahatma Gandhi. Le choix d'Einstein confirme, s'il en était besoin, la place déterminante prise par la science au cours de notre XXe siècle mais ce choix récompense également un homme hors du commun qui a marqué la première moitié de ce siècle par ses géniales intuitions scientifiques et ses engagements personnels. Bien qu'Einstein ait obtenu le prix Nobel pour sa découverte de l'effet photoélectrique (et non pour sa théorie de la relativité) c'est bien entendu sa théorie de la relativité restreinte (1905) puis générale (1916) qui le fit reconnaître par ses pairs comme le plus grand physicien de son temps et sans doute le plus grand esprit scientifique qu'ait produit l'humanité depuis Newton. La relativité générale, qui inclut la gravitation, constitue un cadre conceptuel admirable d'audace et d'élégance intégrant matière, énergie, espace et temps. Einstein montre que, de la même façon qu'il n'existe pas de mouvements absolus dans l'espace, il n'existe pas non plus de temps absolu car celui-ci a l'étrange propriété de se contracter ou de se dilater en fonction de la vitesse de l'observateur et de la gravitation. Dès 1919, la relativité générale est démontrée par Eddington qui parvient à mettre en évidence, à l'occasion d'une éclipse du soleil, la courbure de la lumière due à la force de gravitation du soleil. Depuis, la relativité générale n'a cessé de subir victorieusement de nombreuses vérifications expérimentales dont une toute récente mettant en évidence le décalage, dû à la gravitation, de 2 horloges atomiques embarquées dans 2 avions volant à des altitudes différentes (voir @RTFlash 78 rubrique physique http://www.tregouet.org/lettre/index.html ). Mais on oublie trop souvent qu'Einstein prit également une part déterminante dans l'élaboration de la mécanique quantique au cours des 3 premières décennies du XXe siècle. Il est notamment l'auteur du célèbre paradoxe EPR (Einstein, Podolsky, Rosen) qui propose une explication au phénomène très troublant de l'inséparabilité des photons. Bien qu'il ait activement contribué à son essor, Einstein ne put jamais se résoudre à accepter les conséquences scientifiques et métaphysiques qu'impliquait la conception de la mécanique quantique qui finit par s'imposer, celle de l'école de Copenhague, dirigée par Niels Bohr. A ce sujet, on se souvient de la fameuse phrase attribuée à Einstein "Dieu ne joue pas aux dés". Par cette réflexion le savant, grand admirateur de Spinoza, voulait exprimer son désaccord fondamental avec l'idée que le hasard, l'indétermination, n'étaient pas de simples conséquences de notre ignorance mais existaient objectivement et régissaient l'étrange comportement de ces particules qu'on ne pouvait observer sans les perturber et dont on ne pouvait à la fois connaître la vitesse et la position. On sait que pendant 30 ans ce débat scientifique et philosophique sur la "nature de la nature", pour reprendre l'expression d'Edgar Morin, fut au centre d'une extraordinaire correspondance entre Einstein et Bohr, chacun cherchant à convaincre l'autre du bien-fondé de ses conceptions. Mais au delà de son génie scientifique exceptionnel, Einstein fut aussi un homme remarquable parce que profondément engagé dans son siècle et les grands débats de son temps. Directement confronté à la barbarie nazie, Einstein n'hésita jamais à s'engager pour toutes les causes qu'il considérait comme justes, à commencer par l'utilisation pacifique de l'atome. Einstein, et c'est aussi ce qui le rend si attachant, fut également profondément sensible à la beauté du monde et à son harmonie qui selon lui s'exprimaient dans les lois de la nature qui devaient toujours allier simplicité et élégance. Passionné de musique et lui-même violoniste amateur durant ses loisirs, on raconte qu'après avoir entendu Yehudi Menuhin en concert il dit à ses amis "maintenant je sais que les anges existent". Plus encore que son génie, c'est sans doute sa simplicité, sa générosité et son humanité qui font d'Einstein un homme exceptionnel. Finalement, il importe peu qu'Einstein soit ou non "l'homme du siècle", chacun en décidera selon ses critères personnels. Mais il est certain qu'Einstein laissera dans la mémoire de l'humanité une trace singulière parce qu'il démontra tout au long de sa vie qu'il ne pouvait y avoir de science sans conscience et que vérité et beauté, comme les quarks du même nom, étaient inséparables.

René TREGOUET

Sénateur du Rhône

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