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Edito : 50 ans pour écrire le Grand Livre de la Vie

Lorsqu'en 1866 un obscur moine du nom de Grégor MENDEL découvrit, dans l'indifférence quasi générale de la communauté scientifique, les lois de l'hérédité, grâce à ses désormais célèbres expériences de croisement de petits pois, il était loin de se douter qu'il venait de faire accomplir un pas de géant aux sciences du vivant. MENDEL avait ouvert à la biologie une perspective fascinante bien qu'encore très lointaine, celle d'espérer élucider un jour l'ensemble des lois et mécanismes régissant, de l'organisme à la cellule, la transmission des caractères biologiques d'une génération à l'autre. Après les découvertes de MENDEL, il fallut cependant attendre plus d'un demi-siècle pour que MORGAN formule en 1919 sa théorie de l'hérédité chromosomique qui constitua la deuxième étape capitale de cette longue quête. La troisième étape décisive eut lieu 34 ans après MORGAN, en 1953, lorsque deux jeunes chercheurs anglais, James WATSON et Francis CRICK, découvrirent avec émerveillement la structure en double hélice de l'ADN (acide désoxyribonucléique), "brique" de base de nos gènes. La génétique était née et, dès cet instant, des chercheurs caressèrent le rêve de parvenir à décoder, puis à cartographier, dans un futur qu'ils imaginaient très lointain, l'ensemble du génome humain. Il fallut encore attendre le début des années 90 pour que fut enfin mis sur pied le projet international "Génome Humain" qui coordonnait au niveau mondial toutes les initiatives de recherche publiques et privées dans le but de parvenir à la cartographie complète de notre génome. A l'époque, c'était il y a seulement 10 ans, certains scientifiques n'hésitaient pas à affirmer qu'une telle entreprise ne serait pas achevée avant 2050. Mais décidément tout s'accélère. Il y a quelques jours, le Président américain Bill CLINTON et le Premier Ministre anglais Tony BLAIR ont annoncé solennellement dans un communiqué commun que la première cartographie complète "sommaire" de notre génome serait disponible d'ici à l'été 2000, et que la cartographie complète détaillée du génome serait terminée en 2003. Mais au-delà de la dimension médiatique de cet effet d'annonce, MM. CLINTON et BLAIR firent une autre déclaration d'une importance capitale puisqu'ils demandèrent que la future cartographie complète de notre génome appartienne au patrimoine commun de l'humanité et soit entièrement libre d'accès pour l'ensemble de la communauté scientifique mondiale. Certes, il faudra certainement du temps pour que tous les Pays répondent favorablement à cette noble attente mais par cette déclaration, les deux dirigeants ont éloigné de manière très ferme le spectre redouté d'une mainmise de quelques grands groupes privés de recherche sur certaines parties "stratégiques" de cette carte du génome humain. Il faut cependant bien savoir que lorsque ce grand livre de la vie, composé de plus de 3 milliards de mots, sera entièrement écrit en 2003, commencera un autre travail tout aussi pharaonique qui consiste à traduire cette énorme base de données afin de pouvoir agir de manière efficace et sélective sur tous nos gènes en les modifiant ou les corrigeant pour combattre et, à terme, guérir une multitude de maladies contre lesquelles la médecine est depuis toujours impuissante. Il s'agit non seulement des maladies génétiques proprement dites (3 500 sont à ce jour répertoriées), comme la mucoviscidose, la myopathie ou la trisomie 21, mais aussi des maladies de "société" comme le cancer ou les maladies cardio-vasculaires dans lesquelles les facteurs génétiques personnels jouent un rôle très important. On mesure mieux l'ampleur de la tâche quand on sait que la génétique n'obéit pas à des lois mécaniques mais qu'un seul gène peut commander plusieurs fonctions alors qu'une seule fonction peut faire intervenir plusieurs gènes. Néanmoins, personne ne doute qu'à terme les scientifiques parviendront à surmonter ces difficultés théoriques et techniques et pourront supprimer, modifier, ou ajouter de manière contrôlée, n'importe quel gène. C'est tout l'enjeu de cette discipline neuve baptisée génomique. Toute la question est de savoir jusqu'où déciderons-nous d'utiliser ce nouveau et extraordinaire pouvoir. Tant qu'il s'agira d'utiliser la génomique pour combattre une grave maladie ou restaurer une fonction altérée par l'âge, on peut penser qu'un large consensus social et moral pourra être trouvé. Mais que déciderons-nous quand les chercheurs nous proposeront d'allonger notre durée de vie ou d'améliorer nos facultés intellectuelles ou notre mémoire par intervention génétique ? Aujourd'hui, de telles perspectives nous paraissent bien lointaines mais elles pourraient cependant devenir réalité bien plus vite que nous le pensons, tant sont grands les progrès de l'informatique et de la robotique appliquée à la biologie. Autre question sociale et morale non moins fondamentale qui est déjà d'actualité, comment protéger la confidentialité des données génétiques personnelles et empêcher leur divulgation à des fins commerciales ? En donnant à notre espèce humaine le pouvoir quasi divin de se modifier et de s'améliorer elle-même, la génétique et l'ensemble des sciences du vivant vont placer notre civilisation face à des choix moraux, sociaux et politiques d'une telle importance qu'il nous faut dès à présent ouvrir le débat démocratique et éthique sur ces questions dont les résonances métaphysiques vont se propager durant tout le prochain siècle.

René TREGOUET

Sénateur du Rhône

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